Restauration : pigments et autres secrets…
  Comment identifier les pigments des couleurs d’un psautier royal datant du Moyen Âge ? La teinture pourpre de ces parchemins du IXe siècle, à quel procédé la doit-on ? Et la reliure d’orfèvrerie de cet évangéliaire, serait-elle d’étain ou d’argent ? Autant d’énigmes que Myriam Éveno, ingénieur physico-chimiste au laboratoire de l’Atelier central de restauration du site Richelieu, est en mesure d’élucider.
 
Une spécialisation peu commune que celle de Myriam Éveno. On connaît le travail du biologiste qui, dans les laboratoires des bibliothèques*, traque les moisissures, insectes et autres ennemis organiques des papiers et des reliures. On sait moins celui de l’ingénieur physico-chimiste qui œuvre dans le domaine des matériaux (dits inorganiques) du livre : la mission de Myriam Éveno (38 ans) consiste plus précisément à identifier les pigments et les colorants des parchemins de manuscrits, mais aussi la nature des cuirs, des métaux et des gemmes des reliures qui protègent les collections patrimoniales.
Un tel savoir-faire n’existait pas à la BnF, avant son arrivée en 1999, rue de Richelieu.
Après dix ans d’expérience dans l’étude des pigments des peintures de chevalet, au Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), elle a voulu adapter ses connaissances à l’objet livre. De fait, ses analyses se sont révélées précieuses pour les conservateurs et les restaurateurs qui s’interrogeaient sur le mode de tannage d’un cuir, sur la nature d’un pigment ou d’une encre ancienne, par exemple.
Pour eux, Myriam Éveno élucide ces énigmes. Ici, elle repère une encre métallo-gallique à sa teneur en soufre, en potassium, en fer et en cuivre. Là, ce fragment brun sera le vestige d’une sciure utilisée jadis pour faire sécher l’encre. Quant aux couleurs de la reliure de cet ancien manuscrit persan, elles lui livreront leurs secrets : oxyde de fer mélangé à des terres pour le rouge ; noir de carbone ; jaune d’origine organique ; paillettes de laiton sur glacis vert au cuivre… Et ce dépôt blanc suspect sur un manuscrit chinois ? Il trahit du sel, révélé par l’humidité de la grotte où il fut découvert en 1906-1908, à Dunhuang. Une information décisive pour le restaurateur chargé de nettoyer très délicatement le document…

Accélérateur de particules

Grâce à une convention passée entre la BnF et le C2RMF, Myriam Éveno dispose, dans ce laboratoire extérieur, d’appareillages de pointe : pour étudier les composants ou les altérations d’infimes prélèvements de cuir ou de papier, elle peut recourir au microscope électronique à balayage. D’autres fois, elle opte pour l’appareil Aglae qui, par l’accélération des protons, analyse directement le document et révèle la composition élémentaire des pigments. Elle peut aussi s’appuyer sur la diffraction de rayons X qui s’applique aux matériaux cristallisés (pierreries de reliures) … Quant à la spectrophotocolorimétrie, elle la renseignera, par exemple, sur la composition de bleus issus de lapis-lazuli ou d’indigo… "C’est le croisement des informations fournies par chaque technique, remarque-t-elle, qui m’aide le plus souvent à établir mes conclusions."
De plus, les restaurations que des institutions extérieures confient à la BnF participent aussi bien à la recherche : "Pour la restauration de la Bible de Théodulfe (IXe siècle) de la Cathédrale de Puy en Velay, cite-t-elle, nous nous interrogions avec le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques sur le procédé de teinture pourpre du parchemin : nous voulions déterminer s’il était dû à la pourpre antique, censée provenir d’un coquillage, le murex. En fait, il s’agissait d’une plante ! À l’appui de ces résultats, nous allons poursuivre l’étude sur la dizaine de manuscrits pourpres des VIe au IXe siècles que conserve la BnF."
Par ailleurs, avec ses collègues de Bussy-Saint-Georges*, Myriam Éveno intervient aussi sur des matériaux neufs, vérifiant l’innocuité des cuirs achetés pour la reliure, des gommes à papier des restaurateurs, ou des produits de réparation des cédéroms.
Ses conclusions, elle les verse au centre de documentation professionnelle de l’Atelier central de restauration. Certaines seront publiées ou communiquées lors de colloques où Myriam Éveno apprécie toujours de rencontrer d’autres experts, de France ou d’ailleurs, acquise à l’idée que ses travaux, pour évoluer et se développer, ne doivent pas bien sûr rester confinés entre les murs de son laboratoire…

Martine Cohen-Hadria


* Deux laboratoires internes, l’un opérant sur le site de Richelieu, l’autre au centre de conservation de la BnF à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) procèdent à des analyses micro-biologiques et physico-chimiques nécessaires à la sauvegarde des collections.