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Le don a toujours constitué une source majeure d’enrichissement
à la BnF, par l’apport de documents uniques tels que
les correspondances, les papiers d’écrivains ou les partitions
de musiciens, mais aussi par celui de certains livres imprimés
qui – on le sait moins – peut aider à
combler les lacunes du dépôt légal (il ne fut
réellement appliqué qu’à partir de la deuxième
moitié du XVIIe siècle).
Des éditions à tirage limité, par ailleurs, sont
devenues rares, ou introuvables. Enfin, l’édition internationale
et toute une production francophone à l’étranger
échappent par nature à ce dépôt. D’où
l’enjeu des dons. Donner peut résulter d’un élan
désintéressé… comme dériver de motifs
très prosaïques : "Souvent,
les 2e ou
3e générations
de familles d’écrivains y recourent lors de successions
qui se révèlent complexes, constate Monique Cohen,
directeur du département des Manuscrits, car
que faire de ces papiers, souvent volumineux ? La meilleure façon
de ne pas les disperser sera de les donner à la BnF, en totalité
ou non, et parfois d’en vendre une partie par nécessité
financière." Il arrive même que l’embarras
d’un déménagement joue sur la décision
du don. "Il peut y avoir toutes sortes
de motifs au don, que nous comprenons, convient avec réalisme
Antoine Coron, directeur de la Réserve des Livres rares.
Certains collectionneurs intéressés n’en sont
pas moins intéressants : chacun y trouve son compte".
Ailleurs, toutefois, le don résultera de longues relations
de confiance entre conservateurs et donateurs potentiels.
L’achat mécéné vaut également d’être
signalé : "C’est à
la générosité discrète d’Arnaud
de Vitry d’Avaucourt, de l’Association des Amis de la
BnF, que nous devons l’achat des carnets d’Albert Flocon
et de ses précieuses études de perspective, qui perpétue
une tradition d’entrées de carnets d’artistes à
la BnF", salue Laure Beaumont-Maillet, directeur du département
des Estampes et de la photographie. Large aussi le geste de Mme Najed
Ojjeh qui a permis d’acheter en vente publique le manuscrit
du Voyage au bout de la nuit de Céline
et l’exemplaire du Surréalisme
au service de la Révolution qui figurait dans la bibliothèque
d’André Breton !
Cohérence des collections
Une fois à la BnF, le don continue de croître, tel le
fonds Etiemble pour lequel 94 cartons sont encore arrivés aux
Manuscrits, en 2003. D’autres fonds prennent naissance :
en février 2004, les manuscrits de Gaston Leroux ont été
remis par ses héritiers à la Bibliothèque.
"Mais les dons modestes apportent aussi
leur pierre, souligne Monique Cohen. Nous
y tenons beaucoup." Ce livre d’or de l’Aéroclub
d’Alger paraît-il anecdotique ? À tort :
"Nous ne méprisons rien,
assure-t-elle, nous ne suivons pas les modes,
mais nos axes documentaires. C’est la cohérence des collections
qui sous-tend toutes nos acquisitions, onéreuses ou gratuites
". Et de citer le don de trois petits manuscrits, de deux
rouleaux magiques et d’un petit livre de prières dans
son étui de cuir, venus en février dernier rejoindre
la riche collection de manuscrits éthiopiens de la BnF.
"Les lecteurs du département des
Cartes et plans, révèle de son côté
Hélène Richard, son directeur, nous
rapportent parfois de voyage des cartes, dont ils ont mesuré
sur place tout l’intérêt. Car, absentes du marché
français, nous n’aurions pu les acheter. Même un
don modeste peut présenter un réél intérêt
documentaire." D’autre part, le dépôt
légal cartographique français n’a pas toujours
bien fonctionné. Or il s’agit d’éditions
coûteuses, exigeant une veille documentaire soutenue. L’INSEE,
l’Institut géographique national ou la RATP ont ainsi
versé au département des cartes ayant perdu leur actualité.
Non moins précieux pour le département sont les papiers
de géographes…
Quant aux bibliothèques entières qui sont parfois proposées
à la BnF, elles permettent d’y choisir des livres anciens
ou rares. Mais que son propriétaire soit illustre et ses livres,
annotés, alors la bibliothèque "fera sens"
et sera conservée dans son entier : ainsi, celle d’Anatole
France, ou celle de Maurice Barrès qui, outre ses échanges
littéraires, renfermait des livres imprimés hors dépôt
légal en Alsace-Lorraine, sous la domination allemande.
En 1997, le département Philosophie, histoire, sciences de
l’homme a reçu, pour sa part, 7000 documents de la bibliothèque
d’Alain Guy, philosophe féru d’hispanité,
(avec ses exemplaires dédicacés permettant de reconstituer
le cercle des intellectuels qui gravitaient autour de lui), et toute
une production éditoriale hispano-américaine, de 1955
à nos jours, qu’il eût été difficile
de se procurer en France.
Par ailleurs, "dans la grande famille
de la scène, les dons se recoupent et se répondent,
souligne Noëlle Guibert, directeur du département des
Arts du spectacle : les fonds André
Barsacq et Delphine Seyrig ; les fonds Renaud-Barrault et Desailly-Valère ;
le fonds Charles Dullin, membre du Cartel avec Louis Jouvet, Sacha
Pitoëff et Gaston Baty, membres du Cartel. Nous valorisons toujours
ces collections au travers d’expositions." Pour
autant, elle regrette que, pris dans l’effervescence du spectacle,
certains théâtres sous-estiment l’intérêt
complémentaire de don d’accessoires. "Car,
dit-elle, les trompe-l’œil
utilisés durant la guerre, la toile cirée des costumes
des "Oiseaux" d’Aristophane, mis en scène par
Dullin, plus vrais que la réalité, sont très
signifiants pour la recherche théâtrale."
Une
forme de renaissance
Et qu’en est-il de la motivation psychologique ? "En
remettant des œuvres à une institution prestigieuse et
pérenne, répond Catherine Massip, directeur du
département de la Musique, les donateurs
ont aussi aussi l’espoir que des spécialistes s’y’intéresseront
pour les commenter, les jouer, les éditer. Gaby et Robert Casadesus
ont donné leurs documents dans le souci qu’ils soient
connus et catalogués. Des maisons d’édition musicale,
elles, voulaient que leurs archives restent en France, par souci patrimonial.
Par cet équilibre entre la préservation du document
et notre rôle de diffusion et de communication, nous assurons
à l’œuvre une forme de renaissance."
On donne par confiance en l’institution :
"Quand l’avenir de la Bibliothèque de l’Arsenal
s’est éclairci, confie son directeur, Bruno Blasselle,
les dons ont repris… avec un ensemble
original sur la démonologie et les papiers d’écrivains
de l’Oulipo venus s’agréger au dépôt
Georges Pérec." Et puis il y a ces chercheurs ou
ces collègues de la BnF qui, par attachement à un département,
aident à compléter ses fonds (legs d’un exemplaire
de l’Encyclopédie de Diderot,
cadeau de l’édition originale de l’Essai
de Corvisart sur les maladies de cœur,
ayant appartenu à Napoléon 1er…),
heureux en cela de prendre part à la constitution des collections.
C’est aussi une façon de se survivre :
"D’aucuns, observe Michel Amandry, directeur du
département des Monnaies, médailles et antiques, attachent
leur nom à des ensembles exceptionnels : la collection
Delepierre de 10 000 monnaies grecques, ou les 7000 sceaux byzantins
de la collection Zacos".
"Parmi nos donateurs, témoigne
encore Pierre Vidal, directeur de la Bibliothèque-Musée
de l’Opéra (département de la Musique),certains
ont le sentiment de laisser dans l’espace de l’Opéra
Garnier le souvenir ému de parents qui, jadis, y jouèrent
un rôle. Par exemple, la veuve de l’architecte Charles
Garnier. Ou les filles de la danseuse et maître de ballet, Léone
Mail, faisant don du tableau qu’elle acheta avec son premier
cachet..." À cette dimension affective, les conservateurs
sont très attentifs, d’autant que donner un objet ou
un manuscrit peut être vécu comme une séparation.
Dimension
affective
À cette dimension affective, les conservateurs sont très
attentifs, d’autant que donner un objet ou un manuscrit peut
être vécu comme une séparation.
Le donateur, dûment remercié, est assuré du respect
absolu de ses réserves de communication, de ses droits moraux
et intellectuels sur l’œuvre. Pour un artiste vivant, l’exposition
hommage de la BnF vaudra parfois consécration. Pour d’autres,
les colloques, les journées d’étude appuieront
la reconnaissance intellectuelle. Au besoin, (en particulier lorsqu’il
s’agit d’une bibliothèque entière) les dons
entameront leur seconde vie par un dépoussiérage ou
une désinfection au centre de conservation de la BnF, à
Sablé-sur-Sarthe, très équipé pour leur
préservation ou leur sauvetage. De leur côté,
les conservateurs se chargent d’une tâche qui serait parfois
trop lourde ou trop émouvante pour les familles, celle de redonner
cohérence – par un archivage expert et très professionnel,
à des documents en vrac, chargés de souvenirs et qui,
en l’état, seraient du reste sans valeur sur le marché:
Par exemple, le savant reclassement de papiers d’écrivains
de l’Oulipo facilitera le travail de la recherche. De même,
les fonds Iannis Xenakis ou Hélène Cixous auront suscité
autour d’eux des mouvements d’idées.
Féconds
prolongements
"Donner à la BnF, conclut
Antoine Coron, n’est pas courir le risque
de voir disparaître le document dans quelque obscur magasin
inaccessible… C’est le mettre en lieu sûr, mais
un lieu de vie, où il sera valorisé par des expositions
et par un travail sur l’œuvre". Il y a une
vie après le don.
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