Abraham Bosse, graveur et savant
Parmi les mille cinq cents gravures d’Abraham Bosse (v. 1604 - 1676), les plus célèbres représentent des scènes de la vie quotidienne. Réalisées avec un grand souci du détail, elles comptent parmi les documents les plus utilisés pour illustrer le XVIIe siècle dans les manuels d’histoire. Deux expositions, l’une organisée à la BnF, l’autre au Musée des Beaux-Arts de Tours, présentent plusieurs aspects de l’œuvre du graveur. Entretien avec Maxime Préaud, commissaire de l’exposition parisienne.
 

 
Chroniques : L’exposition de la BnF présente les débuts d’Abraham Bosse. Celle qui aura lieu à Tours insistera sur l’aspect scientifique. Pourquoi ce parti pris ?

Maxime Préaud : En réalité, la distinction entre les deux expositions est d’abord chronologique. Elles se suivent en se complétant. Mais il se trouve que c'est principalement dans la deuxième partie de sa carrière que Bosse a développé son intérêt pour les mathématiques, la géométrie et la perspective au point de leur consacrer l’essentiel de son activité. Je m’empresse d’ajouter que cette division ne signifie pas qu’on ne montrera à Paris que des balbutiements et, à Tours, que des figures de géométrie. Au contraire, il y aura dans les deux expositions une sélection des pièces majeures de l’œuvre de Bosse. On trouvera également à Tours des peintures du XVIIe siècle étroitement inspirées de ses estampes.

Ch. : Quels graveurs contemporains d’Abraham Bosse avez-vous choisis pour illustrer le contexte artistique des débuts de l’artiste ? Quels liens entretenaient-ils avec l’artiste ?

M. P. : La question était délicate. En effet, Bosse est un artiste prolifique, et il convenait de montrer tous les aspects de son œuvre. La place manquait donc pour exposer tous les graveurs de talent qui, avec lui, ont participé au développement de la gravure en taille-douce à cette époque en France. J’ai limité mon choix à ceux qui furent ses maîtres déclarés, comme Merian ou Callot, ses collaborateurs directs, comme Rousselet, Briot ou Lasne, des amis comme Mellan ou Nanteuil, des graveurs travaillant dans le même esprit, comme Rabel, Brebiette ou Della Bella, ou même Isaac qui, lui, est franchement du côté de l’image populaire vers laquelle Bosse penche parfois. Le but est évidemment de montrer que, tout en étant un esprit fort original, Bosse n’est pas une figure isolée dans son siècle. C’est aussi l’occasion de manifester que le monde de l’estampe ne se réduit pas à quelques noms.
Biographie sommaire
d'Abraham Bosse


1602 ou 1604 : naissance à Tours, fils d’un tailleur protestant d’origine allemande
1620 : début de son apprentissage chez Melchior Tavernier
1628 : rencontre avec Jacques Callot
1642 : Girard Desargues et Abraham Bosse prennent un privilège pour imprimer "les figures de leur invention"
1645 : publication du Traité des manières de graver en taille douce
1647 : Bosse publie la Manière universelle de M. Desargues pour pratiquer la perspective
1648 : professeur de perspective à l'Académie royale
1649 : Bosse voyage aux Pays-Bas
1661 : après son exclusion à la suite d'une dispute avec Le Brun, il fonde une école libre que le Roi fait fermer. Jusqu'à sa mort, il écrit des libelles pour sa défense et des ouvrages sur la perspective.
1676 : décès à Paris.
  Ch. : Qu’est-ce qui caractérise les premières gravures de cet artiste ?

M. P. : Les toutes premières gravures n’ont rien de caractéristique : comme tout apprenti, il fait de la copie et se forme au métier. Mais très vite il développe une manière qui lui est personnelle, faite d’exactitude, de précision et de rigueur dans la mise en page, en même temps que d’élégance, de chaleur et de sensibilité dans la représentation des personnages et de leurs sentiments. La "couleur" des estampes de Bosse n’appartient qu’à lui.

Ch. : Au cours de sa carrière, il développe ses centres d’intérêts : scènes représentant les métiers, planches scientifiques, sujets historiques, littéraires, religieux. Pouvez-vous présenter ses œuvres majeures ?

M. P. : Les œuvres qui ont fait le succès de Bosse auprès de ses contemporains et qui devraient aujourd’hui encore plaire le plus à notre public sont celles où il a représenté la vie de son temps, ce qu’il fait même quand il s’agit de sujets historiques ou religieux. Par exemple, deux de ses suites religieuses les plus célèbres, L’Histoire du Fils prodigue et Parabole des vierges sages et des vierges folles, montrent des personnages, des costumes, des habitations et des intérieurs des années 1630. La suite dite des Métiers est extraordinaire de précision dans la description des outils et des gestes, de même que les suites du Mariage à la ville ou du Mariage à la campagne. Ce ne sont d’ailleurs pas des images purement descriptives. Il est évident que Bosse est un romancier ou un dramaturge en puissance. Dans chaque image, il raconte une histoire digne de Molière, de Sorel ou de Furetière. Il a un grand talent d’observateur. Je défie le plus grincheux de nos visiteurs de ne pas être ému et amusé en écoutant bavarder les fillettes chez La Maîtresse d’école.

Ch. : Sa rencontre avec le géomètre Girard Desargues a été également déterminante, dans son étude des perspectives. Quel fut son apport dans ce domaine ?

M. P. : L’apport de Bosse dans ce domaine est difficile à déterminer. Je dirais que son intérêt principal réside dans les discussions, voire les disputes qu’il a provoquées dans le milieu artistique de son temps. Les querelles autour de la perspective (faut-il représenter les choses telles qu’elles sont, ou telles qu’on les voit, ou telles qu’on croit les voir ?) ont une actualité permanente jusqu’à l’avènement de l’abstrait et du conceptuel.

Propos recueillis par Florence Groshens


 
Un Traité des manières de graver en taille-douce
Le Traité des manières de graver en taille-douce constitue un véritable manuel, le premier du genre à l’usage des graveurs à l’eau-forte. Il fut maintes fois réédité, traduit et imité. Ce procédé, encore jeune à l’époque, fut amélioré par l’illustre Jacques Callot, que Bosse avait eu l’occasion de rencontrer. Il continuera encore, tout en cherchant à obtenir grâce à ce procédé, mais plus rapidement encore, la même rigueur et la même précision graphique que donne le burin, qui était alors l’art de la gravure par excellence.

Des œuvres commandées ?
Les œuvres d’Abraham Bosse résultaient en partie de commandes, notamment les pièces qu’il réalisa au début de sa carrière, alors qu’il travaillait encore sous la dépendance de Melchior Tavernier, son maître d’apprentissage. On peut considérer également que les illustrations des livres dont il n’est pas l’auteur sont des ouvrages de commande. Mais les estampes majeures de son œuvre, celles qui concernent les métiers ou la vie quotidienne, furent doute composées de sa propre initiative, même s’il n’en était généralement pas lui-même l’éditeur.

Le conflit qui opposait Bosse et Le Brun
Le conflit entre Bosse et Le Brun prit naissance dans une dispute entre les deux hommes qui portait moins sur la perspective que sur son application à la peinture. La notion de perspective des peintres, qui peignent à peu près ce qu’ils voient, s’opposaient à celle des géomètres, qui tenaient à ce que la peinture représentât les objets tels qu’ils étaient, selon des règles mathématiques absolues. Bosse accusait ainsi Le Brun et ses élèves de peindre sans souci des lois de la géométrie. Cette difficulté de taille était aggravée par les caractères respectifs des deux hommes : celui, impérieux de Le Brun (qui était tout de même le Premier peintre du roi) et celui, "haut à la main" et obstiné de Bosse. Il faut aussi mentionner l’écart hiérarchique supposé qui existait alors entre l’art de la peinture et celui de la gravure. Et puis, encore, des différences de religion, Bosse étant un protestant affirmé sinon convaincu.
 
En savoir plus


Abraham Bosse, savant graveur (Tours v. 1604 - Paris 1676)
À PARIS
Du 20 avril au 11 juillet 2004
Commissaire : Maxime Préaud
Site Richelieu – Galerie Mazarine
Entrée libre

À TOURS 
Du 17 avril au 18 juillet 2004
Commissaire : Sophie Join-Lambert
Musée des Beaux-Arts
Entrée : 4 €  – TR. : 2 €
Tél. : 02 47 05 68 73
Catalogue Abraham Bosse, savant, graveur
Coédition BnF-Musée des Beaux-Arts de Tours