Cécile Reims ou le "voyage au fond de soi"
"On fit comme toujours un beau voyage, de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi." Victor Segalen

La BnF présente l’œuvre de Cécile Reims. Celle qui fut l’interprète en gravure des dessins de Hans Bellmer, de Leonor Fini et de Fred Deux a réalisé plus de 200 œuvres. Elle vient d’achever La Grande Muraille, un ouvrage illustrant un poème de Victor Segalen. Entretien.
 
Chroniques : Vos premières gravures portent sur des sujets réalistes où le trait révèle un talent de dessinateur. Pourquoi êtes-vous allée vers la gravure plutôt que vers le dessin ?

Cécile Reims : J’ai découvert la gravure en rencontrant Joseph Hecht. À l’époque, j’étais désemparée, désorientée. Sa rigueur, celle de l’outil dont il était le maître – le burin – posèrent des balises là où j’en ressentais le manque. Je continuais à fréquenter les séances libres de croquis à la Grande Chaumière à dessiner des paysages de banlieue, celles des terrains vagues et des usines désaffectées – lieux de désolation –, mais cette divagation était désormais encadrée par les exigences et les limites du burin. Je dessinais en vue de graver ces dessins.

Ch. : Vos rencontres avec Joseph Hecht en 1950, puis avec Fred Deux en 1951, furent décisives dans ce choix.

C. R. :
Ma rencontre avec Joseph Hecht fut fortuite. J’étais à l’écoute du hasard, attendant de lui qu’il m’indique une direction. Ma rencontre avec Fred Deux était, elle, tout à fait improbable : nous venions d’horizons différents. Je me croyais "de passage" en France. Venue – revenue – y soigner une grave tuberculose qui s’était révélée pendant le siège de Jérusalem. Israël restait, après le désastre qui avait en Europe anéanti ma famille, un rêve utopique. Je ne m’imaginais pas vivre ailleurs qu’à Jérusalem. Fred Deux me fit découvrir une autre voie : celle qui n’a pas de destination, un chemin âpre, périlleux où j’allais pouvoir mettre en pratique les paroles de Rabbi Nachman de Bratslav : "Ne demande pas ton chemin à qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer". Je suis toujours allée vers la difficulté et j’ai accompagné Fred sur ce chemin.

Ch. : Votre œuvre, dans les années 50, reflète une vision du monde anthropomorphique où la condition humaine se confond avec celle animale dans une nature minérale et mélancolique. Que souhaitez-vous montrer dans Les Métamorphoses d’Ovide, Bestiaire de la mort, et Cosmogonies ?

C. R. : Les Métamorphoses d’Ovide et Bestiaire de la mort furent le moyen de sortir – sans y renoncer – de l’expression figurative qui était jusqu’alors la mienne : une manière de la détourner par l’étrangeté, en plaçant des animaux dans un univers essentiellement minéral, invivable pour leur espèce. Le désert reviendra plus d’une fois dans mes gravures d’où l’être vivant sera désormais absent (sinon sous sa forme la plus élémentaire, infime partie ou principe d’un tout). Avec Cosmogonies, je franchis le pas et aborde l’imaginaire. C’est le monde de la création tout en désir et promesse, comme les Métamorphoses ou le Bestiaire sont celui de tous les possibles devenus impossibles. C’est peut-être de cette nostalgie qu’ils sont empreints.

Ch. : Après Cosmogonies, vous entamez une période de joie "artisanale", avec le tissage et remportez un certain succès. Pourquoi avoir arrêté le tissage pour une collaboration avec Hans Bellmer dont l’imaginaire est plus sombre et plus compliqué ?

C. R. : J’ai cessé de graver après Cosmogonies parce que je ne pouvais aller au-delà. L’artisanat d’où tout questionnement était évacué (où questions et réponses n’étaient que d’ordre manuel), fut effectivement une période paisible. Je ne crois pas que j’aurais pu indéfiniment m’en satisfaire. La satisfaction, j’y aspire, mais ne saurais y vivre. La rencontre avec Bellmer fut un prodigieux cadeau du hasard. Toucher un cuivre me bouleversait. Bellmer me donna l’occasion – grandiose ! – d’y revenir et de me découvrir : graveur- interprète, dont un autre que soi-même (toujours suspect) accepte, reconnaît la juste traduction de son dessin en gravure. Son univers n’était pas le mien mais la facture "académique" de son dessin m’était accessible. Il m’offrait l’occasion, dans le cadre de la gravure, de continuellement me dépasser, ce qui était mon besoin profond, dans une absence à soi qui était aussi une forme de dépassement. Je ne sais si, sans cette rencontre, j’aurais pu par la suite accéder à nouveau à mon propre vocabulaire.

Ch. : Vous dites que l’interprétation d’une œuvre participe à un "désir d’exister dans cet espace qui ne vous appartient pas".

C. R. :
L’interprétation d’une œuvre me permet de m’évader de mon territoire, que je ressens restreint. Paradoxalement, ce qui pourrait paraître ici comme contrainte m’ouvre un espace de liberté.

Propos recueillis par Marie-Cécile Miessner
et Florence Groshens



En savoir plus

Cécile Reims, graveur et interprète
de Hans Bellmer et de Fred Deux


Du 6 avril au 30 mai 2004
Commissaire : Marie-Cécile Miessner
Site Richelieu – Crypte
Entrée libre