Qui dit édition ou diffusion en France, dit dépôt
légal à la Bibliothèque nationale de France.
Cette obligation, conçue dès 1537 par François
1er, visait à enrichir ses royales collections et à
garder l'œil sur tout ce qui pouvait s'imprimer dans le royaume.
Depuis, et hormis une brève interruption pendant la période
révolutionnaire, cette collecte du dépôt légal
a perduré. De nos jours, elle constitue la mémoire de
la Nation et nourrit le travail des chercheurs.
Mais son exhaustivité n'est pas acquise, ni automatique.
Pascale Gilbert, chargée de veille éditoriale pour le
dépôt légal des livres à la BnF, le rappelle:
“On sait qu’on ne reçoit
pas la totalité de la production éditoriale en France.
Certains titres nous échappent. Notre mission est de les repérer
et de les faire entrer à la bibliothèque.”
Cette régularisation faite, les documents, avant de rejoindre
les magasins de conservation, sont signalés dans la Bibliographie
nationale française en ligne, dont les notices normalisées
décrivent avec rigueur chaque ouvrage et alimentent le catalogue
de la BnF: "Elle est un réel outil
pour les bibliothécaires français et étrangers,
qui y trouvent des notices de référence qu’ils
peuvent récupérer en ligne, souligne Anne Bommier-Chasle
en charge de cette bibliographie, mais aussi
pour les éditeurs qui y gagnent en visibilité et pour
tous ceux qui sont amenés à consulter le catalogue de
la BnF, en salle de lecture ou à distance".
Jusqu’en 1998, la veille éditoriale consistait surtout
à croiser le dépôt légal de l’éditeur
et celui de l’imprimeur (1). Lorsque Pascale
Gilbert prend ce poste, sa tâche n’est pas mince
: la production éditoriale croît vertigineusement au
fil du temps. Comment repérer les lacunes dans la masse des
50 000 ouvrages qui, tous les ans, sont alors déposés
? Outre le contrôle croisé éditeur-imprimeur,
elle sollicite la participation de ses collègues qui, à
l’occasion d’une acquisition ou d’une interrogation
du catalogue peuvent constater qu’un titre n’a pas été
déposé. Parfois, c’est par un lecteur en quête
d’un titre que remontera l’information …
Des grands groupes aux petits éditeurs
Au regard du dépôt légal, l'éditeur défaillant
n’a pas un profil unique : il peut tout aussi bien s’agir
de modestes maisons d’édition que de grands groupes produisant
des centaines de titres par an. Une fois le déposant irrégulier
ou absent identifié, Pascale Gilbert examine l’ensemble
de sa production et réalise des sondages dans diverses bases
de données. “Si les lacunes se
confirment, un travail plus précis est à faire,
explique-t-elle, titre à titre”.
A côté du monde des éditeurs professionnels, existent
des organisations n'ayant pas vocation commerciale à éditer
mais qui, ponctuellement, produisent un certain nombre de documents
: universités, instituts et laboratoires de recherche, associations,
sociétés savantes d’historiens ou d’amis
d’écrivains, galeries d’art, musées, collectivités
locales, entreprises … “ Or il
est important que ces publications entrent aussi dans les collections
patrimoniales, souligne Pascale Gilbert ”. Pour les repérer,
elle s'arme de patience, écumant divers catalogues en ligne
dont le Sudoc (2), et faisant défiler des milliers de notices…
parmi lesquelles des trouvailles finissent par surgir. Par exemple,
telle société savante produisant les actes de ses colloques
ou tel éditeur de dimension artisanale qui publie des traductions
d’auteurs inconnus en France. Elle lance alors une réclamation,
suivie au besoin d'un travail d'explication et de persuasion.
Si la plupart des éditeurs se montrent réactifs, réceptifs
à l'argument patrimonial, certains en saisissent moins l’intérêt.
Les lettres de relance sont alors réitérées.
En général, la régularisation intervient dans
un délai d’un à six mois. C’est un travail
qui prend du temps.
Pour corser la difficulté, on voit aussi fleurir chaque année
nombre de nouvelles maisons d’édition. A charge pour
Pascale Gilbert de les repérer dans les différents salons
du livre, où elles peuvent avoir leur stand, ainsi qu'à
d'autres manifestations professionnelles.
En outre, Internet est devenu une précieuse source d’information
pour la veille éditoriale. La Toile peut réserver des
surprises et, de liens en liens, comme un fil qu'on tire, ramener
des ouvrages… vingt à trente ans après leur parution.
Ainsi, cette demande faite sans grand espoir à une Archive
départementale qui, contre toute attente, exhuma quatre exemplaires
d’un ouvrage du XIXe siècle, endormi sur ses rayonnages
et qu'on pensait perdu ! “ C’est
un travail à temps plein, qui exige un suivi constant,
dit-elle. Mais les résultats sont là
: plus de 10% des dépôts de 2004, soit 6 500 titres,
sont issus de la veille éditoriale ”. (3)
Six tonnes de papier par semaine
Sous les termes de dépôt légal des "périodiques"
ou des "publications en série", on n'entend pas seulement
les quotidiens, hebdomadaires ou autres vendus en kiosque, mais aussi
la partie cachée, aux yeux du grand public, d'un iceberg qui
englobe des grandes revues scientifiques, des bulletins d’associations,
de syndicats, de partis politiques, de mairies, des journaux professionnels
et d’entreprise, ou encore des publications officielles comme
Le Journal Officiel, les publications
des rectorats etc. C'est là une matière de choix pour
la recherche en sciences sociales, selon Dominique
Brégiroux, responsable de la Bibliographie nationale
française des Périodiques : “A
côté de la presse magazine et de revues d'étude
et de recherche, dit-il, nous recevons principalement des titres qui
sont les organes d’expression de tous les types d’organisations
de la société civile, et qui forment un fonds incomparable,
offrant un panorama intéressant de l’état social
et idéologique de la France et de ses évolutions : cela
va du fanzine tendance gothique au bulletin de l’office HLM”.
60 000 titres de périodiques sont déposés régulièrement
à la BnF. Leur périodicité génère,
par définition, nombre de numéros qui démultiplient
le traitement : pas moins de 4 000 fascicules de journaux différents
arrivent chaque jour, soit six tonnes de papier hebdomadaires. Ils
sont déballés, compostés et classés. L’opération
de bulletinage permet de pointer les lacunes et de faire les relances.
“Le bulletinage est au cœur de
notre travail”, indique Iegor
Groudiev, chef du service de la gestion des Périodiques.
"En 2004, 20 000 réclamations
ont été lancées pour compléter les collections
patrimoniales”. Ce travail se complique par l’émergence
annuelle de 4500 nouveaux titres, qui sont alors décrits dans
la Bibliographie nationale française.
S’y ajoutent les titres qui disparaissent et ceux qui changent
comme, par exemple, l’Evénement
du Jeudi devenu L’Evénement
et qui, racheté un temps par France-Soir,
mua en L’Evénement-France soir.
La veille éditoriale se révèle donc là
aussi capitale. Pour identifier les titres non déposés,
on recourt au contrôle croisé éditeur-imprimeur
et à la consultation de divers catalogues et revues de presse
qui répertorient les nouvelles publications. Ou encore à
des contacts pris au salon des Revues et auprès d'associations
professionnelles de presse, etc. Un
fichier numérique en dépôt légal
La presse quotidienne régionale occupe une place importante
dans ce paysage, d'autant que trente-neuf titres de quotidiens régionaux
se déclinent en 400 éditions locales ! Ainsi, Ouest-France
avec ses éditions pour Quimper, Rennes, Caen... “Jusqu’ici,
explique Iegor Groudiev, le lecteur de la
BnF avait seulement accès à un microfilm rassemblant
les différentes pages de toutes les éditions du quotidien.”
Depuis 2004, la BnF tente une expérience avec Le
Populaire du Centre, qu'elle souhaite étendre à
d'autres quotidiens : il s'agirait pour l'éditeur de déposer
le fichier numérique du quotidien, au format PdF. Seraient
ainsi offerts au lecteur une consultation sur écran et l'accès
par moteur de recherche à l’article voulu. “Potentiellement,
explique Iegor Groudiev, on pourrait donc,
dans les décennies à venir, disposer de la source numérique
des documents, ce serait une avancée extraordinaire en termes
de conservation et de consultation ! ”. Cette simplification
du dépôt légal pourrait contribuer à resserrer
les liens, déjà positifs, que la BnF entretient avec
le monde de l'édition. |
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Les autres facettes du dépôt légal
Il est d’autres types de supports dont certains
départements spécialisés de la BnF
ont reçu habilitation à traiter le dépôt
légal : les phonogrammes, vidéogrammes,
multimédias, documents informatiques sont ainsi
collectés par le département de l'Audiovisuel.
Les partitions musicales, méthodes pédagogiques,
les matériels et chorégraphies vont à
celui de la Musique.
Les gravures, estampes, tirages photographiques sont attribués
au département des Estampes et de la photographie.
Enfin les documents carto-graphiques, topographiques,
hydrographiques, et jusqu’aux images de télédétection,
sont déposés au département des Cartes
et plans.
À ces différents supports correspond une section
de la Bibliographie nationale française, dont les
notices sont rédigées par les experts des
départements, et qui sont très consultées
des bibliothécaires français et étrangers,
ainsi que des chercheurs et des spécialistes. |
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Le
dépôt légal face au défi du
Web
L'apparition du Web et la masse gigantesque d'informations
qu'il véhicule, lancent un formidable défi
au dépôt légal dont la mission est
de préserver notre mémoire collective à
l'intention des générations futures. C’est
pourquoi une exception au droit d’auteur s’est
imposée dans le projet
de Loi sur le Droit d'auteur et les Droits voisins dans
la Société de l'Information, qui
sera prochainement soumis au Parlement, afin d'étendre
le champ du dépôt légal "aux
signes, signaux, écrits, images, sons ou messages
de toute nature qui font l'objet d'une communication au
public par voie électronique".
Pas moins de 500 000 sites sont considérés
comme des sites français, pouvant donc relever
du dépôt légal. La procédure
de collecte alliera deux techniques complémentaires
: l’une par capture, à l'aide de robots capables
de parcourir les sites et leurs liens pour réaliser
une collecte automatique. L’autre, par dépôt
des éditeurs, pour les sites difficiles à
collecter ou très importants pour la politique
patrimoniale de la BnF.
A ce vaste chantier, la BnF s'est préparée
depuis 1999. A titre expérimental, elle a déjà
collecté les sites électoraux, lors de la
présidentielle, des législatives, des régionales
et des européennes, entre 2002 et 2004. Elle est
aussi tête de file du Consortium international pour
l'archivage sur la Toile, qu'elle a contribué à
créer, et qui regroupe une dizaine de grandes biblio-thèques
patrimoniales.
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