Salon du Livre - L'inventaire des documents russes conservés
au département des Estampes et de la photographie
  Le regretté Yankel Karro, qui fut assistant au département des Estampes et de la photographie, avait rédigé une note sur l'inventaire des documents russes en matière d'estampes et de photographies. Ses commentaires et explications, éclairants pour le chercheur ou pour l'amateur en quête d'images de sources russes, sont de nature à les intéresser et à aider leur recherche.
  Filer la métaphore du polder (marais littoral endigué) peut paraître un brin recherché, littéraire…Or cette image permet de mieux comprendre l'attitude de celui qui se nourrit d'un élément dont il se défend tout autant. Ce détour marin nous servira donc à caractériser l'inventaire recensant les "images russes" dont il est ici question.
Il est vrai que cette comparaison avec le polder pourrait s'appliquer à l'établissement de tout catalogue au sein du département des Estampes et de la photographie (quinze millions de documents environ). Mais pour ne pas trop "glorifier" cette tâche, il conviendrait d'ajouter que, s'agissant au départ d'un recensement cumulatif et non sélectif (excluant cependant des artistes mille fois décrits comme Leprince et Raffet), la recherche en amont n'en était donc pas ralentie par un effort d'analyse.

L'intérêt de ce catalogue (4602 notices, consultables sur BN-OPALINE, programme choisi par les départements spécialisés de la BnF) consistait à découvrir ce qui n'était pas repérable, ou ce qui était insoupçonné, afin de ne pas errer. Les registres d'inventaire du fonds d'estampes et le catalogue par cotes servirent de pierre angulaire pour un premier tour de piste. En bref, cette entreprise n'avait de raison d'être qu'envisagée dans l'esprit bibliothéconomique traditionnel et l'esprit documentaliste, plus aventureux, plus créatif, entrant dans un nouveau répertoire situé entre l'histoire, la géographie et les sciences humaines, avec l'art comme pivot central.
Travail ambitieux à cause du nombre de documents à consulter et incertain (jusqu'à l'anxiété, car devant une telle masse, on pouvait toujours craindre de passer à côté de la pièce rarissime), il fallait, pour mener fermement ce projet, accepter certaines incertitudes (cotes provisoires) et, pour éviter l'arbitraire, trouver avant tout le "document phare" : ARTISTES RUSSES MECONNUS.

Une galerie de personnages russes célèbres et oubliés

Dimitriï Rovinski, historien d'art de la fin du XIXe siècle est la référence pour la Russie. Le département des Estampes et de la photographie conserve une série d'images populaires (loubki) qui sont commentées par lui.
Rovinski est d'autre part, pour ce qui est de l'inventaire des estampes concernant la Russie, l'auteur d'un répertoire qui recense les graveurs russes depuis 1564 (Moscou, 1870). Et, comme la règle de jeu de notre investigation était de suivre des sentiers de traverse, de se frayer un chemin dans l'inconnu et le méconnu, je pus intégrer, parmi l'ensemble, les œuvres d'Evgraf Petrovitch Tchemesov, ainsi que celle d'Ivan Arkhipovith Berseniev, qui présentent des galeries de personnages russes, célèbres et oubliés (Ec-17f-Fol et Ec-17g-Fol.).
Ces portraits réalistes nous montrent la société russe dans sa diversité : souverains, puis aristocrates, savants et hauts fonctionnaires, en partie perdus dans les limbes de l'oubli, que nous retrouvons aussi dans l'humus littéraire d'une Russie somptueuse et maladive, prise dans le carcan impérial. On voit par là que les images, même celles des "âmes mortes" sont là pour redonner force à la littérature. Disant cela, je pense concrètement au profit des publics du département : historiens d'art, étudiants ou confirmés, producteurs de cinéma, de télévision, purs littéraires, etc.

Ne pouvant tout citer, je retiendrai parmi les artistes méconnus, le dessinateur et peintre Fedor Grigor'evitch Solntsev qui fut désigné pour illustrer le rarissime ouvrage que le département possède : Drevnosti Rossiïskogo Gosoudarstva izdannye po vysotchaïchemou poveleniiou Gosoudariia Imperatoraa Nikolaia 1 (Gb-94-Fol) (œuvres anciennes appartenant à l'Etat russe, recensées par la volonté de son Altesse impériale, l'empereur Nicolas 1er).
Certes, pour un familier de la Russie, l'histoire comme la littérature semblent connues et ingérées par imprégnation quand elles ne le sont pas par fréquentation assidue. Mais à travers cet ouvrage, la précise présentation des objets du pouvoir peut permettre d'aller plus loin, rendant évident en une seule fois ce qu'un texte, même le meilleur, maintiendrait dans les brumes d'un histoire souvent folklorisée. Et cela est particulièrement vrai pour l'univers russe, parcouru par tous les volontarismes idéologiques. Ainsi, il suffit de considérer les détails du heaume d'apparat d'Alexandre Nevski (1220-1263), portant en proue les premiers mots en caractères arabes de la profession de foi coranique, signe d'allégeance à la Horde d'or islamisée, pour comprendre tous les jeux d'alliance qui ont peut être déterminé plus tard la tradition diplomatique de l'Empire russe d'hier et d'aujourd'hui, aimanté par son Orient incertain.

Eaux-fortes, lithographies, photographies d'artistes…
L'Empire russe, de la Baltique au Pacifique nord et de l'Océan glacial à la Mongolie, est dans nos fonds dépeint par des eaux-fortes, des lithographies, des photographies d'artistes réputés ou occasionnels, ressuscités en un anonymat d'autant plus émouvant que leur héritage mérite une attention soutenue, non pas tant pour la qualité artistique mais pour la rareté du témoignage.
En ce qui concerne la Russie proprement dite, je ne m'étendrai pas sur la topographie, costumes et mœurs étant facilement repérables.
En revanche, il me semble préférable de guider l'utilisateur des collections vers les documents frontaliers, ceux qui montrent les populations allogènes vivants sur deux mondes : expéditions en Laponie qui recouvre les territoires russes et finlandais. (Og-mat.a - boîte, cote provisoire) et, plus téméraire, le choix des Tatars de Chine, intégrés dans l'Empire mandchou (Mandarin tartare. Oe-47-Fol).
C'est dans rubrique Matière, selon le classement traditionnel de l'ancien Cabinet des Estampes, que nous trouvons les documents les plus passionnant : il s'agit de photographies, datant sans doute de la toute fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui, non par la qualité mais par le sujet même (scènes d'intérieur de la bourgeoisie ou de la noblesse, clichés pris dans le Palais d'hiver) donnent la cote documentaire la plus élevée à l'ensemble : PHOTOS GENANTES ET RENOUVEAU.
Il convient ici de ne pas se voiler la face et de signaler les "difficiles" documents laissés par les services de propagande nazie, révélant les images les plus sordides de la Russie et de ses habitants, considérés dans la hiérarchie des peuples européens comme Untermenschen (avec des images de taudis, d'enfants et de femmes décharnés) pour glorifier en contrepartie la partie balte, surtout l'Estonie et la Lettonie, moins slaves que la Lituanie - aussi propre que blonde, en un mot, digne d'être "aryenne du meilleur cru".
Plus tard, les années cinquante et soixante sont mises en relief par les documents d'agences soviétiques et américaines, documents grâce auxquels on suit à la trace l'autre hémisphère de l'intolérable : la stalinienne Union soviétique. Par exemple, Le jeune Kona devient Staline. Commissaires du peuple haranguant la foule (Qd-4-Fol-3). Et puis, brusquement, l'annonce d'un apparent dégel krouchtévien, qui se manifeste dans les aspects les plus "futiles" de la vie quotidienne : les salons de coiffure, la mode, les plages… Le western way of life qu'il nous plaît de découvrir aujourd'hui en Chine.

Bien que le rideau qui sépare le bloc socialiste soit toujours de la même matière, cette Russie allégée est représentée comme la petite sœur un peu retardataire de l'Amérique, telle que l'avait prédite Alexis de Tocqueville. Sur un certain plan d'ailleurs, elle la dépasse par le charme, si l'on considère l'impact médiatique de Youri Gararine, de Valentina Terechkova, de la chienne Laïka dont l'ancêtre cosmonaute canine se nommait Frisette. Comme son modèle yankee, l'Union soviétique de nos photos d'agence oscille entre bigoudis et fusée spatiale. (Ob-mat.Russie (boîte) cote provisoire).
Espérant avoir pu démontrer les avantages de cet inventaire, je tiens aussi à avertir le lecteur de ses imperfections, qui relèvent avant tout de l'inflation documentaire, ainsi à part l'évidence que certains documents aient pu échapper à mon attention, je voudrais être le plus clair possible sur ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire le recensement d'ouvrages dont la cote est provisoire, donc concrètement difficile à trouver. Or ce choix, soumis à critique, a volontairement été fait pour "sauver" des pièces destinées au sommeil total (photographies, en particulier). Outre ces imperfections, ce recensement reste à structures ouvertes, perfectible et interrogeable par Internet.

Yankel Karro



Eclaircissements sur la conception analytique du répertoire consacré à la Russie au département des Estampes et de la Photographie par Yankel Karro.

Il convient d'être clair sur le fait que cet inventaire ne tient pas compte des cotes immédiatement repérables, ainsi sont exclues les cotes :
De Vc-339 à Vc-348-Fol : Russie ; Caucase ; Asie centrale

En revanche, si une recherche concerne les mœurs et les costumes, ne pas oublier que les volumes consacrés à la topographie peuvent répondre aussi à cette nécessité. Exemple :
Vc-339-Fol : Astrakhan : Eglises, mosquées, chevaux et cavaliers

Cet inventaire n'est pas lié uniquement à une unité géopolitique. Il tient compte de la continuité ethnique de part et d'autres des frontières : par exemple, pour les populations d'origine turcique, caucasienne, persane, etc., c'est la nationalité qui prime. Ne pas oublier de compléter la recherche :
Ob-972-Fol (Caucase) - Complété par : Vd-7-Fol (Turquie)

La Russie, comme on l'oublie parfois, ne se contente pas d'être eurasiatique, elle revendique aussi une vocation transcontinentale américaine. Les expéditions de Vitus Bering sont parties de côtes de Sibérie orientale, considérée déjà comme partie de l'Amérique russe :
Alaska russe : Ua-13a-4° ; Xf-39-4° ; Ep-58 (1)-Fol - Complété par Vd-21-Fol (topogr. Améric.)

Pour les îles Kodiak, Aléoutiennes, voir en premier l'œuvre du peintre russe Louis Choris qui, compagnon du navigateur Otto von Kotzebue (russe d'origine balte) présenta "au microscope" les Aléoutes et leurs voisins.

Enfin, pour les îles Kouriles, culturellement russo-japonaises
Ob-31d-4 (Iles Kouriles) - Od-22-Pet.fol (Japon et Sibérie). etc.