Rencontres littéraires franco-chinoises 
Interviews de 4 écrivains français
Philippe Forest

Ch. Quels sont vos rapports littéraires avec la Chine ?
P. H. : Mes deux romans sont là-bas en cours de traduction
(chez Zhejiang People's Publishing House) et devraient paraître d'ici quelques mois. Je connais un peu la littérature chinoise contemporaine pour laquelle j'ai une vraie curiosité mais je n'en suis pas un spécialiste. Je me sens plus proche de la littérature japonaise : j'ai séjourné plusieurs mois à Kyoto, je retourne régulièrement au Japon et j'ai écrit un essai sur le prix Nobel Oé Kenzaburô.

Ch. Spécialiste des avant-gardes littéraires, auteur de nombreux essais sur la littérature et les écrivains, comment situez-vous votre œuvre romanesque dans la production contemporaine ?
P. H. : L'Enfant éternel et Toute la nuit sont sans doute des sortes d'auto-fictions, mais pas exactement dans le sens qu'on donne le plus souvent à ce terme aujourd'hui en France. Je me sens plutôt certaines affinités avec le roman autobiographique japonais, le "watakushi shôsetsu" qui se décline d'ailleurs également dans la littérature chinoise contemporaine. Ce que j'appelle le "roman du Je" suppose, bien sûr, une exigence de vérité par rapport à la part de désir et de deuil qui constitue la condition humaine. Mais, en même temps, cette vérité ne nous parvient jamais que sur le mode de la fiction - d'où la nécessité d'avoir recours à la forme romanesque, à l'imaginaire, au mythe - comme le font notamment Oé Kenzaburô ou Gao Xingjian. Telles qu'elles se sont développées du surréalisme au structuralisme, les avant-gardes, pour moi, ont exprimé le désir d'une littérature libre et ne dissociant pas la fiction de la pensée et de l'engagement. Je pense notamment à Georges Bataille et à ce qu'il nomme l'"expérience intérieure". Au formalisme, à l'expérimentation poétique, je préfère un travail plus strictement romanesque portant sur l'"impossible" du réel et les limites de l'expérience subjective.

Ch. Que recouvre pour vous, en 2001, le mot " modernité " ?
P. H. : La modernité, c'est la disponibilité perpétuelle du texte littéraire à l'appel que le réel lui adresse. C'est pourquoi elle restera toujours vivante et changeante. Aujourd'hui l'Occident éprouve le besoin de se tourner vers l'Extrême-Orient où émerge une autre manière de concevoir la modernité qui fait voler en éclats toutes les utopies esthétiques européanocentristes du siècle dernier. La modernité ne signifie plus le progrès esthétique mais la possibilité d'un dialogue conscient et toujours renouvelé entre les formes différentes et simultanées de l'expérience littéraire. C'est ce dialogue qui doit être développé.

CG

 

Biographie
Philippe Forest est né en 1962 à Paris. Il est diplômé de l'Institut politique de Paris (1983) et docteur ès lettres (1991).

Il a vécu sept ans en Grande Bretagne où il a enseigné la littérature française dans diverses universités (Edimbourg, Saint-Andrews, Cambridge, Londres). Depuis 1995, il est maître de conférences en littérature comparée à l'université de Nantes.
Il est l'auteur d'une dizaine d'essais sur la littérature et la culture contemporaine, notamment : Philippe Sollers, Camus, Histoire de Tel Quel, Textes et labyrinthes : Joyce, Kafka, Muir, Borges, Butor, Robbe-Grillet, et de deux romans édités chez Gallimard : L'Enfant éternel (prix Femina du Premier roman en 1997) et Toute la nuit qui paraît en 1999.
Il collabore au magazine Art Press.
Il consacre la plus grande part de son activité de critique à la littérature, mais aussi, ponctuellement,
au cinéma et aux arts plastiques.

Bibliographie sommaire
Philippe Sollers, Seuil, Paris 1992
Camus, Marabout, Paris 1992
Histoire de " Tel quel " : 1960 - 1982. Paris, Seuil 1995
Textes et labyrinthes
, Editions Inter-Universitaires, 1995
L'Enfant éternel, Gallimard, Paris 1997
Le Roman, le réel, Pleins Feux, Nantes, 1999.
Toute la nuit, Gallimard, Paris 1999
Le Roman, le je, Pleins Feux, Nantes, 2001.
Oé Kenzaburô, légendes d'un romancier japonais, Pleins Feux, Nantes, 2001.

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Extrait de" toute la nuit "
" …Si un romancier n'est pas capable de raconter ce qui se passe dans un service d'oncologie pédiatrique, s'il juge que ce n'est pas un lieu littéraire, s'il préfère aller voir ce qui ne se passe pas ailleurs, tant pis pour lui… "