Ch. Quels sont vos rapports littéraires
avec la Chine ?
P. H. : Mes deux romans sont là-bas
en cours de traduction
(chez Zhejiang People's Publishing House) et devraient paraître
d'ici quelques mois. Je connais un peu la littérature chinoise
contemporaine pour laquelle j'ai une vraie curiosité mais
je n'en suis pas un spécialiste. Je me sens plus proche
de la littérature japonaise : j'ai séjourné
plusieurs mois à Kyoto, je retourne régulièrement
au Japon et j'ai écrit un essai sur le prix Nobel Oé
Kenzaburô.
Ch. Spécialiste des avant-gardes
littéraires, auteur de nombreux essais sur la littérature
et les écrivains, comment situez-vous votre uvre romanesque
dans la production contemporaine ?
P. H. : L'Enfant
éternel et Toute la nuit
sont sans doute des sortes d'auto-fictions, mais pas exactement
dans le sens qu'on donne le plus souvent à ce terme aujourd'hui
en France. Je me sens plutôt certaines affinités avec
le roman autobiographique japonais, le "watakushi shôsetsu"
qui se décline d'ailleurs également dans la littérature
chinoise contemporaine. Ce que j'appelle le "roman du Je"
suppose, bien sûr, une exigence de vérité par
rapport à la part de désir et de deuil qui constitue
la condition humaine. Mais, en même temps, cette vérité
ne nous parvient jamais que sur le mode de la fiction - d'où
la nécessité d'avoir recours à la forme romanesque,
à l'imaginaire, au mythe - comme le font notamment Oé
Kenzaburô ou Gao Xingjian. Telles qu'elles se sont développées
du surréalisme au structuralisme, les avant-gardes, pour
moi, ont exprimé le désir d'une littérature
libre et ne dissociant pas la fiction de la pensée et de
l'engagement. Je pense notamment à Georges Bataille et à
ce qu'il nomme l'"expérience intérieure".
Au formalisme, à l'expérimentation poétique,
je préfère un travail plus strictement romanesque
portant sur l'"impossible" du réel et les limites
de l'expérience subjective.
Ch. Que recouvre pour vous, en 2001,
le mot " modernité " ?
P. H. : La modernité,
c'est la disponibilité perpétuelle du texte littéraire
à l'appel que le réel lui adresse. C'est pourquoi
elle restera toujours vivante et changeante. Aujourd'hui l'Occident
éprouve le besoin de se tourner vers l'Extrême-Orient
où émerge une autre manière de concevoir la
modernité qui fait voler en éclats toutes les utopies
esthétiques européanocentristes du siècle dernier.
La modernité ne signifie plus le progrès esthétique
mais la possibilité d'un dialogue conscient et toujours renouvelé
entre les formes différentes et simultanées de l'expérience
littéraire. C'est ce dialogue qui doit être développé.
CG
|
|
Biographie
Philippe Forest est né en 1962 à Paris.
Il est diplômé de l'Institut politique de Paris
(1983) et docteur ès lettres (1991).
Il a vécu sept ans en Grande Bretagne où il a
enseigné la littérature française dans
diverses universités (Edimbourg, Saint-Andrews, Cambridge,
Londres). Depuis 1995, il est maître de conférences
en littérature comparée à l'université
de Nantes.
Il est l'auteur d'une dizaine d'essais sur la littérature
et la culture contemporaine, notamment : Philippe Sollers, Camus,
Histoire de Tel Quel, Textes et labyrinthes : Joyce, Kafka,
Muir, Borges, Butor, Robbe-Grillet, et de deux romans édités
chez Gallimard : L'Enfant éternel (prix Femina du Premier
roman en 1997) et Toute la nuit qui paraît en 1999.
Il collabore au magazine Art Press.
Il consacre la plus grande part de son activité de critique
à la littérature, mais aussi, ponctuellement,
au cinéma et aux arts plastiques. |
Bibliographie
sommaire
|
Philippe
Sollers, Seuil, Paris 1992
Camus,
Marabout, Paris 1992
Histoire de " Tel quel
" : 1960 - 1982. Paris,
Seuil 1995
Textes et labyrinthes,
Editions Inter-Universitaires, 1995
L'Enfant éternel,
Gallimard, Paris 1997
Le Roman, le réel,
Pleins Feux, Nantes, 1999.
Toute la nuit,
Gallimard, Paris 1999
Le Roman, le je,
Pleins Feux, Nantes, 2001.
Oé Kenzaburô,
légendes d'un romancier japonais,
Pleins Feux, Nantes, 2001.
catalogue.bnf.fr |
|
Extrait
de" toute la nuit "
|
"
Si un romancier n'est pas capable de raconter ce
qui se passe dans un service d'oncologie pédiatrique,
s'il juge que ce n'est pas un lieu littéraire,
s'il préfère aller voir ce qui ne se passe
pas ailleurs, tant pis pour lui
" |
|
|