Ch. Votre double culture favorise-t-elle
votre approche de la littérature chinoise contemporaine ?
L. L. : Je lis beaucoup les écrivains
contemporains étrangers, mais sans donner la préférence aux auteurs
asiatiques. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est la manière
dont, à partir de matériaux différents : une histoire millénaire,
des événements tragiques, etc, les écrivains conçoivent leur œuvre.

Ch. Vous avez vécu au Viêt-nam jusqu'à l'âge
de quatorze ans, mais vous écrivez en français ?
L. L. : Je me trouve dans la situation
d'un être amphibie qui ne sait pas exactement à quel élément il
appartient. Pour parler du langage, à l'occasion de ces rencontres,
je voudrais me référer à Shakespeare : dans La Tempête, Prospero
détient le pouvoir du langage ; il l'enseigne à Caliban, la créature
sauvage ; tandis qu'Ariel, l'esclave, aspire au savoir de son maître
et incarne la liberté.

Ch. Vos romans semblent se situer dans un
espace intemporel. Que mettez-vous derrière le mot " modernité "
?
L. L. : Je préférerais parler d'universalité.
Un des syndromes de notre époque, c'est la déchirure, l'écartèlement.
Je me sens proche d'un écrivain comme Lu Xun, écartelé entre tradition
et modernité, entre véhémence et sérénité ; mais proche aussi du
suédois Stig Dagerman qui fait ressortir le poids de l'histoire
à travers l'expérience d'un individu.

Ch. Comment vivez-vous le phénomène de la
mondialisation ?
L. L. : J'ai une grande réticence
(résistance) vis à vis des sociétés qui entendent tout niveler,
et je rejoins Victor Segalen dans son Essai sur l'exotisme où il
fustige Pierre Loti qualifié de " proxénète de l'exotisme". Comme
lui, je pense qu'il est essentiel de prôner l'apprentissage de la
différence, la connaissance de l'autre et de sa singularité.

Ch. Votre écriture est très visuelle. Certains
de vos personnages ont un rapport avec la peinture. Quelle est votre
relation aux autres arts ?
L. L. :
Plus encore qu'en français ou en viêtnamien, je pense en images.
La peinture et le cinéma exerce sur mon travail une influence souterraine.
Propos recueillis par Christiane
Garaud
|

|
Biographie
Linda Lê est
née au Viêt-nam du sud en 1963. Son père, ingénieur,
est originaire du nord. Sa mère appartient à une famille
aisée naturalisée française.
La famille vit à Dalat mais gagne Saïgon en 1969 pour
fuir la guerre.
La jeune Linda va au lycée français et dévore Victor
Hugo et Balzac. En 1977, elle s'exile en France, au
Havre, avec sa mère, ses trois sœurs et sa grand-mère.
En 1981, elle monte à Paris, suit les cours de khâgne
au lycée Henri IV, puis s'inscrit à la Sorbonne. Solitaire,
elle lit beaucoup et commence à écrire.
Elle a 23 ans quand paraît son premier roman :
Un si tendre vampire (1986) ; mais c'est avec Les Evangiles
du crime (1992) qu'elle se sent véritablement naître
à la littérature.
Pour cet auteur riche d'une double culture qui écrit
un français exigeant, précis et économe jusque dans
ses effets baroques.
|
|
Bibliographie
sommaire
|
Les
Evangiles du crime, Editions
Julliard, 1992
Les Trois Parques,
Editions Christian Bourgois,
1997
Voix : une crise,
Editions Christian Bourgois,
1998
Lettre morte,
Editions Christian Bourgois,
1999
Les Aubes,
Editions Christian Bourgois,
2000 www.lelibraire.com
catalogue.bnf.fr |
|
Extraits de
l'article de Thierry Guichard paru dans Le
Matricule des anges, n° 13, septembre-octobre
1995
|
"Je
fais un travail de chasseur pour trouver le mot juste
(
), l'écriture, c'est plus l'exploration
des viscères que des petites histoires heureuses.
Il y a quelque chose qui s'apparente à la rumination,
quelque chose d'organique "
" la littérature n'est pas faite pour décrire
la santé, le bonheur, elle a le souci de ce qui
fait la noirceur de l'âme humaine, la misère
des vies " |
|
|