Rencontres littéraires franco-chinoises 
Interviews de 4 écrivains français
Antoine Volodine

Ch. La Chine est très présente dans vos romans. Quelles relations entretenez-vous avec ce pays et avec sa littérature ?
A.V. J'ai séjourné deux ans en Chine. C'est un endroit où je retourne régulièrement. Je suis depuis de longues années en apprentissage culturel de la Chine. Il y a tant de domaines à explorer : la porcelaine, l'opéra, la religion populaire, le cinéma, a littérature romanesque classique et contemporaine…C'est l'enchantement permanent.

Ch. Vous avez traduit des auteurs russes. Votre connaissance du monde totalitaire vous a-t-elle aidé à comprendre l'histoire et les préoccupations des Chinois ?
A.V.
Les deux mondes ne se superposent pas.
On peut dire, peut-être, qu'au XXe siècle, en Chine, la culture de l'Etat fort n'a été qu'une dimension culturelle parmi d'autres, tandis qu'en Russie, elle a entièrement occupé l'espace social et intellectuel.
La littérature du dégel en URSS est le plus souvent
une variante du réalisme-socialiste ; la littérature
chinoise d'après la Révolution culturelle est
immédiatement une littérature variée, polyphonique,
d'une modernité assumée et magnifique.

Ch. Vous avez parlé de " techniques du combat langagier " à propos des interrogatoires auxquels sont soumis vos personnages, tantôt bourreaux, tantôt victimes. Quel rôle assignez-vous à la langue ?
A.V. Mes personnages parlent non pour répondre
à leurs tortionnaires, mais pour transformer le monde
avec des mots, avec du langage. Continuer à parler est pour eux une question de vie ou de mort. La langue est donc porteuse d'une intensité qui va au delà de la poésie. C'est un territoire d'exil, un refuge où les tortionnaires ne peuvent aborder, et où concrètement se rencontrent les narrateurs et leurs lecteurs amis.

Ch. Pensez-vous que la littérature contemporaine se complaise dans la peinture des noirceurs du monde ? Est-ce un trait de la modernité ?
A.V. Je ne pense pas. J'ai même l'impression que
certains auteurs pratiquent volontiers une distance
ironique, blasée, parfaitement " désengagée ".
Les exemples abondent dans la littérature française.
Ils sont évidemment moins nombreux dans la littérature chinoise qui doit exorciser des années de violence et de silence terribles. Sans doute la modernité réside-t-elle dans un regard d'où a été retirée toute innocence. Que ce regard se pose sur le noir ou sur le blanc, il conserve en lui la souillure du XXe siècle. La modernité, c'est sans doute l'effondrement de toutes les naïvetés intellectuelles.
L'écrivain ne peut plus recourir à la limpidité
pour toucher le lecteur. La claire parole de vérité n'est plus crédible. Il faut faire un détour par l'inconscient, par l'humour, par les capacités de recréation poétique du lecteur. Au final, la littérature n'a rien à y perdre.

C G
Biographie
Antoine Volodine fait des études de lettres et de langues slaves à l'université de Lyon. Il enseigne le russe pendant une quinzaine d'années à Orléans, puis, à partir de 1987, se consacre entièrement à l'écriture et à la traduction.
Son œuvre, un temps répertoriée dans la science-fiction (il publie de 1985 à 1988 quatre romans dans la collection Présence du Futur), échappe aux catégories. Ses univers littéraires plongent leurs racines dans l'expérience historique du XXe siècle.
Ses personnages réinventent la réalité en insérant dans leurs fictions leurs propres univers oniriques.
Il baptise sa production littéraire " post-exotisme ".
Il s'agit d'une " construction romanesque " dont les ouvrages nommés romance, Shaggà, narrats, " sont liés par un ciment commun "… et dont les personnages-auteurs y " ruminent sur les échecs
de la civilisation contemporaine ".

Bibliographie
Biographie comparée de Jorian Murgrave,
collection Présence du Futur, Editions Denoël, 1985
.
Un navire de nulle part, collection Présence du Futur, Editions Denoël, 1986.
Rituel du mépris, collection Présence du Futur, Editions Denoël, 1986 (Grand prix de la science-fiction française 1987)
Des enfers fabuleux, collection Présence du Future, Editions Denoël, 1988
Lisbonne dernière marge, Editions de Minuit, 1994
Alto solo, Editions de Minuit, 1991
Le Nom des singes, Editions de Minuit, 1994
Le Port intérieur, Editions de Minuit, 1996
Nuit blanche en Balkhyrie, Editions Gallimard, 1997
Vue sur l'ossuaire, Editions Gallimard, 1998
Le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, Editions Gallimard, 1998
Des anges mineurs, collection Fiction et Cie, Editions du Seuil, 1999.
Prix du Livre Inter 2000.


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Extrait du livre Le Port intérieur
" Pendant des heures , Breughel marcha au hasard. Parfois il pensait à Gloria. Parfois la sueur l'aveuglait. On le voyait s'appliquer à isoler des détails exotiques et à les mémoriser, afin plus tard d'en garnir l'intérieur des textes qu'il fabriquait pour Kotter. Gouverné par cette certitude obsédante qu'un jour Kotter les lirait. Et s'y égarerait. "