Ch. La Chine est très présente dans
vos romans. Quelles relations entretenez-vous avec ce pays et avec
sa littérature ?
A.V. J'ai séjourné deux ans en Chine. C'est un endroit
où je retourne régulièrement. Je suis depuis de longues années en
apprentissage culturel de la Chine. Il y a tant de domaines à explorer
: la porcelaine, l'opéra, la religion populaire, le cinéma, a littérature
romanesque classique et contemporaine…C'est l'enchantement permanent.
Ch. Vous avez traduit des auteurs
russes. Votre connaissance du monde totalitaire vous a-t-elle aidé
à comprendre l'histoire et les préoccupations des Chinois ?
A.V. Les deux mondes ne se superposent pas.
On peut dire, peut-être, qu'au XXe siècle, en Chine, la culture
de l'Etat fort n'a été qu'une dimension culturelle parmi d'autres,
tandis qu'en Russie, elle a entièrement occupé l'espace social et
intellectuel.
La littérature du dégel en URSS est le plus souvent
une variante du réalisme-socialiste ; la littérature
chinoise d'après la Révolution culturelle est
immédiatement une littérature variée, polyphonique,
d'une modernité assumée et magnifique.
Ch. Vous avez parlé de " techniques
du combat langagier " à propos des interrogatoires auxquels sont
soumis vos personnages, tantôt bourreaux, tantôt victimes. Quel
rôle assignez-vous à la langue ?
A.V. Mes personnages parlent non pour répondre
à leurs tortionnaires, mais pour transformer le monde
avec des mots, avec du langage. Continuer à parler est pour eux
une question de vie ou de mort. La langue est donc porteuse d'une
intensité qui va au delà de la poésie. C'est un territoire d'exil,
un refuge où les tortionnaires ne peuvent aborder, et où concrètement
se rencontrent les narrateurs et leurs lecteurs amis.
Ch. Pensez-vous que la littérature contemporaine
se complaise dans la peinture des noirceurs du monde ? Est-ce un
trait de la modernité ?
A.V. Je ne pense pas. J'ai même l'impression que
certains auteurs pratiquent volontiers une distance
ironique, blasée, parfaitement " désengagée ".
Les exemples abondent dans la littérature française.
Ils sont évidemment moins nombreux dans la littérature chinoise
qui doit exorciser des années de violence et de silence terribles.
Sans doute la modernité réside-t-elle dans un regard d'où a été
retirée toute innocence. Que ce regard se pose sur le noir ou sur
le blanc, il conserve en lui la souillure du XXe siècle. La modernité,
c'est sans doute l'effondrement de toutes les naïvetés intellectuelles.
L'écrivain ne peut plus recourir à la limpidité
pour toucher le lecteur. La claire parole de vérité n'est plus crédible.
Il faut faire un détour par l'inconscient, par l'humour, par les
capacités de recréation poétique du lecteur. Au final, la littérature
n'a rien à y perdre.
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Biographie
Antoine
Volodine fait des études de lettres et de langues slaves
à l'université de Lyon. Il enseigne le russe pendant
une quinzaine d'années à Orléans, puis, à partir de
1987, se consacre entièrement à l'écriture et à la traduction.
Son œuvre, un temps répertoriée dans la science-fiction
(il publie de 1985 à 1988 quatre romans dans la collection
Présence du Futur), échappe aux catégories. Ses univers
littéraires plongent leurs racines dans l'expérience
historique du XXe siècle.
Ses personnages réinventent la réalité en insérant dans
leurs fictions leurs propres univers oniriques.
Il baptise sa production littéraire " post-exotisme ".
Il s'agit d'une " construction romanesque " dont les
ouvrages nommés romance, Shaggà, narrats, " sont liés
par un ciment commun "… et dont les personnages-auteurs
y " ruminent sur les échecs
de la civilisation contemporaine ".
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Bibliographie
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Biographie
comparée de Jorian Murgrave,
collection Présence du Futur, Editions Denoël,
1985.
Un navire de nulle
part, collection
Présence du Futur, Editions Denoël, 1986.
Rituel du mépris,
collection Présence du Futur, Editions
Denoël, 1986 (Grand prix de la science-fiction française
1987)
Des enfers fabuleux,
collection Présence du Future, Editions
Denoël, 1988
Lisbonne dernière
marge, Editions
de Minuit, 1994
Alto solo, Editions de Minuit, 1991
Le Nom des singes,
Editions de Minuit, 1994
Le Port intérieur,
Editions de Minuit, 1996
Nuit blanche en
Balkhyrie,
Editions Gallimard, 1997
Vue sur l'ossuaire,
Editions Gallimard, 1998
Le Post-exotisme
en dix leçons,
leçon onze, Editions Gallimard,
1998
Des anges mineurs,
collection Fiction et Cie, Editions du
Seuil, 1999.
Prix du Livre Inter 2000.
catalogue.bnf.fr |
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Extrait du livre
Le Port intérieur
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"
Pendant des heures , Breughel marcha au hasard. Parfois
il pensait à Gloria. Parfois la sueur l'aveuglait.
On le voyait s'appliquer à isoler des détails
exotiques et à les mémoriser, afin plus
tard d'en garnir l'intérieur des textes qu'il fabriquait
pour Kotter. Gouverné par cette certitude obsédante
qu'un jour Kotter les lirait. Et s'y égarerait.
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