Le livre d'heures de Jacques II de Châtillon



Un livre d'heures du XVe siècle vient d'entrer dans les collections de la BnF. Ce manuscrit enluminé, 272 feuillets, est d'une rare richesse iconographique - 54 peintures, 24 petites illustrations, trois initiales historiées- dues à plusieurs artistes différents. Un précieux document pour l'histoire de la peinture et de la société de l'époque


Le livre d'heures de Jacques II de Châtillon, du nom de son premier commanditaire, est exceptionnel à plus d'un titre. Deux familles successives y ont laissé leur marque ; Jacques II de Châtillon et sa femme Jeanne Flote qui firent exécuter, dans le deuxième quart du XVe siècle, le noyau primitif de l'ouvrage ; puis vers 1470-1480, Louis de Roncherolles, noble du Vexin, à l'occasion de son mariage avec Marguerite de Châtillon l'enrichit de plusieurs peintures. Il est rare qu'un document porte autant de marques de ses commanditaires.

"Ce manuscrit est un document important pour l'histoire de l'art au XVe siècle, commente François Avril, conservateur au département des Manuscrits. Il témoigne de l'affirmation d'un nouveau centre de production de manuscrits en France. Après la bataille d'Azincourt en 1415, les Anglais s'installent à Paris. Les enlumineurs vont chercher fortune dans d'autres villes. C'est ainsi qu'Amiens devient un centre très actif durant les années 1430-1450". Le livre d'heures de Jacques de Châtillon, né de cette période brève mais intense de production, a vraisemblablement été réalisé à Amiens. "Il témoigne de la confluence du réalisme flamand et du style courtois encore en vogue à Paris, dit encore François Avril. Et, plus largement, du dialogue établi à cette époque entre les artistes du Sud et ceux du Nord, qui a fait évoluer la représentation picturale."
La plupart des enlumineurs du Moyen Age sont restés anonymes. Cependant, il est possible de dénombrer au moins quatre peintres différents pour ce manuscrit. Il s'agit du Maître de Raoul d'Ailly, auteur de plus de la moitié des enluminures et du diptyque des premiers commanditaires, du Maître des Heures Lamoignon, du Maître de Châtillon (ainsi appelé d'après ce manuscrit) et du Maître des Heures Walters 281. Les éléments ajoutés pour Louis de Roncherolles furent exécutés par le Maître de l'échevinage de Rouen vers 1470-1480.

Comme la plupart des livres d'heures, le manuscrit proprement dit est composé de six éléments principaux : un calendrier, des extraits des Evangiles, l'office de la Vierge, les psaumes de la pénitence, l'office des morts et les suffrages des saints. C'est sans doute un assistant particulièrement doué du Maître d'Ailly qui a peint les 24 illustrations du calendrier : l'activité du mois - un faucheur de blé pour juin - à laquelle correspond, au verso, le signe du zodiaque.


Le Maître de Raoul d'Ailly exécuta les 27 peintures des suffrages où sont figurés les saints, objets de la dévotion du couple des Châtillon.

Les psaumes de la pénitence s'ouvrent sur l'histoire de David se repentant de ses fautes, scène prolongée dans les marges de petits médaillons racontant les amours de David et de Bethsabée. L'office des morts donne lieu à une scène de funérailles d'un réalisme accentué par la présence du cercueil au premier plan. L'un des principaux éléments de ce livre d'heures est l'office de la Vierge. Œuvre d'un artiste de tout premier ordre que l'on appelle le Maître de Châtillon d'après ce manuscrit, le seul où l'on ait reconnu sa main. Cet office est divisé en huit heures canoniales, chacune ornée d'une image. Au lieu du cycle de l'enfance du Christ présenté habituellement, c'est l'enfance de la Vierge qui est ici évoquée. "Les raisons de ce choix iconographique assez rare sont peut-être liées à l'histoire des commanditaires. Le couple n'avait pas d'enfants, malgré la nombreuse postérité avec laquelle ils ont souhaité être représentés sur le diptyque. Or, à l'origine de la naissance de Marie, se trouve l'histoire d'un couple stérile", commente François Avril. L'évocation des circonstances miraculeuses de la naissance de la Vierge marque sans doute l'espoir de Jacques de Châtillon et de sa femme d'obtenir une postérité.

Le deuxième propriétaire voulut, lui aussi, apposer sa marque au précieux manuscrit. Il fit ajouter notamment un deuxième diptyque, pendant du premier, le représentant avec sa femme Marguerite de Châtillon, et plusieurs miniatures de saints, réalisées par le même artiste ainsi que les additions qui figurent à la fin du volume. En clôture du manuscrit, la Complainte de la demoiselle, méditation sur la fragilité du corps féminin, témoigne de la délectation du Moyen Âge pour le macabre.

" Ce manuscrit fortement personnalisé est aussi le reflet du goût et de la piété de ses mécènes successifs ", conclut François Avril.

Sylvie Lisiecki

   
Le livre d'heures tire son nom des huit heures, dites canoniales, constituant les offices qui scandaient les journées du chrétien.

Le livre d'heures, un objet culte
Le livre d'heures était le livre de dévotion favori des laïcs. Il apparaît tardivement au Moyen Âge et s'inspire en partie du bréviaire utilisé par les prêtres. Le genre s'est surtout répandu au XIIIe siècle. Sa production prit son essor au XIVe siècle et se poursuivit à partir du XVIe siècle sous forme imprimée. Chaque fidèle veut avoir son livre d'heures, signe extérieur de richesse et de statut social, ce bel objet contribue au lustre des familles. Il est intégré au trousseau des jeunes filles à marier et sert aussi bien de " livret de famille " : à la fin ou au début du manuscrit, des feuillets laissés en blanc permettaient parfois d'inscrire la date de mariage du couple et les naissances des enfants. Un monde sépare les ouvrages de séries copiés à des milliers d'exemplaires et les manuscrits luxueux et très personnalisés peints par les meilleurs artistes du temps pour des mécènes exigeants qui faisaient ajouter ou retrancher des prières au gré de leurs dévotions personnelles. Ceux-ci pouvaient intervenir dans le choix et le traitement des illustrations. Exceptionnellement, les commanditaires payaient les pigments et même les fournissaient.

La production de livres d'heures s'est poursuivie jusqu'au XVIIIe siècle. Aujourd'hui encore, ils suscitent l'intérêt des bibliophiles du monde entier. Le livre d'heures de Jacques de Châtillon est le seul représentant, et probablement le plus beau, restant en France de la production amiénoise des années 1430-1450. Parmi les livres d'heures les plus célèbres conservés à la BnF : Les Petites Heures (env. 1385), Les Très Belles Heures (entre 1390 et 1410) et Les Grandes Heures (1409) de Jean de Berry ; Les Grandes Heures de Rohan (vers 1430-1435), Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne (vers 1503-1508).

Parmi les livres d'heures les plus célèbres conservés à la BnF :
Les Petites Heures (env. 1385), Les Très Belles Heures (entre 1390 et 1410) et Les Grandes Heures (1409) de Jean de Berry ; Les Grandes Heures de Rohan (vers 1430-1435), Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne (vers 1503-1508).


Histoire d'un manuscrit
DU PATRIMOINE PRIVE AU PATRIMOINE PUBLIC

Le manuscrit a traversé près de six siècles sans presque aucun dommage. Fait rare, le manuscrit a gardé sa reliure d'origine, à ais de bois recouverts de veau estampé à froid, à petits fers.

Inconnu des spécialistes, ce livre d'heures est resté en mains privées jusqu'à nos jours, passant par héritage de famille en famille. Il a servi de " livret de famille " au XVIe siècle à la famille de Roncherolles.

Désirant s'en dessaisir, les héritiers actuels, conformément à la législation française, déposèrent une demande de certificat de libre circulation permettant sa mise en vente à l'étranger. En raison de la valeur artistique exceptionnelle de l'œuvre, le département des Manuscrits de la BnF, chargé de statuer en tant qu'expert en la matière, n'accéda pas à cette demande. Le ministère de la Culture a ainsi pu s'en porter directement acquéreur auprès des vendeurs. Ce superbe manuscrit fera l'objet d'une présentation qui permettra au public de mieux le découvrir.


Bibliographie
François Avril et Nicole Reynaud, Les Manuscrits à peintures en France, 1440-1520, Paris, Flammarion/BnF, 1993, réed. 1995.
Susie Nash, Between France and Flanders : Manuscript Illumination in Amiens in the Fifteenth Century, Londres, Toronto, 1999.