Iannis Xenakis - Exposition

Iannis Xenakis, créateur protéiforme
Un an après la mort du compositeur, la BnF organise une exposition en hommage à Iannis Xenakis, dont la quasi-totalité des archives est déposée au département de la Musique. Le public pourra découvrir du 14 janvier au 17 février 2002, l’œuvre protéiforme de ce créateur parmi les plus inspirés de son époque. Françoise Xenakis qui a partagé sa vie pendant 51 ans nous fait découvrir quelques aspects de sa vie et de sa personnalité.

C. : La polyvalence de Iannis Xenakis a été à l’origine d’une mauvaise plaisanterie de la part de ses ennemis, selon laquelle il se serait présenté comme compositeur aux architectes, comme architecte aux ingénieurs, comme ingénieur aux musiciens…Pourquoi selon vous Xenakis a-t-il suscité ce genre de déclaration ?

F. X. : Il est vrai que Iannis a reçu une éducation très ouverte dès sa plus tendre enfance, où trois nurses, une française, une anglaise et une allemande lui ont tour à tour enseigné leur langue.
Puis, il a suivi des études d’ingénieur à l’Ecole Polytechnique d’Athènes, parallèlement à une solide formation musicale classique. Lorsqu’il a quitté la Grèce, où il vivait dans l’illégalité à cause de son engagement dans la résistance grecque, il souhaitait gagner les Etats-Unis pour y faire de la physique nucléaire. Il était prêt, comme beaucoup de jeunes grecs émigrés, à laver des bouteilles de lait pour se payer ses études répondant ainsi aux souhaits de sa famille qui s’opposait à une carrière musicale.
Sur la route des Etats-Unis, il s’est arrêté en France, où deux rencontres l’ont décidé à rester : celle d’Olivier Messiaen, auprès duquel il a approfondi ses études musicales… et la mienne.. Messiaen l’a encouragé à tenter de vivre de sa musique en suivant une voie personnelle. Pour subvenir à nos besoins, il travaille auprès de Le Corbusier (1947-1959), qu’il impressionne par ses solutions originales pour le traitement du béton. Pourtant, les relations entre les deux hommes se sont tendues, se terminant de façon brutale à propos de la signature comme architecte du pavillon Philips pour l’Exposition universelle de Bruxelles de 1957. Xenakis en revendiquait la paternité, Le Corbusier la lui a d’abord refusée. Après cette rupture, il a continué à mener de front, les calculs pour gagner sa vie et la composition.

C. : Iannis Xenakis est aujourd’hui considéré comme une figure incontournable de la musique contemporaine. Pourtant ses choix esthétiques tellement à l’encontre de ceux de l’establishment musical ne le prédestinaient pas à cette notoriété. Comment les choses se sont-elles passées ?

F.X. Son vrai début public a eu lieu en 1956 à Donaueschingen le temple du sérialisme, où Metastasis sa première grande œuvre pour orchestre a été « bissée » prouvant ainsi que sa musique était jouable contrairement à ce qu’affirmaient les sérialistes, qui faisaient barrage à ses théories sur l’application des mathématiques et de la physique à la musique, retardant ainsi l’épanouissement de sa carrière. C’est finalement la musique qui s’est imposée.

C. : Comment Iannis Xenakis a-t-il vécu cette longue attente ?

F.X. : Toute son histoire personnelle l’a poussé à être un marginal. Sa naissance dans une famille grecque en Roumanie, sa vie en Grèce dans l’illégalité, ses théories musicales en rupture avec les modes dominantes. Son immense orgueil l’a préservé de l’hostilité d’une grande partie du milieu musical. Il n’a jamais essayé d’en faire partie à tout prix, n’a pas hanté les antichambres ministérielles, ni fréquenté les dîners mondains. Ainsi il a pu consacrer son temps à la musique.


C. : A-t-il poursuivi en France un militantisme politique développé dans les combats
nationalistes grecs ?

F.X. : Ces activités ont meurtri jusqu’à son physique, puisqu’une bombe lui a arraché la moitié du visage en 1947. Lorsqu’il a demandé l’asile politique en France, pour avoir un passeport il a du s’engager à ne pas faire de politique. Devenu citoyen français en 1965, il a respecté cet engagement, bien qu’étant profondément de gauche et malheureux de l’échec du communisme.
Cette énergie de l’engagement s’est reportée sur d’autres domaines, en particulier celui de la pédagogie puisqu’il a assumé diverses charges d’enseignement aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Créateur de la musique stochastique (aléatoire), familier du calcul sur ordinateur, il a fondé à Paris une équipe vouée à l’étude de structures et d’architectures musicales, le CEMAMU (Centre d’études de mathématiques et d’automatique musicales) où fut créée en 1975 une Unité polyagogique informatique (UPIC), dont l’objet était de favoriser l’ouverture du plus grand nombre à la composition musicale à partir d’un dispositif très simple avec un crayon et un écran.
Mais l’émergence de cette méthode a trop tardé, Iannis y a consacré beaucoup de temps, parfois au détriment de sa musique instrumentale. L’usure, puis la maladie n’ont pas permis le coup d’accélérateur indispensable. Et aujourd’hui, le laboratoire est sur le point de fermer.

Marie-Noële Darmois

Site Richelieu - Crypte
14 janvier au 17 février 2002