Ils écrivent aussi

Vito Castiglione Minischetti, responsable de collections en langue et littérature italiennes au Département Littérature et art de la BnF, a publié en septembre dernier avec Ivan Cloulas, spécialiste de la Renaissance, un ouvrage sur Pie II (Enea Silvio Piccolomini).

Ce livre est dédié aux amoureux des brillantes fresques de Pinturicchio, dans la cathédrale de Sienne, à la gloire de Enea Silvio Piccolomini (1405-1464) qui, élu pape en 1458, voulut rendre un secret hommage, en choisissant le nom de Pie II, moins à son prédécesseur Pie I qu'au "Pius Æneas" de Virgile. Dédié aussi aux amoureux de Pienza, le rêve de pierre de ce pape humaniste qui confia à Bernardo Rossellino le soin de métamorphoser sa bourgade natale de Corsignano, un des plus beaux sites du pays siennois, en un des hauts-lieux de l’architecture de la Renaissance.

Il sut aussi ne jamais oublier que la mère de son héros éponyme, le "pieux Énée", n’était autre que Vénus, à qui il voua sa jeunesse (n’ayant été ordonné prêtre qu’à 42 ans), et qui lui inspira un des plus séduisants romans d’amour de la Renaissance, Historia de duobus amantibus (1444). Aimables peccadilles au regard des turpitudes, à en croire ses Mémoires, qu’ont sur la conscience les cardinaux du clan français qui tramèrent contre lui dans les coulisses et jusque dans les latrines du conclave de 1458, où sombra leur complot, comme Arius, le père de l’hérésie arienne, foudroyé par une colique où ses adversaires virent le signe de la main de Dieu. Pie II eut la chance (pour ses admirateurs laïques) de mourir avant de s’embarquer pour la croisade (qui fut la grande idée de son pontificat) contre le sultan ottoman Mehmet II, coupable avec ses coreligionnaires d’avoir envahi les lieux saints de Constantinople, après avoir vainement tenté de le convertir dans une éblouissante Lettre à Mahomet (1460).

Ses Commentarii, ici pour la première fois traduits en français, restent son chef-d’œuvre. Document inépuisable pour les spécialistes et les historiens, qui se reporteront aux éditions intégrales en latin ou en italien. Source ininterrompue de surprise et de dépaysement pour le lecteur français d’aujourd’hui plongé au cœur des extravagances du pouvoir en une des périodes le plus mouvementées de l’histoire d’Italie, et sans cesse émerveillé par la grâce d’une écriture extraordinairement sensible à la beauté sous toutes ses formes.

Les éditeurs de ce recueil, Ivan Cloulas, Monsieur Renaissance de tant d’ouvrages fondamentaux, et Vito Castiglione Minischetti, Monsieur Littérature italienne à la BnF, ont tout fait, dans leur choix, pour séduire le lecteur non spécialisé, privilégiant les portraits, les descriptions, de paysages et de monuments, les anecdotes et les "scènes" en tout genre, et pour lui faciliter la tâche, par l’érudition bienvenue de toute une série d’index, de chronologies, de cartes, de notices et de notes d’une admirable clarté, sans oublier la vivante synthèse d’une chaleureuse introduction ; outre un utile lexique ecclésiastique et, dulcis in centro, un précieux cahier, qu’on eût peut-être souhaité plus riche encore, de reproductions en couleurs des fresques de Pinturicchio.

Vito Castiglione Minischetti est également coauteur d’un ouvrage récemment paru sur
Les traductions de l’italien en français au XVIIe siècle, Paris, Schena/Presses de l’Université
Paris-Sorbonne, 2001, 402 p., 21,69 €.


Mémoires d’un pape de la Renaissance : Les Commentarii de Pie II présentés et annotés par Ivan Cloulas et Vito Castiglione Minischetti, Paris, Tallandier, 2001, 533 p., 170 F/26 €.


Jean-Michel Gardair
Professeur de Littérature italienne
à l’Université Paris IV - Sorbonne