L'esprit des conquêtes
Professeur à l'université de Toulouse, Bartolomé Bennassar est un spécialiste du monde méditerranéen au XVIe et XVIIe siècles. Il a publié une Histoire des Espagnols (Robert Laffont, 1996). Début février, il évoquera les "conquistadors" dans le cadre du cycle "Guerre et religion" organisé en partenariat avec le magazine L'Histoire.
Chroniques : Quels sont les conquistadors que vous avez choisi d'évoquer et pourquoi ?

Bartholomé Bennassar : J'évoquerais parmi les plus connus : Fernand Cortès (1485-1547) pour sa conquête du Mexique et Francisco Pizarro (1475-1541), conquérant du Pérou et trois de ses compagnons : Hernando de Soto (1500-1542), Francisco de Orellana (?-1550) et Diego de Almagro. Après la conquête du Pérou, Hernando de Soto entreprit une expédition vers la Floride, atteignit la Géorgie, explora les régions de l'Alabama et du Mississipi; Francisco de Orellana explora les régions de l'Est de la Cordillère des Andes avant d'atteindre le Napo puis l'Amazone, avant de repartir vers les côtes espagnoles par l'Atlantique; enfin Diego de Almagro (1475-1538), après avoir tenté une expédition au Chili, entra en conflit avec Pizarro que son fils, Diego Almagro el Mozo (le Jeune), assassina après son père fut tué par le frère de ce dernier. Citons encore Gonzalo Jimenez de Quesada (1500-1579), qui a découvert et conquis la Colombie.

Ch. : Au XVIè siècle, plus d'un millier de conquérants espagnols et portugais sont partis à la découverte des nouvelles terres d'Amérique. Comment expliquez-vous cette époque de conquêtes ? Quelles étaient leurs motivations ?

B.B. : Bernard Grumberg, professeur à l'université de Reims, a dénombré plus de 2300 "conquistadors" pour le seul Mexique. Il en a identifié plus de 1100 dans son Dictionnaire (Edition Lharmattan).
Ces milliers d'hommes sont partis vers les Amériques dans le cadre d'une première "mondialisation" amorcée dès le XVIè siècle. Ils étaient stimulés par les découvertes des expéditions portugaises, espagnoles, italiennes. Cette spécificité ibérique vient de l'avance prise en matière de navigation océanique : mise au point des caravelles, réalisation des cartes et des portulans, et de l'élan de conquête apparu lors de la Guerre de Grenade (1492) et de la conquête de Naples (1495).
Ces guerres achevées, bon nombre de soldats et d'aventuriers se sont tournés vers la conquête des nouveaux mondes. La recherche de l'or était une de leurs motivations premières. Mais il y avait autre chose :
"la renommée", la soif de pouvoir, le surpassement de soi-même, l'attrait de l'inconnu. Hernando de Soto, Francisco de Orellana, Diego de Almagro et Fernand Cortès ont utilisé ce qu'ils avaient gagné lors de leurs expéditions, pour en préparer de nouvelles.

Ch. : Dans votre ouvrage "1492, un monde nouveau ?"
(Editions Perrin, 1991), vous dîtes, aujourd'hui, que l'année 1492 s'inscrit dans la mémoire collective comme une date emblématique de la découverte du nouveau monde.


B.B.. : Durant l'année 1492, la découverte de l'Amérique, survenue tard dans l'année, le 12 octobre, est parfaitement ignorée. Elle n'est connue qu'en 1493, au retour de l'expédition de Christophe Colomb. Le terme "Amérique" apparaît une quinzaine d'années plus tard. La prise de Grenade, l'expulsion des Juifs d'Espagne, les affaires de la Papauté,
la réunion de la Bretagne à la France et bien d'autres événements ont accaparé l'attention cette année-là. Le lent travail de la mémoire collective a placé les autres événements de cette année en position subalterne, en raison de l'importance progressive dans le monde de la colonisation et du développement du nouveau continent. Il s'agit d'un effet de temps.

Ch. : Vous définissez l'expédition de Christophe Colomb comme un voyage initiatique. C'est-à-dire ?

B.B. : Ce voyage fut pour un petit groupe d'hommes une entrée dans l'inconnu, la découverte d'un "autre" différent et insoupconné. Les compagnons du premier voyage de Christophe Colomb furent les premiers à repérer les terres inconnues des Européens. Ce voyage décisif fut un coup d'envoi pour l'exploration et la conquête des terres nouvelles, lors des "voyages mineurs" qui se déroulèrent de 1498 à 1506 : Vicente Yanez Pinzon, Amerigo Vespucci, Alonso de Hojeda, Diego de Lepe, Peralonso Nino sont autant d'épigones (1) de Christophe Colomb lorsque par la suite ils achevèrent la reconnaissance des Antilles et des côtes nord de l'Amérique du Sud.

Propos recueillis par Florence Groshens


(1) Epigone : nom des héros grecs de la seconde expédition qui s'emparèrent de la ville de Thèbes vengeant ainsi leurs pères morts au cours du premier siège.

Cycle "Guerre et religion"
Cycle organisé en partenariat avec le magazine L'Histoire.

Conférence "Les Conquistadors "
Grand auditorium
Mardi 8 Février, 18h30/20h.

Bibliographie :
Cortès (Payot, 2001)
Franco (Tempus, 2002).
"La Guerre d'Espagne et ses lendemains" (Ed. Plon-Perrin, 2004).
Christophe Colomb (1451-1506) Avec la Santa Maria, Pinta et Nina, il partit en compagnie de frères Pinzon. Le 12 octobre,
il atteignit une île appelée Guanahani par les indigènes, sans doute l'île Watling de l'archipel des Lucayes, puis les grandes Antilles, Cuba et Haïti. Une deuxième expédition eut lieu de 1493 à 1496. Il découvrit la Dominique, la Guadeloupe, Porto Rico, la Jamaïque et la côte Sud ouest de Cuba. Dès cette époque, les luttes entre les colons espagnols et les indiens affaiblirent le pouvoir de Christophe Colomb.
Une troisième expédition (1498-1500) parvient aux îles de la Trinité, de Tobago et de Grenade, puis dans le delta de l'Orenoque. Erreurs administratives, violence, traite des esclaves le firent destituer de sa fonction de vice- roi et renvoyer en Espagne par Francisco de Bobadilla, mandaté par la reine Isabelle pour enquêter sur la situation.
Il fit un dernier voyage au cours de laquelle il longea la côte de l'Amérique centrale du Honduras au golfe de Darien. Mais il avait perdu tout crédit. Sa découverte fut l'objet du traité de Tordesillas signé entre l'Espagne et le Portugal qui se partagèrent les colonies du Nouveau monde.
Fernand Cortès (1485-1547) Conquistador espagnol, il participa à la conquête de Cuba avec Diego de Velazquez.
En 1519, il lui confia la direction d'une expédition au Mexique.
Il découvrit le Yucatan et fonda Vera Cruz. Après une victoire sur le royaume de Tlaxcala dont il se fit un allié contre les Aztèques;
il gagna Tenochtitlan, la capitale aztèque, sur le site de Mexico. Les démêlés avec l'empereur Moctezuma finirent par un massacre des dignitaires aztèques par P. de Alvarado,
son compagnon, réalisé durant son absence.
En 1522, il fut nommé gouverneur général de la Nouvelle Espagne par Charles Quint. Il administra le pays de manière autoritaire. Rappelé en Espagne devant le conseil des Indes (1527), il parvient à se justifier et repartit au Mexique en 1540. Revenu en Espagne,
il participa au siège d'Alger en 1541, auprès de Charles Quint. Il avait perdu tout crédit et mourut isolé.
Francisco Pizarro (1475-1541): conquistador espagnol après plusieurs expéditions en Amérique du Sud, il entreprit avec ses frères la conquête du Pérou pour la couronne d'Espagne. Après plusieurs tentatives, il soumit l'empire des incas, faisant tuer le roi Atahualap. Après la mise à mort de Diego Almagro (1538), devenu son rival, Pizarro fut lui même tué par le fils de ce dernier.