Mario Giacomelli, le réel et au-delà
Présentée à la Galerie de photographie de la BnF, site Richelieu, une exposition consacrée au travail du photographe Mario Giacomelli restitue son univers à la fois tragique et poétique.
Je veux rentrer dans les choses. Je crois à l’abstraction dans la mesure où elle me permet de m’approcher un peu plus du rée”. Mario Giacomelli (1925-2000) a choisi de métamorphoser la réalité pour mieux en rendre compte. Il tire son inspiration de l’observation de son environnement quotidien dans le pays où il est né, la région des Marches, en Italie,
en se situant lucidement en marge des modes : la vie rustique, le travail des paysans,
les vieillards de l’hospice local, les paysages constituent les thèmes de ses premiers essais. Mais ce territoire, transfiguré, devient aussi l’objet d’une interprétation graphique de l’espace. Le photographe, en effet, maîtrise admirablement la technique du laboratoire et efface au tirage certaines formes, superpose les négatifs, impose une torsion aux distances et aux perspectives, créant en somme, par l'image, un au-delà de l'apparence qui n’a plus rien de réaliste. “Giacomelli était fasciné par les formes, indique Anne Biroleau*, commissaire de l’exposition. Confronté au découpage de l’espace dans le cadre contraignant de la photographie, il était sans cesse à la recherche de nouvelles solutions, et oeuvrait dans une très grande liberté
Cent soixante-cinq photographies sont présentées, dont une partie de celles entrées au département des Estampes et de la photographie grâce à la générosité de Mario Giacomelli lui-même. L’exposition propose un parcours visuel qui invite à rapprocher et à confronter les formes, rendant visibles la persistance et la cohérence de la recherche plastique au-delà des sujets des photographies. Le visiteur peut appréhender, en contrepoint, le cheminement de l’artiste et l’élaboration de son écriture photographique.

Entre réalisme et abstraction
Né à Senigallia, dans une famille très modeste, Mario Giacomelli apprit dès l’âge de 13 ans le métier de typographe et commença, dans la même période, à peindre en autodidacte. En 1954, il acquit son premier appareil photographique et ne tarda pas à rejoindre le groupe Misa, fondé par Giuseppe Cavalli, alors figure de référence pour les jeunes photographes italiens. Il est très vite reconnu comme un grand artiste et John Szarkowski, conservateur au Museum of Modern Art (MOMA), présentera une image de Scanno dans sa célèbre exposition Looking at photographs.
Ses premières séries de paysages peuvent être appréhendées, de par leur réalisme bucolique, comme des reportages sur la vie paysanne des années soixante. Giacomelli travaille la photographie au tirage, faisant disparaître le ciel, créant des effets de halo autour des personnages, creusant les contrastes de noir et blanc. Peu à peu ses images se rapprochent de la gravure : le sillon sur la terre devient trait de burin. Elles révèlent une nature dont la dégradation et la stérilité potentielle le tourmentent.
De 1950 à 1970, Giacomelli photographie les vieillards de la maison de retraite de Senigallia, où sa mère était employée.
Il se glisse dans leur vie quotidienne, invisible tel un fantôme, ramenant de ce corps à corps avec la déliquescence et la mort, des portraits saisissants, réalistes ou fantasmés ; Goya n'est guère éloigné – ainsi, ce monde d’ombres qui s’agitent autour d’une vieille femme. D’autres images associent, dans une esthétique de la déformation et de l’anamorphose, les formes humaines et naturelles : "Les rides de la terre comme les rides de la peau m’apprennent des choses que je ne savais pas, que le paysan ne peut savoir, que le pilote de l’avion ne peut savoir. Comme si l’on éclairait les choses par magie”, dira-t-il. Son goût d’ancien typographe pour l’écrit se dévoile ainsi dans ces photographies de paysage qui évoquent parfois la page couverte de caractères, de points, de lignes et de taches.
Le mouvement vers l’abstraction, un traitement identique des blancs opaques et des noirs saturés, se retrouve aussi dans la série montrant des séminaristes jouant dans la neige, dans une inspiration déjà théâtrale.

Le théâtre de l’imaginaire
Dans les dernières séries, le photographe laisse totalement libre cours à son imaginaire ; il met en scène des personnages étranges de son entourage, utilise un mannequin, un masque grotesque, des animaux empaillés, affichant à travers cette fantasmagorie sa filiation avec une tradition italienne de l’absurde, illustrée par Pirandello. La poésie, enfin soutient et inspire la création et l'agencement des images, telle la série Io sono nessuno (1991-1995), d'après une poésie d’E. Dickinson.
"L’art de Mario Giacomelli, conclut Anne Biroleau, est transfiguration de part en part, équivalence miraculeuse entre langage et image et, en fin de compte, démonstration de ce qu’est la nature profonde de toute quête artistique : faire affleurer à la surface du visible tout un univers mental.

Sylvie Lisiecki



Mario Giacomelli. Métamorphoses
Commissaire : Anne Biroleau, conservateur en chef au département des Estampes et de la photographie.

Du 1er février au 30 avril 2005
Galerie de Photographie, Site Richelieu
Entrée : 5 euros
Tarif réduit : 4 euros