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Chroniques
: L'ombre du cheval est omniprésente dans l'histoire.
Pourtant, cet animal ne semble pas susciter un intérêt particulier
chez les historiens. Comment avez-vous été amené à
en faire un sujet d'étude et à proposer à la
BnF cette série de conférences ?
Daniel Roche : L'histoire des sociétés
est une totalité, et l'ombre du cheval peut se lire comme un
test révélateur d'une vision du monde et de son organisation
dans les pratiques sociales. Comme on ne pourrait imaginer une histoire
du XXe siècle privée de celle des automobiles ou
de l'avion, on ne peut prétendre se pencher sur celle des siècles
passés sans évoquer la place extraordinaire occupée
par cet animal distingué par l'homme.
Le cheval est à la rencontre de mes intérêts intellectuels
et de mes rapports personnels avec les milieux équestres. J'ai
découvert, au cours de mes recherches, de nombreux et intéressants
articles sur l'équitation, et il m'apparaît qu'aujourd'hui
où la culture du cheval connaît une forte crise, où
des querelles divisent le très haut niveau quant à la pédagogie
à adopter, notamment en matière de dressage, il est indispensable
d'engager une réflexion approfondie sur le patrimoine équestre.
Cette problématique a fait de ma part l'objet de cours au Collège
de France depuis 2002, dont il m'a paru intéressant d'extraire
la matière des conférences prévues à la BnF
pour intéresser un assez large public à une histoire de la
culture équestre.
Ch : Comment
peut-on caractériser les évolutions de cette place faite au
cheval dans notre civilisation, pendant cette période qui s'étend
du XVIIIe siècle à la guerre de 1914 ?
D. R. : Je m'en tiendrai à un
cadre géopolitique principalement français, bien que ce grand
vecteur traverse toutes les civilisations. Les usages et les images sont
longs à changer. Sur ces quelque quatre cents années pèse
l'évolution biologique d'un nomade apprivoisé,
domestiqué depuis quatre ou cinq mille ans, progressivement transformé
transformé au rythme de dix générations par siècle.
Le rapport des chevaux et des hommes s'inscrit dans la stabilité
modifiée et dans la transformation d'une histoire à
chaque étape liée à un statut utilitaire, social, militaire,
idéologique.
Au Moyen Âge, civilisation agricole dominante, le rapport aux chevaux
est essentiellement utilitaire. Il irrigue toute la société.
Les chevaux sont des vecteurs indispensables dans la France des campagnes
et d'une utilité majeure dans la guerre. Il devient déterminant
dans la hiérarchie des ordres et dans la symbolique sociale avec
la chevalerie.
Le fonctionnement de la Cour commence, toutefois, à installer la
pratique de l'équitation dans un modèle de distinction
sociale où la transmission joue un rôle majeur.
Ch : De quelles
évolutions le XVIIIe siècle est-il porteur ?
D. R. : C'est au XVIIIe
siècle que s'opère un tournant. La culture équestre
peut alors se lire autour de trois axes principaux : celui des chevaux ordinaires
et de leur présence utilitaire, celui des hiérarchies sociales
et du rapport au pouvoir, à la puissance, celui de la connaissance
livresque, scientifique, esthétique. Les chevaux, acteurs énergétiques
de premier plan dans le système agraire deviennent sujet de débats
sur les bénéfices et les coûts engendrés par
leur utilisation face aux multiples mutations technologiques (l'attelage,
la roue, les machines à vapeur…). Ils resteront, toutefois,
au premier plan jusqu'à être définitivement détrônés
par des engins motorisés. Le cheval-vapeur, instrument de l'évaluation
de la puissance motorisée, authentifie encore, de nos jours, l'importance
de la question. Les villes, jusqu'au XIXe siècle,
sont encore pénétrées de vie agricole. La circulation
et les transports s'y concentrent. L'extension de l'urbanisation
accélère la question des transports citadins : alors qu'entre
le XVIIIe siècle et le XIXe siècle,
le cheval de trait et utilitaire dominait les écuries urbaines, avec
la croissance de l'automobile, la tendance s'inverse.
Les évolutions des utilisations militaires replacent aussi le cheval
au cœur des transformations du corps social.
La grande écurie de Louis XV et Louis
XVI absorbe efforts et crédits. La Cour est la vitrine de
l'élevage.
Avec Napoléon, utilisateur et producteur,
administrateur de l'élevage, cavalier, militaire, voyageur,
chasseur par nécessité politique et sociale, le rôle
majeur du cheval dans la guerre apparaît au moment où basculent
le système des armes et la stratégie militaire. Avec la guerre
de 1870, la cavalerie participe à la remise en question des armées
et à la formation de l'idéal patriotique. L'apogée
de l'utilisation militaire se situe à la guerre de 1914, où
un million de chevaux ont péri. C'est presque le dernier écho
d'une utilisation du cheval par l'armée.
La relation des chevaux et des hommes est une constante ; l'étude
de ses composantes et des facteurs qui la font évoluer mobilise tout
le champ social des comportements et des sensibilités. Nous aborderons
dans ces conférences le thème des mythologies sociales et
celui de la transmission.
Propos
recueillis par Marie-Noële Darmois |
Conférences BnF – Institut
de France – Fondation Del Duca
Le cheval et la civilisation du XVIIIe siècle à
1914
Site François-Mitterrand - Grand auditorium
18 h 30 – 20 h - Entrée libre
Lundi 20 novembre 2006
Des hommes et des chevaux pendant quatre siècles
Mardi 21 novembre 2006
Le pouvoir à cheval
Mercredi 22 novembre 2006
Le cheval et la guerre
Jeudi 23 novembre 2006
Le cheval et les mythologies sociales |