Les journaux du front français de la guerre 1914-1918 mis en ligne
Désormais, chercheurs et historiens pourront consulter en ligne les journaux du front de la guerre 1914-1918, grâce aux programmes de numérisation partagés de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine et de la BnF.
La BDIC, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, est née en 1918 sous le nom de Bibliothèque - musée de la Guerre (BMG). Elle était destinée à héberger la donation que les époux Leblanc avaient faite à l'État en 1917. Dès les débuts des hostilités, ceux-ci avaient collecté la plus large documentation possible sur les causes du conflit et sur son évolution sur tous les fronts… Photos, affiches, tableaux, mais aussi archives, tracts, pamphlets, journaux, brochures, livres ont donc constitué les collections de la BMG, dont la partie iconographique est hébergée par le musée d'Histoire contemporaine, lointain successeur du musée de la Guerre, dans l'hôtel des Invalides, à Paris.
À la BDIC, aujourd'hui installée sur le campus de l'université de Nanterre, le chercheur peut consulter, dans le catalogue manuel "Première Guerre mondiale", les collections imprimées entrées avant son informatisation en 1992.
Le recensement des articles parus de 1914 à 1963, et traitant des aspects diplomatiques, militaires, économiques et sociaux du conflit traduit bien l'activité de documentation de la bibliothèque qui, sous la direction de Camille Bloch puis de Pierre Renouvin, impulsa la recherche historique sur la guerre. Les premiers catalogues méthodiques des fonds britannique et nord-américain, allemand, italien, russe de la Bibliothèque - Musée de la Guerre, publiés à partir de 1923, témoignent de la provenance internationale de la documentation rassemblée par les Leblanc. Ouverture sur le monde, multiplicité des points de vue, désir de confronter les sources, ces caractéristiques constituent encore à ce jour les fondements des collections de la BDIC.

"Psychologie du combattant"
La coopération de la BDIC et de la BnF autour de la numérisation des documents édités en France, en français, lors de la Première Guerre mondiale s'est concentrée, dans un premier temps, sur les journaux du front, journaux ronéotés ou imprimés, rédigés par les poilus afin de distraire les combattants et de créer, par la moquerie et l'ironie, un esprit de solidarité dans chaque régiment. Des dessins, des pastiches, des poèmes, des pensées, des charades et des dictionnaires, "Notre concours : la définition de l'embusqué", des chansons, "C'est un obus qui passe !" ou "J'ai un toto dans ma liquette !", des recettes, "Boche à la française" et encore des blagues sont reprises dans ces "canards" aux titres évocateurs : "Fourbi et gourbi… Joie, rigolade, amusement des poilus. Terreur des boches. Zut au cafart (sic)" ou "Le Bochofage. Organe anticafardeux, kaisericide et embuscophobe"…
Reflets des préoccupations quotidiennes des combattants, ces journaux du front et journaux de soldats ont été significativement regroupés à la BDIC sous la rubrique "Psychologie du combattant".
À la Bibliothèque nationale, Charles de la Roncière avait lancé en juin 1915 un appel dans la presse pour que ces journaux multigraphiés, qui échappaient au dépôt légal, lui soient envoyés pour être intégrés dans les collections patrimoniales. L'article "Ces éphémères de la tranchée : journaux du front de la guerre 14-18", publié dans le n° 10 de la Revue de la Bibliothèque nationale de France (2002), dresse le panorama de ces gazettes, de leurs illustrations,
de leur fabrication et de leur tirage. La numérisation partagée, commencée en 2005 et 2006, a permis de rapprocher des collections physiquement dispersées.
Dès à présent, les internautes peuvent lire ces journaux de poilus, drôles et émouvants, en interrogeant alternativement, par exemple, Le Chat pelottant, Le Coin-Coin. Sans tabac ! dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, et L'Écho des marmites, La Fusée, On progresse, dans la base Archives et images de la BDIC où ces documents sont accessibles par recherche simple dans "journaux de tranchées". D'autres titres suivront. Ce programme ne se limite pas aux journaux du front. La BDIC numérise actuellement une collection de photographies prises sur le front Nord (albums Valois) et des archives dont, par exemple, les résultats d'une enquête faite en 1920 auprès d'enfants de l'académie de Lille sur leurs souvenirs et récits de la guerre.
À ce programme de numérisation des journaux de tranchées, d'autres bibliothèques – Bibliothèque nationale et universitaire (BNU), bibliothèque municipale de Lyon, service historique de l'armée de terre –, qui conservent des fonds similaires, pourraient également coopérer. Il n'est pas exclu de déborder le cadre purement français et de renouveler l'opération sur les journaux de tranchées allemands qui figurent dans les collections de la BDIC ou de la BNU.
L'objectif est d'amplifier ce programme en numérisant, dans le cadre de la Bibliothèque numérique européenne,
des fonds consacrés à l'effort de paix, afin d'apporter la contribution de plusieurs grandes bibliothèques à l'histoire de la construction européenne.

Anne-Marie Blanchenay