Le dessin dans l’art de la Renaissance en Europe
Une série de dessins de la Renaissance, choisis dans les collections de la BnF, a été montrée au public pour la première fois cet été à la Fondation Caixa Catalunya, à Barcelone.
La BnF l’expose aujourd’hui à Paris, galerie Mazarine.
  "Père de nos trois arts", selon les termes de Giorgio Vasari, le dessin "est comme la forme ou l’idée de tous les objets de la nature". Ainsi le biographe célèbre du XVIe siècle rappelait-il le rôle matriciel du dessin dans la culture artistique de la Renaissance et sa fonction de lien entre les trois arts majeurs : architecture, peinture et sculpture.
Tout projet, toute création, commence avec le dessin, avec la ligne, la lumière, l’ombre et le crayon ou l’encre sur le papier. L’artiste, en dessinant, visualise une idée, donne une forme à la pensée d’un mécène. Toute formation de peintre passe par l’apprentissage du dessin. "Celui qui maîtrise la ligne, ajoute l’auteur des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, atteindra la perfection en chacun de ces arts." Considérés comme œuvres d’art autonomes ou comme de simples instruments de travail dans les ateliers par les artistes eux-mêmes, les dessins ont été catalogués – et conservés – sur le même mode que celui des documents jusqu’à une époque récente.
L’exposition de la galerie Mazarine présente, pour la première fois, une centaine d’œuvres conservées au département des Estampes et de la photographie, œuvres d’une quarantaine d’artistes européens de la fin du XVe au début du XVIIe siècle.
"Elle est structurée en grands ensembles qui reflètent des aspects essentiels de cet art et de son rôle, entre la Renaissance classique et l’âge baroque", commente Gisèle Lambert, commissaire de l’exposition. Son parcours s’ouvre avec 26 œuvres d’artistes des écoles du Nord qui, confrontés au maniérisme et à la vitalité artistique venue d’Italie, ont su adapter la tradition gothique germano-flamande à la Renaissance.

Dürer et les artistes du Nord

Surtout renommé pour son œuvre graphique – dessins et gravures –, Albrecht Dürer (1471-1528) a dominé de son influence les artistes des pays du Nord. La sélection de dessins présentés, parmi les quelque
2 000 attribués à l’artiste, représente les statuts différents de ces œuvres : dessins d’après nature (Tête de cerf), œuvres préparatoires à des peintures ou œuvres autonomes telles que Moulin aux saules, premier paysage "moderne", au sens où l’artiste a voulu représenter avec exactitude un paysage réel, sensible aux moindres nuances de la lumière et aux effets de miroir entre le ciel et l’eau. On pourra voir des dessins d’autres artistes du Nord, comme Hans Burgkmair ou Hans Baldung, qui fréquenta l’atelier du maître (Le Jugement de Pâris).

Le goût de l’antique


L’Antiquité gréco-romaine est omniprésente dans l’imaginaire et la culture du XVIe siècle qui la revisitent avec passion.
Le voyage à Rome est devenu une étape obligée de l’éducation de l’homme cultivé. Inlassablement, les artistes représentent les ruines et les vestiges de la Ville éternelle. Les dessins, présentés dans cette deuxième partie de l’exposition, montrent, il est vrai, le Colisée en ruines et le Forum romain défiguré. Mais papes, mécènes et princes se disputent les vestiges pour se constituer des collections d’antiques qu’ils exposent dans leurs palais, ainsi la Cour de sculptures antiques du Cardinal della Valle. Une esthétique nouvelle s’élabore dans la décoration, puisant ses sources dans l’Antiquité pour la transcender. L’exposition montre ainsi des dessins d’ornements Renaissance provenant du cabinet de Fabri de Peiresc, humaniste à la curiosité universelle et grand collectionneur d’antiquités.

"La bella maniera"

Puis viennent l’école italienne et le courant maniériste. Le maniérisme, né en Italie, s’étendit à toute l’Europe, du début du XVIe au début du XVIIe siècle. En réaction au Beau, idéal de la Renaissance classique, des artistes retrouvent une liberté de création fondée sur l’artifice,
la déformation de la réalité, la complexité de la composition. L’ornementation prolifère jusqu’à l’outrance. Par la torsion des formes, l’étirement des silhouettes, le corps humain devient l’une des expressions privilégiées de ce mouvement (Perino del Vaga, Salviati). Ce jeu de l’esprit, qui substitue un monde mythique au monde réel, s’exprime aussi par le goût des allégories et des emblèmes tels ceux de la tenture d’Artémise, célébrant la gloire de Catherine de Médicis,
dont on pourra voir des dessins préparatoires. À l’approche de 1570, la Contre-Réforme impose le retour à un art épuré. Le mouvement évolue alors vers un art plus classique, puis vers le baroque.

L’école de Fontainebleau

La dernière partie de l’exposition rassemble un choix de dessins provenant de la cour de France à Fontainebleau.
Des artistes comme Jean Clouet, puis son fils François, s’y imposèrent dans un genre fort prisé, une spécificité française : le portrait aux trois crayons, à la pierre noire, à la sanguine et à la craie blanche. Une quinzaine de ces portraits sont également présentés : ils dépeignent la famille royale, Henri II, Catherine de Médicis et certains de leurs dix enfants. Loin d’eux, la reine en voyage se faisait envoyer leurs portraits afin de pouvoir juger de leur bonne mine. Ces portraits, sortes d’instantanés de l’époque, étaient aussi utilisés lors des projets de mariages princiers. Représentation physique et psychologique d’un personnage de la cour, ils donnent à voir également sa valeur et son statut social. "On sent une maîtrise, une réserve du personnage portraituré, dont le visage reflète une expression altière, lointaine, un rien précieuse", remarque Gisèle Lambert.

La maniérisme a profondément influencé l’art français. François Ier et Henri II s’étaient entourés, au château de Fontainebleau, d’artistes italiens, flamands et français comme Niccolò dell’ Abate, Antoine Caron, peintre et grand décorateur, Geoffroy Dumoutier ou encore Étienne Delaune, orfèvre et graveur. Les décors monumentaux, la vie de cour, ses fêtes somptueuses, ses chasses favorisèrent l’expression des artistes, donnant naissance à un style original, un maniérisme mesuré. La diversité de ces dessins, dans leur traitement esthétique, dans leurs thèmes comme dans leurs techniques, témoigne d’un même foisonnement créatif dans un espace où se croisent les appartenances culturelles.

Sylvie Lisiecki


En savoir plus

Exposition
24 février - 4 avril 2004
Dessins de la Renaissance
Collections de la Bibliothèque nationale de France
Site Richelieu, galerie Mazarine
Entrée : 5 €. TR : 4 €
Commissaire : Gisèle Lambert, conservateur au département des Estampes et de la photographie

Le Salon du dessin se tiendra dans la même période, du 17 au 22 mars 2004, au Palais de la Bourse.