Chine, l'Empire du trait
  À l’occasion de l’Année de la Chine, une exposition sera organisée en 2004, site François-Mitterrand, réunissant deux arts majeurs de la culture chinoise : la calligraphie et la peinture.
 
"Un trait n’est pas une simple ligne. Il est l’incarnation même du souffle." François Cheng, calligraphe et écrivain contemporain, évoque ainsi ce mystère qui régit le geste du calligraphe et ordonne l’écriture du poète. Même souffle, même énergie animant la main et l’esprit, et qui se résout dans le trait signifiant du pinceau et de l’encre. L’exposition que la BnF consacre à la Chine a voulu rester au plus près de l’esthétique chinoise du trait, en réunissant des pièces issues des deux arts : cent trente œuvres du Ve au XIXe siècle parmi les plus exceptionnelles, conservées dans ses fonds de manuscrits, d’imprimés précieux, de cartes, d’albums de peintures, d’estampages et d’estampes.

Les collections chinoises de la Bibliothèque, peu connues du public français, remontent à la fin du XVIe siècle. Sous l’impulsion de Louis XIV, qui créa les missions de Chine, il fut demandé aux missionnaires d’envoyer des ouvrages destinés à l’étude de l’Empire du Milieu. Cette tradition de conservation et d’acquisition s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Mais la découverte spectaculaire d’un véritable trésor est venue l’enrichir, au début du XXe siècle : Paul Pelliot (1878-1945), un éminent sinologue, découvrit une bibliothèque médiévale d’une valeur inestimable à l’intérieur d’une grotte, scellée à la fin du XIe, située dans l’oasis de Dunhuang, au Turkestan chinois. Il acquit ainsi plusieurs milliers de manuscrits et des centaines de peintures qui furent déposés à la BN.
Ces documents ont ouvert des pistes nouvelles à la recherche sur l’histoire économique et sociale de la Chine médiévale, mais aussi sur celle des religions bouddhique et taoïque, ou encore du livre et de l’imprimerie.

Manuscrits trouvés à Dunhuang

Trois belles cartes – dont celle du "Grand Empire des Qing unifié et éternel" du XVIIIe siècle, imprimée en bleu – ouvrent le parcours scénographique. Puis sont présentés des manuscrits de Dunhuang : rouleaux de soie calligraphiés au Ve siècle, rouleaux de sûtras bouddhiques sur papier, qui les remplacèrent, accélérant ainsi la diffusion des écrits, estampages parmi les plus anciens au monde. "Ils permettent d’appréhender la diversité de la calligraphie médiévale chinoise et d’apprécier la vitalité de l’art du pinceau : style régulier, cursif, calligraphies issues d’ateliers de moines copistes ou de scribes impériaux, d’un empereur ou de maîtres calligraphes, graphies inventées, caractères célestes ou talismaniques, etc.", commente Nathalie Monnet, commissaire de l’exposition. Des dessins au trait, esquisses préparatoires de peintures qui décorèrent les murs couverts de fresques de Dunhuang, figurent des visages de divinités,
un personnage qui se protège du vent, un gardien protecteur... Pièces très rares elles aussi, puisque aucune ébauche de peinture ne fut conservée en Chine avant le XVIe siècle.

De la lettre à l’image

La troisième partie de l’exposition est consacrée aux œuvres imprimées anciennes. Les grands corpus confucéens, taoïques et bouddhiques des trois traditions scriptuaires chinoises y sont représentés, ainsi que les littératures romanesque et théâtrale, dans des éditions précieusement illustrées au trait. On pourra découvrir ainsi des chefs-d’œuvre de bibliophilie : albums imprimés par la technique de l’estampage ou peints et calligraphiés sur soie, sur jade, sur feuille d’arbre ou sur fond d’or. L’Album des dix vues du mont Wu, d’une finesse d’exécution inégalée, illustrant l’un des plus beaux lieux du célèbre lac de l’Ouest, constitue l’unique exemplaire d’une impression en couleurs qui circula dans un cercle restreint de lettrés esthètes, vers 1615.

Certains documents révèlent l’existence d’un art politique dans la Chine ancienne, telle cette peinture sur soie à la gloire du pouvoir impérial de la dynastie Qing : elle montre le cortège de l’empereur Kangxi, traversant Pékin en liesse pour son soixantième anniversaire. Le parcours de l’exposition se clôt sur l’évocation de l’art du paysage à travers des peintures ou des planches imprimées. On n’oubliera pas les gravures ni les peintures sur soie figurant les parcs impériaux. Parmi la série de quarante peintures sur soie conservées à la BnF, quatre grandes, de format carré, font revivre les paysages et les pavillons du somptueux palais d’Été disparu en 1860. En contrepoint, leur répondent quatre gravures des palais occidentaux du monarque de Chine. Réalisées par les jésuites au XVIIIe siècle, ces "curiosités" impériales témoignent aussi des premières tentatives de compréhension mutuelle et d’échange entre les deux cultures, chinoise et européenne.

Sylvie Lisiecki

Ts’ang Kie, 1685 © BnF

Un mythe fondateur

Ts’ang Kie était un ministre de l’empereur Jaune. Sa particularité était d’avoir deux paires d’yeux. Il s’inspira de la lune tantôt ronde, tantôt croissante et des empreintes d’oiseaux et d’animaux pour inventer l’écriture chinoise. Selon la légende, les dieux du ciel furent si effrayés de cette invention qu’ils en pleurèrent des jours et des nuits. Une pluie de céréales se mit alors à tomber. Indépendamment de sa légende, Ts’ang Kie pourrait être le premier à avoir formalisé l’écriture chinoise.
F. A.-G.

Pictogramme du mot "lumière" (le soleil et la lune), dans Écritures chinoises, des inscriptions divinatoires à l’ordinateur, éd. BN de Chine

L’origine de l’art calligraphique
L’origine de l’art calligraphique est l’image, source commune de toutes les écritures de l’humanité. Les pictogrammes se stylisèrent pour devenir des idéogrammes. Les premiers pictogrammes chinois sont des figures incisées, dessinées sur des poteries. Ils ont déjà
les propriétés de l’écriture.
On les trouve à Jiahhu (de 8000 à 7000 av. J.-C.) sur les sites néolithiques de Yanshao
(de 7000 à 5000 av. J.-C.) et de Davenkou (4500 av. J.-C.).
F. A.-G.



Pictogramme de "la lumière" et de "voir", dans Écritures chinoises, des inscriptions divinatoires à l’ordinateur, éd. BN de Chine

En savoir plus

Exposition
16 mars - 20 juin 2004
Chine, l’Empire du trait
Calligraphies et dessins de la Bibliothèque nationale de France
Site François-Mitterrand
Grande Galerie
Entrée : 5 € TR : 4 €
Commissaire : Nathalie Monnet, conservateur en chef au département des Manuscrits (division orientale).