"Un trait n’est pas une simple
ligne. Il est l’incarnation même du souffle."
François Cheng, calligraphe et écrivain contemporain,
évoque ainsi ce mystère qui régit le geste du
calligraphe et ordonne l’écriture du poète. Même
souffle, même énergie animant la main et l’esprit,
et qui se résout dans le trait signifiant du pinceau et de
l’encre. L’exposition que la BnF consacre à la
Chine a voulu rester au plus près de l’esthétique
chinoise du trait, en réunissant des pièces issues des
deux arts : cent trente œuvres du Ve au XIXe siècle parmi
les plus exceptionnelles, conservées dans ses fonds de manuscrits,
d’imprimés précieux, de cartes, d’albums
de peintures, d’estampages et d’estampes.
Les collections chinoises de la Bibliothèque, peu connues du
public français, remontent à la fin du XVIe siècle.
Sous l’impulsion de Louis XIV, qui créa les missions
de Chine, il fut demandé aux missionnaires d’envoyer
des ouvrages destinés à l’étude de l’Empire
du Milieu. Cette tradition de conservation et d’acquisition
s’est perpétuée jusqu’à nos jours.
Mais la découverte spectaculaire d’un véritable
trésor est venue l’enrichir, au début du XXe siècle
: Paul Pelliot (1878-1945), un éminent
sinologue, découvrit une bibliothèque médiévale
d’une valeur inestimable à l’intérieur d’une
grotte, scellée à la fin du XIe, située dans
l’oasis de Dunhuang,
au Turkestan chinois. Il acquit ainsi plusieurs milliers de manuscrits
et des centaines de peintures qui furent déposés à
la BN.
Ces documents ont ouvert des pistes nouvelles à la recherche
sur l’histoire économique et sociale de la Chine médiévale,
mais aussi sur celle des religions bouddhique et taoïque, ou
encore du livre et de l’imprimerie.
Manuscrits trouvés à Dunhuang
Trois belles cartes – dont celle du "Grand
Empire des Qing unifié et éternel" du XVIIIe
siècle, imprimée en bleu – ouvrent le parcours
scénographique. Puis sont présentés des manuscrits
de Dunhuang : rouleaux de soie calligraphiés au Ve siècle,
rouleaux de sûtras bouddhiques sur papier, qui les remplacèrent,
accélérant ainsi la diffusion des écrits, estampages
parmi les plus anciens au monde. "Ils
permettent d’appréhender la diversité de la calligraphie
médiévale chinoise et d’apprécier la vitalité
de l’art du pinceau : style régulier, cursif, calligraphies
issues d’ateliers de moines copistes ou de scribes impériaux,
d’un empereur ou de maîtres calligraphes, graphies inventées,
caractères célestes ou talismaniques, etc.",
commente Nathalie Monnet, commissaire
de l’exposition. Des dessins au trait, esquisses préparatoires
de peintures qui décorèrent les murs couverts de fresques
de Dunhuang, figurent des visages de divinités,
un personnage qui se protège du vent, un gardien protecteur...
Pièces très rares elles aussi, puisque aucune ébauche
de peinture ne fut conservée en Chine avant le XVIe siècle.
De la lettre à l’image
La troisième partie de l’exposition est consacrée
aux œuvres imprimées anciennes. Les grands corpus confucéens,
taoïques et bouddhiques des trois traditions scriptuaires chinoises
y sont représentés, ainsi que les littératures
romanesque et théâtrale, dans des éditions précieusement
illustrées au trait. On pourra découvrir ainsi des chefs-d’œuvre
de bibliophilie : albums imprimés par la technique de l’estampage
ou peints et calligraphiés sur soie, sur jade, sur feuille
d’arbre ou sur fond d’or. L’Album
des dix vues du mont Wu, d’une finesse d’exécution
inégalée, illustrant l’un des plus beaux lieux
du célèbre lac de l’Ouest, constitue l’unique
exemplaire d’une impression en couleurs qui circula dans un
cercle restreint de lettrés esthètes, vers 1615.
Certains documents révèlent l’existence d’un art
politique dans la Chine ancienne, telle cette peinture sur soie à
la gloire du pouvoir impérial de la dynastie Qing
: elle montre le cortège de l’empereur Kangxi,
traversant Pékin en liesse pour son soixantième anniversaire.
Le parcours de l’exposition se clôt sur l’évocation
de l’art du paysage à travers des peintures ou des planches
imprimées. On n’oubliera pas les gravures ni les peintures
sur soie figurant les parcs impériaux. Parmi la série
de quarante peintures sur soie conservées à la BnF,
quatre grandes, de format carré, font revivre les paysages
et les pavillons du somptueux palais d’Été disparu
en 1860. En contrepoint, leur répondent quatre gravures des
palais occidentaux du monarque de Chine. Réalisées par
les jésuites au XVIIIe siècle, ces "curiosités"
impériales témoignent aussi des premières tentatives
de compréhension mutuelle et d’échange entre les
deux cultures, chinoise et européenne.
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Ts’ang Kie, 1685
© BnF
Un mythe fondateur
Ts’ang Kie était un ministre de l’empereur
Jaune. Sa particularité était d’avoir
deux paires d’yeux. Il s’inspira de la lune
tantôt ronde, tantôt croissante et des empreintes
d’oiseaux et d’animaux pour inventer l’écriture
chinoise. Selon la légende, les dieux du ciel furent
si effrayés de cette invention qu’ils en
pleurèrent des jours et des nuits. Une pluie de
céréales se mit alors à tomber. Indépendamment
de sa légende, Ts’ang
Kie pourrait être le premier à avoir
formalisé l’écriture chinoise.
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Pictogramme du mot "lumière"
(le soleil et la lune), dans Écritures chinoises,
des inscriptions divinatoires à l’ordinateur,
éd. BN de Chine
L’origine de l’art
calligraphique
L’origine de l’art calligraphique est l’image,
source commune de toutes les écritures de l’humanité.
Les pictogrammes se stylisèrent pour devenir des
idéogrammes. Les premiers pictogrammes chinois
sont des figures incisées, dessinées sur
des poteries. Ils ont déjà
les propriétés de l’écriture.
On les trouve à Jiahhu
(de 8000 à 7000 av. J.-C.) sur les sites néolithiques
de Yanshao
(de 7000 à 5000 av. J.-C.) et de Davenkou
(4500 av. J.-C.).
Pictogramme de "la
lumière" et de "voir", dans Écritures
chinoises, des inscriptions divinatoires à l’ordinateur,
éd. BN de Chine |
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