Nathalie Monnet
: Dans la tradition occidentale,
un artiste peintre crée rarement autre chose que des œuvres
picturales, contrairement à l’idéal traditionnel
d’un artiste chinois. Vous êtes calligraphe, peintre et
poète. Dans quel ordre ?
Fan Zeng : En Chine, à partir
du Xe siècle, la "peinture de lettrés" est
devenue le courant dominant de la peinture chinoise. Ainsi un grand
peintre chinois doit-il exceller dans les trois arts : poésie,
calligraphie et peinture. On ne peut en privilégier un seul
au détriment des autres. Si un peintre ne cultive pas l’art
poétique et la calligraphie, il ne sera pas considéré
comme un maître. Une peinture sans poésie sera une œuvre
dénuée de spiritualité et d’âme.
Et un peintre dont la calligraphie est faible produira également
une peinture sans éclat. En ce qui me concerne,
je me considère d’abord comme poète, puis comme
calligraphe, préalables pour réaliser un jour mon rêve
: devenir un très grand peintre.
Je pense que c’est ainsi que s’établit la relation
entre ces activités. N.
M. : Le visiteur français
qui vient voir l’exposition ne comprend pas toujours le contenu
des textes présentés. Quelle est la place du sens du
texte dans l’appréciation d’une œuvre calligraphique
?
La trace calligraphique constitue-t-elle l’élément
primordial ?
F. Z. : La calligraphie chinoise possède
une valeur esthétique indépendante de sa signification.
Ainsi la signification d’une œuvre calligraphique passe-t-elle
parfois au second plan. Par exemple, le manuscrit dit du "mal
au ventre" de Zhang Xu (env. 659-748),
grand maître de la "cursive folle" de l’époque
Tang, a été exécuté
simplement parce qu’un jour son auteur a eu mal au ventre. Ou
encore le manuscrit dit de "pousse de bambou amère"
de Huaisu (725-785), moine bouddhiste
qui fut l’un des plus grands calligraphes en "cursive".
Celui-ci raconte que les pousses de bambou et le thé sont de
très bonne qualité et qu’on peut les lui livrer
directement ; il s’agit d’une simple note. La signification
de ces deux pièces n’a pas grande importance mais, en
tant qu’œuvres calligraphiques,
ce sont des classiques intemporels.
Je pense que les Français ne connaissent peut-être pas
la signification de ces calligraphies mais, parce que les traits de
la calligraphie génèrent une valeur esthétique
propre, ils arrivent cependant à les apprécier, même
s’ils n’en comprennent pas le sens. De même, sans
savoir à qui Beethoven a dédié
sa "Symphonie héroïque",
nous sommes néanmoins capables de l’apprécier.
C’est du même ordre.
N. M. : Comment définiriez-vous
la couleur de l’encre qui, au premier coup d’œil,
n’est que noire ?
F. Z. : C’est précisément
ce qui distingue essentiellement la peinture chinoise de la peinture
à l’huile. Le blanc et le noir sont deux couleurs absolument
en opposition.
Le papier est blanc tandis que l’encre est noire.
Mais entre le noir de l’encre et le blanc du papier, il existe
des transitions infinies : de "sec" à "mouillé",
de "concentré" à "dilué",
etc. On pourrait dire qu’il y a des milliers de nuances imprévisibles.
C’est justement grâce à cette compréhension
de l’encre que les peintres chinois ont pu donner à la
peinture chinoise (shui-mo-hua : peinture
à l’encre) la place qu’elle occupe dans le monde.
Sans elle, je pense que la Chine n’aurait pas une telle position
au sein de l’art mondial.
Traduction de Chih-Min
Chen |
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Qui
est Fan Zeng ?
Né dans une grande famille de lettrés chinois,
Fan Zeng est l’un
des peintres chinois les plus connus en Chine et en Asie.
En dehors de la peinture, il excelle aussi en art calligraphique
et en poésie classique. Outre ses activités
d’artiste, il assume de nombreuses responsabilités
dans l’enseignement, notamment comme professeur
titulaire à l’université Nankai à
Tianjin où
il dirige des thèses en histoire et en littérature
classique chinoises. Il est également directeur
de recherche
à l’Institut
national de l’art à Beijing (Pékin).
Il serait intéressant de souligner la longue lignée
de lettrés de la famille Fan, durant treize générations
(depuis la fin du XVIe siècle) sans interruption,
ou de citer l’arrière-grand-père de
Fan Zeng, Fan Dangshi,
plus connu sous le nom
de Fan Bozi (1854-1905),
illustre poète et homme
de lettres de la fin de la dynastie Qing, qui fut conseiller
du célèbre homme d’État Li
Hongzhang.
Fan
Zeng dans son atelier à Paris,
octobre 2003. |
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Repères
• 5 juillet 1938 : Naissance
à Nantong (province de Jiangsu).
• 1957 : Il entre
à l’Institut central des beaux-arts de Beijing
(Pékin) pour étudier l’histoire de
l’art chinois et la peinture chinoise.
• 1984 : La ville
de Okoyama, au Japon, construit une galerie d’exposition
permanente de ses œuvres.
• 1986 : Fan Zeng
fait une donation en vue de la création de la faculté
des beaux-arts orientaux de l’université Nankai.
• 1990 : Première
visite à Paris où il installe un atelier.
Depuis, il passe quelques mois par an en France.
• 2003 : Fan Zeng
est nommé directeur de recherche à l’Institut
national de l’art, à Beijing. |
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