Le projet Mellon à la BnF : la numérisation des collections de Dunhuang
Paul Pelliot dans la grotte aux manuscrits et aux peintures,
à Dunhuang. © Maryse El Garby.
En février 1908, un jeune sinologue français, Paul Pelliot, arrivant à l’ultime étape de sa mission en Asie centrale, découvre le site des "Grottes des mille bouddhas", à Dunhuang, une commanderie établie au IIe siècle, aux confins occidentaux de l’Empire chinois. Il reste frappé par la beauté de ces sanctuaires rupestres. Il arrive à accéder à une ancienne cellule de méditation murée au XIe siècle, remplie de milliers de manuscrits et de peintures. Après trois semaines passées à inventorier les documents, il sait que c’est là "la plus formidable découverte de manuscrits chinois que l’histoire de l’Extrême-Orient ait eu à enregistrer".
En 1910, la fabuleuse collection qu’il acquiert entre à la Bibliothèque nationale, pour les manuscrits, et au Louvre, pour les peintures.
 

Vaisravana, roi gardien du Nord, debout sur la déesse Terre, Dunhuang, IXe siècle, peinture sur papier
Depuis 2001, la BnF participe à un programme international, dirigé par la fondation américaine Andrew- Mellon, les Mellon International Dunhuang Archives, dont le but est de présenter aux chercheurs les images des grottes et celles des manuscrits découverts sur le site et dispersés dans le monde. L’exigence de haute qualité, le souci d’exhaustivité de ce vaste projet, comme la complexité des documents, lancent un véritable défi quant à leur numérisation, qui donne lieu à la première entreprise de numérisation directe à la BnF. Autre élément novateur :
les images seront liées à des métadonnées en caractères non latins.
Les documents de Dunhuang retracent, par leur diversité de formes, de langues et d’écritures, l’histoire d’une région traversée de riches influences : Dunhuang est en effet le point de départ de la "route de la soie" vers l’Asie centrale. Sur cette route circulaient non seulement des biens commerciaux, mais aussi des idées et des croyances religieuses au cours d’une période capitale de l’expansion du bouddhisme vers l’Extrême-Orient. La langue des textes retrouvés reflète cette diversité culturelle autour de l’oasis qui vit transiter pèlerins, marchands ou groupes dominants : Chinois, Tibétains, Turcs ouïgours...

Des textes fondateurs du bouddhisme

Ces manuscrits, datables du Ve siècle au début du XIe siècle, livrent en outre les traductions des textes fondateurs du bouddhisme. On y trouve représentées toutes les qualités de copies, depuis les copies impériales sur papier teinté ou les prestigieux rouleaux à peintures jusqu’aux brouillons fautifs. Des images pieuses, représentatives des cultes populaires, modestes ex-voto en papier découpé voisinent avec d’émouvants témoignages des premiers temps de l’impression xylographique illustrée. Les peintures révèlent une iconographie propre au bouddhisme sinisé qui se retrouve sur les parois mêmes des sanctuaires dont Pelliot réalisa le relevé.
Pelliot sélectionna également des documents d’archives et des textes de littérature populaire, sources précieuses pour la connaissance de la civilisation chinoise.

17 000 images déjà numérisées

Un objectif de qualité et les contraintes de conservation ont conduit au choix de la numérisation directe : il s’agit de rendre la fidélité des couleurs et la bonne lisibilité des documents. Mais un des défis – et non des moindres – est de rendre à l’écran l’aspect physique des documents. Car cette collection nous donne de précieuses informations sur le livre en Asie, sur les échanges entre les différentes traditions aboutissant à des formes originales, comme ces "livrets en tourbillon" ou ces pothis indiennes adaptées aux textes chinois. Certaines particularités matérielles sont ainsi redécouvertes : une tranche ornée, une couture d’origine ou un embout de bâton de roulage incrusté de nacre sont mis en évidence.
Enfin, les images des rouleaux sont assemblées afin de présenter à l’écran le rouleau dans sa continuité. Ce vaste corpus d’images numérisées sera accessible grâce aux métadonnées extraites des catalogues scientifiques, qui seront également consultables dans leur intégralité.
Au terme d’une année, environ 17 000 images ont été réalisées à la BnF, soit les deux tiers du fonds Pelliot chinois. Le programme se poursuivra en 2004 avec sa partie tibétaine et s’achèvera autour de 2005 avec les rares documents en sanscrit, en ouïgour, en hébreu, sogdien et khotanais. Ces images seront consultables sur Internet à partir du site de la BnF. Une large diffusion qui, d’une part, facilitera la recherche internationale dans ce domaine et, d’autre part, rendra accessibles à un public élargi ces merveilles de l’art de Dunhuang.

Monique Cohen et Véronique Béranger