Éditer l'histoire
 
Une journée d’étude réunira en janvier à la BnF des éditeurs, des universitaires et des journalistes autour des difficultés actuelles de l’édition française en matière d’histoire. Ils tenteront de dégager des propositions face à la crise que traverse ce secteur. Ce débat marquera aussi le vingtième anniversaire des éditions La Découverte, qui ont pris le relais des éditions François-Maspero,
créées en 1959, dont elles ont poursuivi l’engagement dans ce domaine.
Entretien avec François Gèze, président-directeur général des éditions La Découverte.

François Gèze © Claudia Melin / Aléas
Chroniques : Peut-on parler d’une crise de l’édition en histoire ?

François Gèze : Le mot "crise" est sans doute un peu fort, mais il existe assurément un sérieux problème en ce qui concerne l’articulation entre la recherche universitaire en histoire et l’édition correspondante.
Depuis 1995, nous publions la collection "L’espace de l’histoire", animée par une équipe de jeunes historiens que dirige Christophe Prochasson, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France contemporaine. C’est à la suite d’un bilan du travail d’édition dans ce cadre depuis huit ans qu’il nous a paru important d’initier une réflexion sur ce sujet. En effet, les espoirs d’ouverture plus systématique de l’édition aux travaux de la nouvelle génération de doctorants en histoire, suscités par la réforme des thèses, ont été déçus. On pouvait penser que les thèses dites de "nouveau régime", en principe plus courtes que les volumineux opus des thèses d’État, permettraient une diffusion plus large des résultats de la recherche, grâce à une meilleure adaptation aux formats et aux exigences de l’édition en histoire. Pourtant, malgré la qualité du travail de ces jeunes chercheurs, les bénéfices attendus n’ont pas été au rendez-vous : les sujets traités restent souvent assez étroits. Les chercheurs ne sont pas poussés à affronter des sujets synthétiques, des fresques plus vastes.

Ch. : D’après vous, à quoi tiennent ces difficultés ? Et peut-on entrevoir des solutions pour les contourner ?

F. G. : Ces difficultés tiennent à la fois aux perspectives d’avenir de la recherche et aux mécanismes internes du monde universitaire et de celui de la recherche.
La recherche offre de moins en moins de débouchés aux jeunes chercheurs qui se retrouvent souvent devoir enseigner dans le secondaire, dans des conditions qui ne sont pas de nature à favoriser la poursuite de leurs travaux et à fortiori leur investissement dans l’édition.
Par ailleurs, nous constatons que les sujets appuyés par les directeurs de thèses sont généralement trop étroits et trop éloignés à la fois des champs de recherche les moins explorés, comme l’histoire coloniale ou l’histoire politique – même s’il existe heureusement des contre-exemples novateurs, comme dans le champs de la micro-histoire ou de la recherche sur les archives.
Reste que l’on a trop souvent le sentiment que la génération de ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir universitaire, venus après la génération flamboyante des Annales, a plutôt été portée à la consolidation de ses positions qu’à l’innovation épistémologique.
Facteur aggravant – qui n’est pas propre à l’histoire – ne favorisant pas la diffusion de savoirs neufs : le monde de l’enseignement universitaire apparaît aujourd’hui de plus en plus disjoint du monde de la recherche. Ainsi, j’ai pu voir récemment les bibliographies distribuées aux étudiants de premier cycle de certains IEP de province : la majorité des titres proposés dataient de plus de quinze ans. Quant aux mécanismes internes au monde de la recherche (je pense, par exemple, aux critères d’évaluation des publications), ils ne sont pas non plus particulièrement propices à l’établissement de ponts entre le monde académique et l’enseignement. Tout cela rend la situation de l’édition en histoire très délicate, d’autant que les lieux institutionnels susceptibles d’accueillir des chercheurs (en dehors de quelques îlots relativement privilégiés, comme l’EHESS) se font de plus en plus rares.
Ces pistes de réflexion personnelles viendront s’ajouter à celles des autres invités à cette journée, dont il me paraît important qu’elles se confrontent dans le cadre de la BnF – lieu symbolique, avec ses deux niveaux de salles de lecture, d’une volonté de convergence entre les mondes de l’enseignement et de la recherche. Il est indispensable que, de ces échanges, surgissent des solutions qui permettent de sortir l’édition en histoire de la "crise" qu’elle traverse.

Propos recueillis par Marie-Noële Darmois


En savoir plus

Journée d’étude
9 janvier 2004
Éditer l’histoire

Site François-Mitterrand
Grand Auditorium, hall est
De 9 h à 18 h 30
Entrée libre

Avec la participation de Marc-Olivier Baruch (EHESS et IHTP), Annette Becker (Université Paris-X),
Philippe-Jean Catinchi
(Le Monde), Roger Chartier (EHESS), Vincent Duclert (EHESS), Olivier Dumoulin (université de Rouen), François Gèze (éd. La Découverte), Valérie Hannin (L’Histoire), Jacques Julliard,
Herman Lebovics (State University of New York), Denis Maraval (éd. Fayard), Pierre Nora, Gérard Noiriel (EHESS), Denis Pelletier (Université Lyon-II), Christophe Prochasson (EHESS), Jacques Revel (EHESS),
Daniel Roche
(Collège de France), Pierre Rosanvallon (Collège de France), Daniel Rivet (Université Paris-I), Anthony Rowley (Perrin), Valérie Tesnière (BnF), Éric Vigne (éd. Gallimard).