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En prélude à la conférence
que donnera Christa Wolf sur une sélection des uvres
et des auteurs qui forment sa bibliothèque personnelle,
la plus célèbre romancière allemande livre,
dans cet entretien de janvier dernier, ses réflexions
sur l'écriture, l'Allemagne face à l'Europe et
sur la place des intellectuels à l'heure actuelle.
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Portrait de Christa Wolf
© DR |
Diane Tridoux : Alain
Lance achève la traduction de votre dernier roman
"Leibhaftig". C'est une uvre partiellement autobiographique.
Hospitalisée à la fin des années 80 en
RDA, une femme lutte contre la maladie qui la ronge.
Vous décrivez le combat de ce corps mobilisé par
les médecins qui, pour sa propre survie, doit paradoxalement
restreindre sa vie cérébrale à une activité
rudimentaire : voyages sous narcose dans l'indicible, dédoublement
de conscience, enchevêtrement de réalité
et de fiction, un douloureux passage de frontières. L'écriture
vous a-t-elle aidé à surmonter les blessures et
les souffrances que vous avez effectivement dû endurer
?
Christa Wolf : J'hésiterais
à qualifier ce livre d'" autobiographique"
bien qu'il comporte un matériau autobiographique. Mais
je n'ai pu l'écrire que lorsque ce matériau a
été chassé de la sphère de l'expérience
vécue par une conception plus générale
et par différents éléments de fictions.
Ce texte se rapporte à des événements qui
se sont déroulés dix ans plus tôt. Si les
blessures physiques, psychiques, intellectuelles sont encore
trop proches, je ne peux pas les raconter. Je ne peux pas les
raconter non plus si elles se sont trop éloignées.
Il faut que je trouve ce fil ténu, ce moment subtil où
je peux évoluer et écrire en me servant d'un sujet
qui "déjà" et "encore" m'habite.
Ce faisant, j'exclus aussi les événements dont
je ne suis pas remise. En ce sens, écrire c'est pour
moi "surmonter".
DT :
Vous avez fait l'expérience de deux Etats allemands,
tour à tour déchus. Avez-vous aujourd'hui
le sentiment de faire partie d'une communauté et quelle
en serait la nature linguistique, politique, culturelle ?
Christa Wolf : Après la
guerre, j'ai comme beaucoup de gens de ma génération
souffert d'être Allemande. L'espoir qui a d'abord compté
pour moi, c'est qu'une société, dans laquelle
les crimes que les Allemands avaient commis sous le national-socialisme,
ne serait plus possible et c'est ce qui a déterminé
mon engagement en RDA - même si mes rapports à
cet Etat sont avec le temps devenus toujours plus critiques.
Mon attachement à la culture et, particulièrement,
à la littérature allemande est devenu naturellement
plus intensif parce que, en écrivant, j'ai eu affaire
à quelques-uns de ses représentants les plus importants
; et, bien sûr, je suis attachée à la langue
allemande qui, pour un écrivain, est bien plus qu'un
outil. Elle est fondatrice d'identité. Ces attachements
sont des constantes personnelles. Malgré les décennies
de division, la culture a constitué le socle d'une appartenance
commune des citoyens dans les deux Etats allemands.
Dans cette Allemagne élargie, où je vis depuis
l'adhésion de la RDA, je n'éprouve pas la même
responsabilité pour ceci et cela que je ressentais en
RDA. L'histoire de la République fédérale,
que j'ai toujours suivie avec grand intérêt, n'est
pas mon histoire et elle ne peut le devenir après coup.
Il existe cependant une série de sujets de conflits actuels
qui m'obligent à m'engager, en particulier dans la discussion
sur la paix ou la guerre - contre la guerre donc -, ou dans
le débat sur la manière de traiter de la culpabilité
des Allemands dans l'histoire contemporain allemande, ce fameux
"point fina", et des invectives antisémites
ou xénophobes qui y sont liées. Je considère
d'autres événements et d'autres situations de
manière plus distanciée, je veux dire d'un "regard
étranger". Je me sens profondément liée
aux Allemands de l'Est et je suis sensible à leurs -
nos - problèmes après la réunification
et aussi aux problèmes que pose l'élargissement
de l'Europe à l'Est.
DT : Vous
allez présenter à la Bibliothèque nationale
de France votre bibliothèque personnelle, les auteurs
et les textes qui ont compté pour vous. Y a-t-il une
uvre particulière, un roman
d'"apprentissage" qui vous aurait menée à
l'écriture ?
Christa Wolf : Vous voulez dire un livre particulier
? Je ne pourrais pas le citer. A mes débuts, avec "Nouvelle
de Moscou", j'ai écrit au fond de manière
bien naïve et je n'avais pas conscience d'un modèle.
Bien sûr, les quelques livres et auteurs que je vais citer
en deux heures lors de cette leçon de littérature
ne sont qu'un mince échantillon, difficile à défendre
contre un déferlement d'autres titres. A vrai dire, Thomas
Mann aurait dû figurer en première place
: son "Docteur Faustus"
a ouvert pour moi la voie à de vastes réflexions.
Ou bien "Henri Quatre"
de Heinrich Mann et son vibrant
hommage à un mode de pensée libérale, à
la France aussi et au génie français. J'ai également
"oublié" Thomas Wolfe
: "Look homeward, Angel"
qui m'a beaucoup impressionnée, de même que pour
rester dans les contrastes,
"La semaine sainte"
de Louis Aragon. Je ne nierai
jamais que tous et quelques douzaines d'autres auteurs, dont
les uvres ne me viennent pas en ce moment à l'esprit,
sont devenus une sorte de terreau de mon état spirituel
et mental qui nourrit tout ce que j'écris.
Mais peut-être ne pensez-vous à rien de littéraire
et plutôt à un "roman de ma vie" qui
aurait englobé mon parcours culturel et qui aurait été
et serait l'impulsion de mon écriture, écrire
serait la manifestation d'une vie qui, pour une petite partie,
se ferait connaître entre deux couvertures de livres ?
Il faudrait alors que je parle de cette tension que j'ai presque
toujours éprouvée quand je me suis frottée
aux réalités de certains rapports sociaux. Ces
frictions ont généré d'âpres conflits,
intérieurs et extérieurs, mais elles m'ont fourni,
pour mon travail, l'énergie créatrice. En suivant
la chronologie de mes livres, je pourrais préciser la
situation conflictuelle d'alors, celle dont ils sont issus et
qui les a fait naître. Je crois que quelqu'un de globalement
satisfait n'écrirait pas.
DT : Vous
avez durablement marqué la littérature et vous
êtes en France la romancière allemande
la plus célèbre. Dans l'actuel débat allemand
et européen, quels sont les intellectuels avec lesquels
vous auriez des pensées à échanger ?
Christa Wolf : En comparant le
rôle des intellectuels, en matière culturelle,
aujourd'hui avec celui de leurs prédécesseurs,
il me semble que leur portée publique a beaucoup diminué.
J'ai lu hier dans un journal que l'on ne pourrait plus utiliser
le concept d'"intelligence" avec ses implications
morales qu'entre guillemets. Il n'y a pratiquement plus de grands
porte-parole pour exprimer les préoccupations d'une classe,
d'une nation, voire de l'humanité. J'ai connu quelques-unes
de ces personnalités qui appartenaient à la génération
précédente. Leurs interventions étaient
souvent marquées de vanité et d'illusions aussi.
Ils puisaient encore au pathos des Lumières européennes.
Nous sommes aujourd'hui plus sobres et avons aussi moins d'espoir.
On peut quand même se poser la question : dans cette Europe
qui s'élargit, chaque situation est analysée de
manière intelligente et compétente mais pourquoi
n'y a-t-il pas d'association d'intellectuels qui intervienne
contre celles de politiciens, de fonctionnaires et de militaires,
et qui apporte des points de vue culturels au sens large dans
une discussion européenne en ce moment centrée
sur les finances, l'économie et les structures bureaucratiques
? Sans ces composantes culturelles, cela ne vaudrait pas la
peine de créer une Europe unie.
En Allemagne, il n'y a pratiquement plus que Günter
Grass pour remplacer la sentinelle qui appelle dans le
désert et doit pour cela s'attendre à de méchants
commentaires venus des médias. A la plupart d'entre nous,
peut-être que les questions à résoudre paraissent
trop compliquées; peut-être que survivent des ressentiments
réciproques issus de la période de la guerre froide;
peut-être que le fossé qui sépare les septuagénaires
de la jeune génération est trop profond. Plutôt
que de citer certains noms pour un échange d'idées,
je souhaiterais que change cette atmosphère.
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Leçons
de littérature
Ma bibliothèque personnelle par
Christa Wolf
Soirée animée par Pierre
Assouline
Site François-Mitterrand
21 mai 2003
18h30 - 21h - Entrée libre
Programmes culturels www.bnf.fr/pages/zNavigat/frame/cultpubl.htm |
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L'ensemble de l'uvre de Christa
Wolf sera présenté dans une vitrine de
la salle G., complété de documents prêtés
par Nicole Bary.
Les uvres de Christa Wolf
figurent, en français et en anglais, dans les collections
en libre accès du haut-de-jardin.
catalogue.bnf.fr
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