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Chroniques :
Votre nom reste attaché à quelques grands moments de découverte
musicale, dès 1965. Vous avez beaucoup contribué à
la découverte des musiques émergeantes et principalement
du rock qui, dans un de ses avatars, représente un pan particulier
de la chanson française. Comment se retrouve-t-on en situation
de faire découvrir et d'accompagner des changements profonds dans
une forme d'expression musicale de son époque ?

Patrice Blanc-Francard : Avec un père
preneur de son, je me suis retrouvé immergé très
jeune dans le milieu de la télévision. C'était l'époque
pionnière de la grande télévision, ouverte et curieuse,
avec des personnalités qui ont contribué à élargir
la notion de culture à la télévision et à
la faire entrer dans le XXe siècle.
La télé s'ouvrait au spectacle avec des dramatiques en direct
et des émissions de variété qui ont permis au public
des découvertes dans le domaine de la chanson, mais aussi du jazz
(Louis Armstrong, King Oliver et d'autres), cette musique bizarre, nimbée
de mystère, qui restait jusque-là confinée dans des
clubs enfumés. Tous les ingrédients d'un grand tournant
musical étaient réunis. À la radio, comme conseiller
musical de José Artur, dans l'émission "Pop club",
comme journaliste à Jazz Hot et
à Rock'n Folk, comme " label
manager " chez Pathé-Marconi, je me suis toujours voulu découvreur
et ouvert à la diversité musicale, essayant de créer
les conditions d'une contagion entre des musiques que rien ne semblait
réunir. C'est dans ce contexte, qui était vraiment aussi
celui d'une époque particulière, que la chanson française
s'est nourrie de musiques venues d'outre-Atlantique – musique
noire américaine et jazz – dont l'influence sur la musique
"blanche" a été déterminante.

Ch. :
Est-ce le début d'une nouvelle énergie musicale ?

P. B.-F. : Le rock, né du mélange
entre chanson de charme et rythmn'blues,
est apparu comme un déferlement où la nouveauté,
l'énergie vitale et sonore, l'agressivité des attitudes
et du vocabulaire ont obligé la chanson à se redéfinir
et à quitter les atours d'un romantisme sirupeux pour une expression
plus ouvertement violente et sexuelle. Jusque-là, les adolescents
devaient faire avec des chansons qui plaisaient à leurs parents.
Tout à coup, ils se reconnaissaient dans une musique qui accompagnait
une révolution culturelle et sociale, une bascule de la société
française. Des chanteurs ont su prendre le tournant et traiter
cette musique sérieusement, même si c'était en la
pastichant, comme Boris Vian et Henri Salvador dans le célèbre
Blues du dentiste. Richard Antony est arrivé
en 1958 avec Nouvelle vague.
Le début des années soixante est une époque bénie
pour la chanson. La vague yéyé, version édulcorée
et "petite bourgeoise" du rock américain, aseptisée,
relaie les rêves adolescents et côtoie le meilleur de la chanson
française : Barbara, Brel, Brassens
, puis Les Chaussettes
noires et Les Chats sauvages, proches de l'énergie du rock américain.
Des chanteurs explorateurs de spectres musicaux divers, comme Gainsbourg,
qui ont une véritable démarche d'artiste inventeur, comprennent
que dans le rock, c'est le mot – plus que la langue –
qui compte et que s'il sonne, la musique fonctionne. Après Mai
68, la chanson se radicalise. La nouvelle chanson française s'inspire
de sa tradition pour les textes et reste sous l'influence du rock anglo-saxon
pour les musiques. Le rock est partout. C'est sa deuxième vague,
plus intellectuelle, avec Gong, Triangle, Téléphone
Sur France Inter, où j'étais responsable de la programmation
musicale, et dans les journaux auxquels je collaborais, j'ai toujours
essayé de mettre ces évolutions en perspective.

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Ch. : C'est
dans ce contexte que vous avez produit l'émission " Les enfants
du rock " sur Antenne 2, encore mythique pour toute une génération
de fans

P. B.-F. : En 1982, j'ai arrêté
la radio pour diriger une unité de programme de divertissement
sur Antenne 2. Peu de temps après, Pierre Lescure, qui y avait
lancé l'émission "Les enfants du rock", était
passé directeur de la rédaction. Pierre Wiehn qui, à
l'époque, dirigeait la création et la programmation de la
chaîne, m'a demandé de reprendre cette émission.
C'était à une période d'ouverture et de développement
de tous les médias de diffusion : apparition du disque compact
et des clips, des radios libres, des chaînes de télévision
privées
Pour l'émission, nous avons bénéficié
d'un soutien total de la direction (Pierre Desgraupes) et d'un budget
pour développer des concepts originaux en matière de tournage
et d'animation. L'émission passait en deuxième partie de
soirée, mais les moyens dont nous disposions nous ont permis d'utiliser
notre intuition pour modifier sans cesse la vitrine et garder le public,
tout en le respectant. La télévision publique à son
meilleur moment !
Nous avons pu faire voir et entendre une musique en mouvement, sans nous
cantonner à l'Hexagone, et provoquer des confrontations bénéfiques
pour la curiosité et pour l'inspiration créatrice. Nous
avons donné la possibilité à de nombreux groupes
français d'émerger pour rejoindre les plus célèbres
comme Indochine et Téléphone. Et peut-être y sommes-nous
pour quelque chose si, dans les années quatre-vingt, la scène
rock a redécouvert le patrimoine à la française.
Propos recueillis par Marie-Noële
Darmois |
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