Stéphane Couturier : regard sur les mutations urbaines
Stéphane Couturier photographie la construction et la déstructuration de la ville. Lauréat du prix Niépce en 2003, l’artiste porte un regard sur les paysages urbains – images de chantiers, de grands bâtiments saisis "plein cadre" –, comme sur les vastes étendues semi-désertiques.
 
Chroniques : L’exposition présente vingt-huit photographies, sélectionnées parmi celles que vous avez réalisées au cours de ces dix dernières années. Pourquoi ce choix ?

Stéphane Couturier : À travers des sujets diversifiés – centres historiques ou périphéries urbaines, sites industriels ou maisons individuelles –, cette présentation voudrait souligner la continuité de mon "vocabulaire photographique", qui privilégie la frontalité, la mutation, le fragment et la densification des informations. Ce qui m’intéresse, c’est de produire une image ambiguë, une image au croisement de différentes lectures documentaires, plastiques, urbanistiques ou sociologiques. Plusieurs séries sont exposées. La première, "Archéologie urbaine", propose des photographies de grands centres urbains, comme Paris, Berlin et Moscou. La deuxième, "Monuments", évoque les périphéries des villes : d’un côté, des barres et des tours qui se dressent tels des monuments, de l’autre, des zones pavillonnaires tentaculaires. Cette "ville générique" se caractérise par l’uniformisation et la répétition de ces paysages. Ce travail aboutit à la réalisation de la dernière série, "Landscaping" : la combinatoire et l’interchangeabilité de chacun des éléments des polyptyques invitent le spectateur à recomposer un paysage, quelque part entre réalité et fiction…
Biographie
Né en 1957. Vit et travaille à Paris.
A reçu, en 2003, le prix Niépce, décerné par l’Association des gens d’images.
Est représenté à Paris par la galerie Polaris.

Expositions personnelles récentes
2003 : galerie Laurence Miller (New York).
2002 : University Art Gallery (San Diego) ; galerie Conrads (Düsseldorf) ; musée des Beaux-Arts (Le Havre) ; galerie Polaris (Paris).
 

Ch. : Les questions du mode de prise de vue et de la composition se posent face à des photographies comme Dresden, vers Augustusstrasse (1997), Séoul, Kangso-gu no 1 (1999), Renault, île Seguin (1993). Celui du trucage vient à l’esprit lorsqu’on considère San Diego, Fenêtre, East Lakke Greens (2002) et la série "Landscaping" en général. Qu’en est-il en réalité ?


 

S. C. : Les prises de vue se réalisent à la chambre photographique, ce qui permet d’associer à un cadrage précis la frontalité. Avec le choix d’une lumière douce, cette technique provoque une théâtralisation de l’image. L’absence de ciel dans certaines photographies est une manière de questionner la composition : vers quel élément de l’image l’œil du spectateur va-t-il se diriger ? Quel parcours suivra-t-il ? La confrontation des plans, la prolifération de signes et la "déhiérarchisation" des sujets recomposent un nouvel espace autonome : le sujet n’est plus un. Il est éparpillé en une multitude d’indices, de matières, de couleurs. Par leurs formats relativement grands, ces photographies créent une coexistence entre proximité et éloignement de la vision. Cette proximité permet d’analyser chaque parcelle d’un lieu, jusqu’à lui donner une autonomie, une unicité, un éloignement, qui tend à globaliser la représentation et offre une approche plus documentaire.
Ce qui m’intéresse avant tout dans la notion de "trucage", c’est l’ambiguïté de ce qui nous est donné à voir. À l’heure de l’image numérique, la frontière entre réel et artificiel devient de plus en plus floue. Même si, jusqu’à ce jour, je me suis gardé d’effectuer tout assemblage dans une photographie, le doute devient partie intégrante de l’œuvre. Est-ce réel ou artificiel ? Alors que, traditionnellement, dans la notion de trompe-l’œil, l’illusion tend à se faire passer pour la réalité, ici, dans une situation inverse, c’est la réalité qui tend à se faire passer pour l’illusion. Avec la série "Landscaping", la reconstitution de panoramiques à partir de fragments photographiques sans lien entre eux amène à s’interroger sur le statut de l’image photographique.

 

 

Ch. : Vous vous éloignez délibérément de la photographie d’architecture. Comment situez-vous votre travail ?

S. C. : Alors que la photographie d’architecture isole très souvent un objet architectural de tout contexte, mes photographies, en soulignant la pureté des volumes sous la lumière, évoquent la "contextualité" de la ville. C’est l’hétérogénéité qui fait la richesse d’une ville. Son activité architecturale est incessante. La notion de temps constitue le thème de réflexion de ce travail, notamment la relation temporelle de l’homme avec l’espace urbain. La ville est faite de stratifications successives. Par la juxtaposition de toute une série de témoins et par des coupes verticales dans les entrailles des chantiers, c’est une dimension sédimentaire de la ville que j’explore. La parcelle de temps en jeu est celle d’un lieu saisi dans un entre-deux temporel. Cette ville est comparable à un organisme vivant. Elle est en perpétuelle mutation. Les chantiers, sortes de blessures dans un tissu urbain très dense, accentuent la verticalité de la ville jusqu’à évoquer les racines d’architectures improbables, proliférant selon la richesse des sédiments de l’histoire.

Propos recueillis par Florence Groshens,
avec la collaboration de Anne Biroleau

 


En savoir plus


Stéphane Couturier
Mutations

Du 15 juin au 29 août 2004
Commissaire : Anne Biroleau, conservateur en chef chargée de la photographie contemporaine
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h
Dimanche de 12 h à 19 h
Site Richelieu – galerie de Photographie
Entrée libre

Avec le soutien de Champagne Louis Roederer