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Chroniques :
Comment vous est venu le virus de la chanson française ?
Jean-Louis Foulquier : Tout a commencé
à cause d’une cousine âgée de 6 ou 7 ans
de plus que moi. Je passais les vacances scolaires avec elle, et elle
chantait tout le temps. Et puis mon parrain travaillait au théâtre
municipal de La Rochelle, ma ville natale, et je traînais souvent
en coulisses. Vers 14-15 ans, j’ai eu le déclic : c’était
à un spectacle de Bécaud. Il y a eu aussi une fête
du PC où j’étais allé pour un concert de rock
; Léo Ferré passait en première partie. Là
a commencé mon intérêt pour la chanson. J’ai
acheté des disques : Brel, Brassens, Aznavour… Les mots ont
pris pour moi une telle importance que j’ai été entraîné
dans l’écriture. Je suis monté à Paris pour
tenter ma chance avec mes propres textes. À la Villa
d’Este, j’ai côtoyé tout ce qui comptait
alors dans la chanson, si bien que lorsque j’ai réorienté
mes activités vers la radio pour devenir animateur de nombreuses
émissions de radio sur France Inter (que je n’ai pas quitté
depuis 1965), je me suis tout naturellement retrouvé entouré
de la "bande à Foulquier" : Bernard Lavilliers,
Jacques Higelin, Pascal Sevran…
Ch. :
Comment avez-vous abordé la radio et quel était le paysage
à cet époque ?
J.-L. F. : J’ai commencé à
France Inter en 1965. Pas tout de suite avec des émissions. J’étais
au standard avec Gérard Klein, qui faisait alors ses études
de médecine. Nous avons fait des coups téléphoniques
qui nous ont fait remarquer par la radio. Après avoir touché
à la météo et aux jeux, j’ai commencé
une première émission sur la chanson avec un compositeur,
Stéphane Varègue. Puis j’ai animé le matin.
Et je me suis lassé. J’allais quitter la radio quand Pierre
Wiehn, conseiller pour les programmes à France Inter, m’a
demandé de réfléchir. J’ai proposé l’émission
"Studio de nuit", pour laquelle j’ai eu carte blanche.
Plusieurs courants cohabitaient dans la chanson : le yéyé,
qui traduisait l’insouciance d’une certaine jeunesse, la chanson
à thème et la chanson populaire chère à Pascal
Sevran. J’ai pensé que la radio devait tout aborder, que
ce qui comptait, c’était avant tout le talent. L’émission
est devenue le dernier cabaret de nuit parisien. Tous mes copains chanteurs
se précipitaient à l’émission à la sortie
de leurs spectacles, vers minuit ou une heure du matin : Renaud, à
la sortie de La Pizza du Marais où
il a débuté, Higelin, Balavoine. Barbara venait souvent
se mettre dans un coin en disant : "Faites
comme si je n’étais pas là." Comme si
c’était possible… Le bouche à oreille les a
fait venir les uns après les autres : Léonard Cohen, de
passage à Paris, Georges Brassens, lorsqu’il se réveillait
vers deux heures du matin, Ferré, Dalida… L’émission
"brassait" pas mal. C’était un succès. Des
musiciens venaient faire des "bœufs". Quinze ans de bonheur
! Puis j’ai fait l’après-midi avec le Grand Orchestre
du Splendid. Une émission un peu à l’ancienne. Originale.
Lorsque nous avons arrêté, c’était déjà
la fin de la radio à grand spectacle. Ensuite, avec "Y’a
d’la chanson dans l’air", puis "Pollen", j’ai
poursuivi dans le même esprit avec les générations
qui s’installaient : Jonasz, Voulzy, Souchon, Bohringer, Goldman,
William Sheller… : la nouvelle chanson française. Toujours
en direct et en public. Dans des petits lieux, des cabarets. Puis à
Bobino et à L’Olympia. Le public venait sur le nom de l’émission
sans savoir quelle serait la programmation. Un vrai succès.
Ch. : Et
puis, de lieu en lieu, vous êtes passé aux festivals, en
créant notamment les Francofolies de La Rochelle, devenues une
référence incontournable pour la défense de la chanson
francophone ?
J.-L. F. : Oui, le festival a démarré
en 1985. Il est né pour faire entendre la chanson francophone,
proposant chaque année une sélection d’artistes, nouveaux
talents ou talents confirmés, en mêlant les artistes entre
eux, appliquant des trucs de la radio, notamment le concept des "Fêtes
à…". Nous avons programmé Léo Ferré,
un hommage à Serge Gainsbourg par Jane Birkin, Manu Dibango, Bernard
Lavilliers, Véronique Sanson, Robert Charlebois et beaucoup d’autres
qui entretenaient des échanges musicaux. Mais dans les différents
espaces scéniques, du plus grand au plus petit, de Saint-Jean-d’Acre
et ses 10 000 places aux 250 places de la "salle bleue", nous
accueillons non seulement des "locomotives", mais aussi de jeunes
artistes dont nous croyons qu’ils seront encore là demain
: cette année, par exemple, Camille, Ridan, Loïc Lantoine,
De Rien, Aldebert… Des jeunes talents qui ont une jolie écriture.
C’est le même principe que nous avons voulu développer
au festival de Montréal où le contexte francophone s’y
prête particulièrement. Mais les évènements
ne suffisent pas. Une action en profondeur, au long cours, est indispensable.
À La Rochelle, nous proposons toute l’année "Le
chantier des Francos", un accompagnement pour des artistes qui ont
besoin de travailler la scène.
À la radio, avec l’émission "TTC", "Tous
talents confondus"(qui passe tous les jours sur France Inter), j’essaie
de promouvoir des jeunes qui s’autoproduisent pour les aider à
déborder les frontières de la promotion traditionnelle.
De telles actions sont nécessaires pour donner de l’espoir
à de jeunes talents et pour continuer d’offrir au public
le plaisir de voir durer un genre qui se renouvelle. La vitalité
actuelle de la chanson française est une récompense, en
soi suffisamment gratifiante pour me donner envie de continuer à
inventer.
Propos recueillis par Marie-Noële
Darmois |
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