Pages chrétiennes d’Égypte
La langue copte constitue l’ultime étape de l’égyptien ancien, transcrit non plus en hiéroglyphes, mais en caractères grecs, afin de mieux répandre le christianisme en Égypte. Copiés dès le IVe siècle, surtout par des moines, les manuscrits coptes ont un style original, car ils héritent d’influences diverses : égyptienne, byzantine et arabe. Une cinquantaine d’entre eux, choisis dans les fonds de la BnF, retracent l’évolution de cet art calligraphique jusqu’au XIXsiècle. Entretien avec Anne Boud’hors, chercheur au CNRS et commissaire de l’exposition.
 
Chroniques : Quelles sont les caractéristiques de l’art calligraphique copte des moines d’Égypte ?

Anne Boud’hors : Tradition, modestie et inventivité. L’écriture est toujours restée onciale ou majuscule, à la différence de l’écriture grecque. La décoration de base est presque partout fidèle au motif de la tresse coloriée. Elle révèle un goût particulier pour les oiseaux. Dans les contraintes d’une situation économique souvent difficile (domination byzantine, puis arabe à partir de 641), l’élégance de certains manuscrits et la vie qui transparaît dans d’autres sont frappantes.

Ch. : Quelles sont les grandes périodes de cet art et ses influences stylistiques selon les monastères qui l’ont pratiqué ?

A. B. : Les manuscrits les plus anciens (IVe-VIe siècles), sur papyrus ou sur parchemin, sont de petit format. L’écriture y est droite, les lettres bien détachées et sans décoration, dans la tradition des manuscrits grecs de cette époque. Peu à peu, l’écriture prend son indépendance en s’assouplissant. Des motifs ornementaux, végétaux ou animaux, apparaissent dans les marges. Les livres deviennent plus grands : c’est la période la mieux représentée (IXe-XIe siècles), grâce aux manuscrits du "monastère Blanc" (Haute-Égypte) et du monastère de Saint-Michel (oasis du Fayoum). Puis l’écriture arabe s’impose peu à peu. Les manuscrits deviennent bilingues, tandis que la décoration mêle volontiers les motifs traditionnels à des emprunts faits à l’art du livre arabe.
 

  Ch. : En quoi la collection de manuscrits coptes de la BnF est-elle l’une des plus intéressantes du monde ?

A. B. : Elle conserve un véritable trésor : le "copte 13". Un manuscrit des Évangiles sur un parchemin du XIIsiècle merveilleusement enluminé, qui représente des scènes de la vie du Christ. Mais elle est d’une variété exceptionnelle dans son contenu, du fait des divers apports qui l’ont constituée dès le XVIIe siècle : presque tous les dialectes, périodes et genres littéraires du copte, avec sa grande richesse sur le plan liturgique, y sont représentés. Cette collection comprend plus de 4 000 feuillets et fragments provenant du monastère Blanc, conservatoire de la littérature ancienne, soit la moitié du nombre total des manuscrits disséminés au XIXsiècle à travers des collections du monde entier. Enfin, elle est déterminante pour comprendre l’histoire des études coptes en Europe.

Ch. : On y trouve notamment la Grammaire égyptienne de Champollion, lequel transcrivait les hiéroglyphes en s’aidant de l’écriture copte…

A. B. : Ce manuscrit, conservé dans le fonds français, est crucial pour comprendre la démarche géniale de Champollion et le rôle du copte dans sa découverte : il affirmait, contre beaucoup d’autres, que le copte était, dans un support graphique différent, la même langue que celle des pharaons. Par ailleurs, il a reconnu, grâce à la pierre de Rosette, que certains hiéroglyphes avaient une valeur phonétique. Ayant appris le copte grâce aux manuscrits grammaticaux de la BN, entre autres, il pouvait à la fois transcrire et comprendre les hiéroglyphes.

Ch. : Et qu’en est-il du célèbre manuscrit dit "de saint Louis" ?

A. B. : C’est le fameux "copte 13", copié et enluminé par l’évêque de Damiette, et qui a abouti au XVIIe siècle dans la collection de Mazarin. Le nom de Damiette, lié à celui de la croisade de saint Louis, est sans doute à l’origine de ce qui semble être une légende. Une enquête récente montre que ce manuscrit a dû être rapporté de Constantinople par Harlay de Sancy et donné à la bibliothèque de l’Oratoire. Le XVIIsiècle aura été une période de grande curiosité où des collectionneurs et des érudits, comme Peiresc, recherchaient activement les manuscrits orientaux, ces témoins qui servent toujours de base à nos études.

Propos recueillis par Florence Groshens


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Les manuscrits coptes


29 juin - 29 août 2004
Commissaire : Anne Boud’hors
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h
Dimanche de 12 h à 19 h
Site Richelieu, Crypte
Entrée libre