Les acquisitions de la BnF
Livres rares - Institution de la religion chrétienne, de Calvin
  Onéreuses ou gratuites, les acquisitions enrichissent régulièrement les collections patrimoniales des témoignages de notre passé comme de ceux de notre mémoire contemporaine. Souvent dues à la générosité de donateurs, elles peuvent aussi résulter de relations privilégiées avec le monde des collectionneurs, de ventes publiques ou encore d'achats auprès de librairies anciennes ou spécialisées.
 
Grâce au don généreux de Pierre Berès, libraire à Paris, la Réserve des livres rares a acquis en octobre dernier un exemplaire très précieux de l'Institution de la religion chrétienne de Calvin.
Il s'agit d'une édition genevoise de 1562 dont Sully, l'illustre ministre d'Henri IV, a couvert les marges de très abondantes notes de lecture. Selon la pratique alors en usage, les annotations de l'ouvrage consistent en éléments du texte extraits et recopiés en marge. Si elles ne sont donc pas personnelles dans leur expression, elles le sont, en revanche, par les choix de lecture qu'elles révèlent, en mettant en lumière les aspects et propositions de l'œuvre auxquelles Sully avait accordé une attention particulière ; et elles le sont en outre par leur abondance même, qui montre de manière spectaculaire à quel point la pensée de Sully s'est véritablement nourrie de la parole de Calvin.

À en juger par l'écriture, ces notes datent plutôt de la vieillesse de Sully qui, né en 1559, mourut en 1641. Aussi témoignent-elles de la fidélité que celui-ci garda toujours à sa foi, en dépit des vives pressions qu'exercèrent sur lui son entourage, le roi, et même le pape, pour le pousser à se convertir au catholicisme. Du temps où il était le principal ministre d'Henri IV, ses compétences en matière religieuse étaient d'ailleurs reconnues : il alla jusqu'à participer à des controverses en forme avec des catholiques, grâce à la solidité et l'étendue de ses connaissances théologiques qui firent notamment l'admiration de l'ambassadeur d'Angleterre George Carew, avouant que "M.de Sully excelle dans la discussion des problèmes religieux". Les sections finales du livre présentent un intérêt particulier. Plume à la main, l'ancien ministre du roi suit Calvin dans une réflexion sur la double obéissance du peuple à Dieu et au prince.
La confession de foi est aussi profession politique, engageant avec elle la vision de l'État et de la société : "Le royaume spirituel du Christ et l'ordonnance civile sont choses distantes l'une de l'autre mais non répugnantes", lit-on dans une note. Après l'expérience des guerres de Religion et au terme d'une existence doublement marquée par le massacre de la Saint-Barthélemy (1572) et l'assassinat d'Henri IV (1610), c'était dans la lecture de Calvin et par l'approfondissement de sa foi que Sully formulait l'idée moderne d'une autorité civile à laquelle les appartenances confessionnelles doivent demeurer subordonnées.
Connu des amateurs depuis le XIXe siècle, ce document exceptionnel a figuré dans quelques prestigieuses collections : il appartint à Mathieu-Guillaume Villenave (1762-1846), l'un des premiers grands collectionneurs français d'autographes, puis à Conrad de Witt (1824-1909), gendre de Guizot, et, dès le début du XXe siècle, à l'écrivain et cofondateur de la NRF Jean Schlumberger (1877-1968), aîné des petits-enfants de Conrad de Witt.
Le public n'avait pu jusqu'ici en avoir connaissance que dans le cadre éphémère d'expositions, qu'il s'agisse de l'exposition du jubilé cinquantenaire de la Société de l'histoire du protestantisme français en 1902 ou de celle que les Archives nationales consacrèrent à l'amiral de Coligny en 1972. En le faisant entrer par ce don dans les collections nationales, Pierre Berès assure au Calvin de Sully la place symbolique qui revient à ce mémorial de la France protestante, tout en le mettant définitivement à la disposition des chercheurs.

Jean-Marc Chatelain