Mozart et les Lumières :
défense et illustration d'un esprit adulte et d'un artiste conscient
  Au premier semestre de l'année 2006, deux institutions culturelles nationales, sises de part et d'autre de la Seine, l'Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France, jettent entre elles une passerelle et la dédient à Mozart (1756-1791).
 

Wolfang Amadeus Mozart, manuscrit autographe de Don Giovanni. Opéra bouffe en deux actes.
Livret de Lorenzo Da Ponte. 1787-1788. © BnF/Musique
Sur l'une des rives de la Seine, la BnF célèbre les Lumières par deux expositions dont l'une, Lumières ! Un héritage pour demain, a choisi Mozart comme image sonore unique. Sur l'autre rive, l'Opéra national de Paris fête les deux cent cinquante ans du compositeur viennois à travers diverses manifestations : une représentation des trois opéras, composés sur des livrets de Lorenzo Da Ponte, un colloque et un cycle de conférences. "Un directeur d'opéra, déclare Gérard Mortier qui est à la tête de celui de Paris depuis deux ans, n'a pas la chance du président de la Bibliothèque nationale ! Il ne dispose que d'un patrimoine de cinq cents ans tout au plus... Au cœur de cette histoire, de l'Orfeo de Monteverdi aux Soldats de Zimmermann,
sans le moindre conteste, il y a Mozart qui est à l'opéra ce que
Shakespeare est au théâtre. Non qu'il faille renoncer à Wagner ou à Debussy,
mais Mozart est le centre de gravité du genre lyrique
."

Pour affirmer toute la véritable dimension du génie mozartien, Gérard Mortier compte sur l'organisation, à la Bibliothèque nationale de France, d'une partie des célébrations qui lui sont consacrées. Si plus personne ne songe à lui dénier une aura musicale unique – elle est illustrée et commentée à l'Opéra –
la vision romantique de l'enfant prodige, sale gosse habité par une grâce artistique incongrue, a totalement occulté, en revanche, sa force intellectuelle.
Celle-ci est aujourd'hui l'objet de six rencontres avec des savants, organisées précisément sur le site François-Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France, choisie comme un espace privilégié du savoir.
Y fêter Mozart, c'est le placer dans l'esprit de son temps et l'intégrer dans la pensée du nôtre. "C'est dépasser l'image de Mozart gardée en France,
celle, construite au XIXe siècle, d'un éternel adolescent que son génie dépassait, génie purement sensible et essentiellement mélodiste.
Au contraire, c'est affirmer que Mozart fut un homme génial, certes,
mais aussi un exceptionnel travailleur, cultivé (en littérature notamment, comme en témoigne l'inventaire de sa bibliothèque) et un chercheur averti des lois de la composition musicale, qu'il étudia à toutes ses sources, allemande et contrapuntique dans
Bach ou Haendel, italienne et vocale chez le Padre Martini, française et dramatique par l'intermédiaire de Gluck ou de Grimm, plaide Gérard Mortier. Sans être un révolutionnaire,
il a partagé certaines des idées de son époque. Il a souffert des privilèges de l'aristocratie et s'est insurgé contre le statut servile qu'elle accordait aux artistes. Il a adhéré à la franc-maçonnerie
."

En interrogeant des spécialistes d'aujourd'hui, issus de disciplines non musicales, il s'agit à la fois de montrer que l'activité de Mozart peut rendre compte des débats de son siècle sur la science, sur les rapports sociaux,
les relations du sexe et du pouvoir... et de rappeler combien son œuvre, en son temps, était porteuse d'avenir. "Ces rencontres avec des intellectuels,
le confrontant aux problématiques contemporaines,devraient donc casser le préjugé d'un Mozart immature et ignorant et substituer à cette image en habit rouge, réalisée près de trente ans après sa mort et qui sert d'enveloppe à une célèbre sucrerie autrichienne, le portrait d'un véritable adulte, peint en 1790 par
Johann Georg Edlinger", poursuit Gérard Mortier.
Le panthéon mozartien de Gérard Mortier

Homme de théâtre, Gérard Mortier place les opéras au premier rang de son panthéon mozartien.
Les trois ouvrages écrits en collaboration avec Lorenzo Da Ponte et La Flûte enchantée furent, aussi bien qu’Hamlet, Le Roi Lear ou La Tempête, les compagnons d’une vie entière.
Quant aux interprètes que Gérard Mortier choisit d’écouter ou de faire travailler, ce sont ceux qui conçoivent Mozart "en musicien de l’avenir et non en musicien du passé".
Les plus grands chefs mozartiens ont été ou sont ceux qui fréquentent le répertoire contemporain : Hans Rosbaud, Dimitri Mitropoulos, Ferenc Fricsay, Christoph von Dohnanyi ou Michael Gielen.
Un regret donc... que Pierre Boulez n’aspire pas à diriger Don Giovanni.



Mozart peint par Josef Georg Edlinger,
vers 1790.
Gemäldegalerie. Berlin © Jörg P. Anders/ BPK, Berlin, dist. RMN

  Mais traiter de l'œuvre de Mozart par la réflexion et le débat d'idées c'est aussi, souligne le directeur de l'Opéra, s'inscrire à contre-courant de la paresse de l'intelligentsia française d'aujourd'hui vis-à-vis de la musique.
Berlioz
, déjà, a souffert de cette surdité des lettrés en France, lui qui fut l'un des premiers à vouloir y faire exécuter correctement Don Giovanni. On a encore du mal à défendre Idoménée ou La Clémence de Titus ; on songe encore à déplorer la scène finale de Don Giovanni, "conclusion pourtant indispensable de l'ouvrage sur une société ancienne qui se défait là où, à l'inverse, Les Noces de Figaro finissent sur une société nouvelle qui semble se former".
Face à cette ignorance des intellectuels, le milieu musical français reste lui-même cloîtré. Au risque de conforter l'idée reçue d'une nation désespérément réfractaire à l'art des sons. "J'aimerais qu'à nouveau, comme au siècle des Lumières, les esprits éclairés débattent de musique", espère Gérard Mortier.

Elizabeth Giuliani


Rencontres autour de Mozart

Animées par Gérard Mortier, directeur de l'Opéra national de Paris et Véronique Puchala, musicologue
Site François-Mitterrand
Grand Auditorium
18h30 – 20h. Entrée libre

Mardi 25 avril 2006
Mozart et les héroïnes avec Catherine Clément, écrivain

Mardi 23 mai 2006
Les écrivains et Mozart

Mardi 20 juin 2006
Mozart et Paris, avec Marc Fumaroli (Collège de France)