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Jim Dine, artiste américain de renommée internationale, a fait don à la BnF
de près d'une centaine d'estampes élaborées et imprimées à Paris, pendant
une vingtaine d'années à partir de 1976 dans l'atelier d'Aldo Crommelynck,
l'un des plus grands maîtres imprimeurs contemporains.
Une exposition rend hommage à cette fructueuse collaboration.
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Quartet, 1986.
Quadriptyque. Photogravure et eau-forte. BnF/Dép. Estampes et
photographie © ADAGP, 2007
 Jim Dine est
célèbre aux États-Unis depuis le début des années 1960 où il s'installe
à New York après avoir obtenu un Bachelor of Fine Arts de l'université de l'Ohio. Il est un des
pionniers des happenings, qu'il réalise avec Allan Kaprow et le musicien
John Cage. Au début des années 1960, il est associé au courant
du Pop Art. Bien qu'ayant accédé à la célébrité dans cette mouvance, son
univers artistique n'en a pas fait sien les thèmes emblématiques, la société de
consommation et les médias. Il est éminemment plus personnel. Ses œuvres véhiculent des
thèmes récurrents relevant de sa mémoire intime – portraits, corps de femmes, cœurs,
crânes, coquillages, arbres... – et intègrent des objets de son quotidien : des outils
(réminiscence de la quincaillerie de son grand-père), des vêtements, des fleurs...
"Mes thèmes de prédilection viennent du plus profond de moi, explique Jim
Dine. Ils sont intimement reliés à mon histoire personnelle et très
directement en prise avec mon inconscient. Je fais une confiance sans limite à mon inconscient. Quoi que je
fasse, au bout du compte, mon sujet, c'est moi. Mes thèmes ne me servent qu'à faire naître au
monde mes sentiments, à me créer mon propre paysage."
Jim Dine, qui s'est exprimé à travers une grande variété de médiums, est aussi
connu pour des œuvres tridimensionnelles, des environnements, des dessins, des illustrations de livres de
poésie et de très nombreuses gravures. Toujours un outil ou un pinceau à la main, on peut
considérer que son travail artistique est celui d'un "manipulateur".
"J'aime manipuler l'espace, les outils, les matières. J'aime travailler avec mes mains. C'est ainsi que j'ai
commencé la gravure à 14 ans, sur le bois. J'ai toujours pratiqué la gravure en prenant plaisir
à utiliser avec liberté différentes techniques et à en expérimenter sans cesse de
nouvelles", explique l'artiste.
Il offre un saisissant contraste physique avec Aldo Crommelynck, aristocrate de
l'imprimerie, aux longues mains de virtuose, formé dès l'âge de 17 ans à toutes les
techniques de la taille-douce chez le maître-imprimeur Roger Lacourière.
Dans son atelier, ouvert en 1953, il collabore principalement à l'œuvre de
Picasso, mais aussi à celles d'autres grands artistes du XXe siècle parmi lesquels
Giacometti, Braque, Richard
Hamilton, Masson, Jasper Johns et
Arikha, révélant le raffinement de son travail particulièrement
remarquable dans l'aquatinte.
"Nous sommes comme deux marins"
C'est en 1976 que Jim Dine vient travailler pour la première fois avec Aldo Crommelynck :
il grave quatre planches sur le thème de la tour Eiffel, dont Paris Smiles in Darkness.
Il revient ensuite régulièrement travailler dans son atelier.
Une connivence et une amitié exceptionnelles se nouent autour de leur collaboration :
"En 1973-1974, poursuit Jim Dine, des imprimeurs sachant
mon amour pour la France nous ont fait nous rencontrer. J'ai travaillé avec de nombreux graveurs, même
pendant ma collaboration avec Aldo Crommelynck. Mais, avec aucun d'entre eux, la relation n'a été
aussi exceptionnelle. Il m'a inspiré comme une muse. Aucun n'a jamais pu traduire ma pensée de
manière aussi belle. C'est absolument vrai. C'est rassurant de se mettre entre ses mains. Nous sommes comme
deux marins. Il est le navigateur. Sans lui, il aurait été impossible d'arriver à bon port."

Cette collaboration aura procuré autant de bénéfice et de plaisir à chacun des deux
complices. "C'est le hasard, témoigne Aldo Crommelynck,
qui a voulu que nous travaillions ensemble, mais cela a été un enchantement.
Nos découvertes se sont enchaînées dans une réciprocité féconde. Jim Dine
m'a incité à chercher d'autres façons d'exploiter les possibilités de la gravure, faisant
preuve d'un talent tout particulier pour s'approprier ensuite ce que je suggérais. Il a réalisé
chez moi de très nombreuses gravures de remarquable qualité, dont des suites, prenant des
libertés avec les procédés techniques traditionnels, utilisant des outils inédits comme
des grattoirs, des timbres en caoutchouc, des meules, des roulettes, en interposant des films de peinture entre les passages sur la plaque de cuivre... Il aime que les outils laissent une trace et donnent à l'image une force perceptible, parfois une violence."
En faisant don à la BnF des gravures en taille-douce élaborées et imprimées dans
l'atelier d'Aldo Crommelynck, Jim Dine a voulu rendre hommage à cette formidable connivence.
"Dans cette collaboration, souligne-t-il, j'ai pu aller
explorer des possibilités, qui ne s'étaient pas offertes à moi jusqu'alors. L'exposition
permettra au public d'en prendre la mesure. Il comprendra que j'ai voulu faire cette donation à la
Bibliothèque nationale de France, pour honorer le travail d'Aldo Crommelynck et le remercier. Et que si c'est
à la Bibliothèque nationale de la France que j'ai choisi de la faire, c'est aussi pour remercier ce
pays qui m'a offert l'opportunité d'une si exceptionnelle rencontre."
Quarante-cinq œuvres
Les œuvres présentées dans l'exposition sont le fruit de cette heureuse rencontre.
Quarante-cinq d'entre elles ont été retenues par l'artiste et
Marie-Cécile Miessner, commissaire de l'exposition(1). Le choix a été
volontairement restreint pour que ces œuvres de grande dimension puissent "respirer" dans la Crypte
de la rue de Richelieu. Le visiteur pourra admirer Paris smiles in darkness, la
première eauforte à l'aquatinte et à la pointe sèche issue de la collaboration des deux
artistes, ou encore quinze planches de la très remarquable série de Nancy
outside in July, représentant le visage de la première femme de l'artiste,
exécutées à partir d'un jeu de seize planches de cuivre gravées, retravaillées
et le plus souvent rehaussées à l'aquarelle, au pastel ou au fusain, entre 1977 et 1981.

Citons encore le quadriptyque Quartet, réalisé en 1986 à partir
de tableaux anonymes du XIXe siècle, des cœurs en nombre parmi lesquels
A Heart on the rue de Grenelle et The Heart called Paris
Spring, qui symbolisent l'attachement de l'artiste à l'atelier Crommelynck, maintenant fermé,
et à la France ou encore quatre variantes autour de Vénus parmi lesquelles la très belle
Black and White Cubist Venus et The Foam, dont les deux
Vénus sans tête sont un clin d'œil à la sculpture grecque antique. Des livres sont
également exposés : Mabel (1977) dans lequel douze portraits
féminins illustrent un texte de Robert Creeley, poète américain
mort en 2005 et la série de vingt-neuf planches de The Temple of Flora (1984)
inspirées d'un traité de botanique de 1807 de R. J. Thornton, dans
lesquelles Jim Dine a mis en œuvre la panoplie complète de ses techniques de gravure impliquant la main
et des outils aussi originaux que des clous, des aiguilles, des brosses métalliques actionnées par
une perceuse électrique ou des pièces à main de chirurgien-dentiste, véritable manifeste
de son approche parfois iconoclaste de la gravure.

Les propos de Jim Dine et d'Aldo Crommelynck ont été recueillis à Paris au cours d'un entretien
le vendredi 12 janvier 2007.
(1) Marie-Cécile Miessner est conservateur en chef
au département des Estampes et de la photographie
de la BnF.


Jim Dine
© David P. Carr/BnF |
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Jim Dine : Aldo et moi
Estampes gravées et imprimées avec Aldo Crommelynck
Du 24 avril au 17 juin 2007
Site Richelieu - Crypte - Entrée libre

Commissariat : Marie-Cécile Miessner, conservateur en
chef au département des Estampes et de la photographie/BnF |
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Aldo Crommelynck
© David P. Carr/BnF |
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