Les collections audiovisuelles Pionniers de la vidéo, patrimoine d’une histoire récente |
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Alimentées depuis trente ans par le dépôt légal des éditeurs et des producteurs et
par de nombreuses acquisitions en France et à l’étranger, les collections d’images animées
de la BnF comptent aujourd’hui plus de 150 000 titres : courts et longs métrages de fiction,
films documentaires, captations de spectacles, communication institutionnelle,
montages d’archives, etc. |
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C’est la plus vaste des vidéothèques
de recherche d’Europe (en-dehors des
archives de radio et de télévision). Si les œuvres produites au départ pour le cinéma sont les plus consultées, cette collection témoigne aussi de manière incomparable de l’histoire des créations faites directement en vidéo dans le cadre de projets militants ou artistiques. Un nouveau médium Au début du XXIe siècle, la vidéo est devenue un médium familier, omniprésent dans nos vies. En France, cette technique sort des studios de télévision à la fin des années 1960 et surgit dans le champ des luttes sociales. Les événements de 1968 ont précipité l’essor du cinéma militant. La vidéo devient rapidement un support privilégié d’intervention. Les premiers à s’emparer de ce « média léger » profitent de l’extraordinaire souplesse pour l’époque du magnétoscope Portapak de Sony, le premier à comporter une caméra portable. Cinéma et vidéo militants veulent l’un et l’autre faire témoigner les intéressés, leur montrer les rushes et éventuellement retourner les séquences ratées. L’idée d’une participation des sujets filmés à la réalisation d’un film – le « filmer avec » –- caractérise tous ces projets. La vidéo permet de confier une caméra à des ouvriers dans le cadre d’un atelier de réalisation. Armand Gatti, dans sa série Le Lion, sa cage et ses ailes*, donne ainsi la parole aux travailleurs immigrés des usines Peugeot de Montbéliard. Le cinéma d’intervention sociale renvoie le documentariste au rôle d’exécutant technique au profit d’un collectif souvent anonyme qui englobe parfois tous les participants. Pour Hélène Fleckinger, qui prépare actuellement une thèse de doctorat sur le militantisme féministe par l’image : « Les femmes se sont massivement emparées de la vidéo, car il s’agissait d’un nouvel outil sans histoire, peu cher, simple d’utilisation et que les hommes n’avaient pas encore accaparé. Les premières militantes voulaient se servir d’elle comme d’un stylo, comme on écrit un tract. Sur les conseils de Jean Genet, Carole Roussopoulos achetait sa première caméra avec ses indemnités de licenciement du journal Vogue en 1969, la deuxième vendue en France après celle de Jean-Luc Godard ! » Avec la caméra vidéo, témoin et actrice des luttes, il devient possible de tourner plus longtemps que sur pellicule, avec le son synchrone. On peut effacer sur-le-champ, ce qui facilite le rapport de confiance avec les personnes filmées. Un autre avantage est de pouvoir diffuser quasi instantanément les images, par exemple, pour rendre compte du déroulement d’une assemblée générale à ceux qui n’y étaient pas. Un exemple spectaculaire de la fonction d’intervention directe de la vidéo : en 1975, les prostituées de Lyon en grève, réfugiées à l'intérieur d'une église, sont filmées par Carole Roussopoulos, qui diffuse ensuite leur parole sur deux écrans de télévision disposés à l'extérieur. La Grève des prostituées de Lyon* donne un large écho à leur mouvement. Fondé en 1982 par Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder, le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir pérennise cette démarche militante. Depuis 2005, un partenariat entre la BnF et cette structure a permis de sauvegarder nombre de réalisations enregistrées sur des supports en péril. Maintenant accessibles au niveau recherche de la Bibliothèque, elles retrouvent aussi une vie en projection comme lors de la rétrospective Carole Roussopoulos organisée à la Cinémathèque française en juin 2007. La même démarche de sauvegarde vient d’être engagée avec le mouvement du Planning familial. Dans l e champ artistique, l’art vidéo émerge dans un environnement interdisciplinaire. Comme la vidéo militante, il va s’employer à subvertir le discours des médias audiovisuels de masse. Dans Ubu roi, Les Polonais* ou Les Raisins verts*, Jean- Christophe Averty crée pour la télévision un théâtre électronique et développe avec la technique du kinescope un travail graphique de collage qui préfigure l’emploi systématique de l’incrustation, dont il est le pionnier. Peintre, issu du groupe lettriste d’Isidore Isou, Michel Jaffrennou s’inscrit aussi à sa manière dans une démarche expérimentale et ludique, à la confluence du spectacle vivant et de l’art vidéo. Vidéopérette* attira un large public à la Grande Halle de La Villette en 1989. L’artiste vient de verser à la BnF l’intégralité de ses œuvres vidéographiques et de ses captations de spectacles. Ses archives, documentant son travail et la diffusion de l’art vidéo à Paris depuis trente ans, intégreront progressivement les fonds de la Bibliothèque.
Dans ce domaine aussi, le dépôt légal remplit un rôle crucial, en rendant, par exemple, accessible une grande partie des productions du Centre international de création vidéo de Montbéliard, qui a joué un rôle central dans les années 1980 et 1990. Les utopies critiques des débuts de la vidéo ont des héritiers plus ou moins légitimes, aujourd’hui, dans toute la société. Une nouvelle production militante a émergé avec les moyens légers de la vidéo miniaturisée, dans la lutte pour la reconnaissance des sans-papier, des mal-logés ou des exclus. Les plates-formes d’échanges vidéo sont de véritables réseaux alternatifs de diffusion, où le remontage et le détournement des images sont monnaie courante. Sa prolifération sur Internet est devenue un véritable défi pour le dépôt légal sur support et en ligne.
*Tous les titres suivis d’un astérisque sont consultables au niveau Recherche. |