Alberto Giacometti, l’œuvre gravé
Organisée en collaboration avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti, une exposition retrace le cheminement créateur de l’artiste dans le domaine de l’estampe et du livre. Découverte d’un aspect méconnu de l’œuvre de ce grand artiste.
Alberto Giacometti dans son atelier
Artiste majeur du XXe siècle, arrivé à Paris au début des années 1920, Alberto Giacometti, né en 1901 dans le sud-est de la Suisse, à quelques kilomètres du lac de Côme, a pratiqué l’estampe pendant toute sa vie, tantôt pour répondre à des commandes d’éditeurs, tantôt pour poursuivre des expérimentations techniques. « Pour réaliser ses sculptures, Giacometti retravaillait abondamment ses plâtres ; avec les plaques, il poursuivait une démarche identique, luttant avec le burin, remaniant ses eaux-fortes, remettant sans arrêt sur le métier son ouvrage… Les traits des dessins pour ses lithographies sont parfois à la limite du visible. Il se méfiait du beau métier, voulait aller au-delà, mettant au défi chacune des techniques traditionnelles. » Véronique Wiesinger, conservatrice en chef du Patrimoine, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti et co-commissaire de l’exposition de la BnF définit ainsi le rapport de l’artiste à son œuvre gravé dont la diversité est montrée pour la première fois au public,
qui connaît peu cet aspect de l’œuvre de Giacometti. Une sélection d’estampes de l’artiste, des matrices, des planches d’essai, des états successifs, des gravures retouchées et dessins préparatoires provenant des collections de la Fondation, qui possède la première collection au monde d’estampes de l’artiste (plus de 1 500) et de celles de la Réserve des livres rares et du département des Estampes et de la photographie de la BnF, y est présentée.
L’exposition ne relève pas de l’esprit de rétrospective, elle propose plutôt, en abordant successivement les estampes produites pour les livres illustrés, les eaux-fortes et lithographies d’édition et l’ouvrage Paris sans fin, de montrer le processus de création de cet œuvre imprimé.

Annette, buste I
La démarche du graveur
Le visiteur est invité à un parcours à travers un choix de pièces composé d’une combinaison de raretés et de titres plus connus, qui souligneront l’aspect hétérodoxe du travail de l’artiste À la différence de Picasso, Giacometti n’a pas pratiqué la gravure de manière continue.
Il a commencé à graver sur bois dans sa Suisse natale. Arrivé à Paris, il s’est essayé aux techniques de la taille-douce dans l’atelier de Stanley William Hayter, fréquenté par de nombreux artistes dans la mouvance surréaliste, à laquelle il se rattache alors pendant quelques années. Il travaille avec les plus grands imprimeurs de son temps, les ateliers Lacourière-Frélaut, Crommelynck et Visat.
C’est à la même période que s’engage sa collaboration avec des écrivains.
Giacometti participe à une cinquantaine d’ouvrages, réalisant tantôt un frontispice comme pour La Folie Tristan de Gilbert Lély (1959) ou La Danse du château de Miguel de Cervantes (1962), tantôt une suite de planches comme pour Vivantes Cendres innommées de Michel Leiris (1961) ou Retour Amont de René Char (1965). Certains ouvrages font l’objet de recherches infinies, tel Histoire de rats de Georges Bataille (1947), pour lequel Giacometti crée en tout 31 gravures différentes, dont la Fondation possède de nombreux exemplaires et états successifs, qui permettent de suivre pas à pas la démarche du graveur.
L’édition des ouvrages illustrés par les techniques de la taille-douce (burin, eau-forte, pointe sèche) s’adressait à un public restreint, du fait de la fragilité de la matrice, la plaque de cuivre, que le passage en presse use assez rapidement. Les tirages de tête sont, en général, au nombre d’une cinquantaine (ainsi 45 exemplaires pour André Breton, L’Air de l’eau (1934), 50 exemplaires pour René Char, Poèmes des deux années (1955), 50 exemplaires pour Gilbert Lély,
La Folie Tristan
). Le nombre des tirages peut descendre à 20 ou à 15, comme c’est le cas pour l’ouvrage de René Crevel, Les Pieds dans le plat (1933) et peut parfois monter à une centaine, comme pour la Bibliographie des œuvres de René Char (1964), voire plus : 188 exemplaires pour Retour Amont de René Char. Ces tirages sont rendus possibles par l’aciérage des plaques, qui limitent l’effacement des sillons qui retiennent l’encre.

Portrait en buste de Tristan Tzara
Le chef-d’œuvre gravé de Giacometti
Après guerre, Giacometti crée des lithographies et des eaux-fortes, le plus souvent pour répondre à des demandes d’éditeurs. Il y décline tous ses thèmes de prédilection :
son atelier, son frère Diego, sa mère, sa femme Annette, des portraits de son entourage, des vues de Paris.
En ce qui concerne la lithographie, en dehors de quelques estampes tirées par les éditions américaines Gemini, toutes les œuvres l’ont été par les ateliers Mourlot et Maeght.
Dans le cas de la lithographie, obtenue par report d’un dessin à l’encre lithographique sur plaque de zinc, la matrice ne subit presque pas d’usure, la force de la presse étant moins élevée, il est donc possible d’obtenir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’exemplaires, ainsi pour la couverture du Balcon de Jean Genet (1956) tiré à 3 265 exemplaires. Certains tirages comme celui du frontispice de Phases de Tristan Tzara (1949/28 exemplaires) ont été volontairement limités par pur choix éditorial. Paris sans fin (1969), considéré comme le chef-d’œuvre gravé de Giacometti, dont c’est d’ailleurs le dernier projet, qui ne sera publié par Tériade qu’après sa mort, en 1969, tient une place particulière dans l’exposition.
C’est une sorte de reportage graphique en 150 dessins réalisés par l’artiste, sillonnant Paris pendant près de dix ans, dessinant au gré de son inspiration sur du papier report. Les dessins ainsi réalisés ont été reportés ensuite sur zinc dans l’atelier Mourlot avant d’être imprimés. Le texte d’accompagnement prévu par l’artiste est resté inachevé.
Les apports mutuels des énergies et des collections de la BnF et de la Fondation Alberto et Annette Giacometti ont permis une exposition qui donne à découvrir un aspect méconnu de Giacometti et fait partager au visiteur le désir profond qu’avait cet artiste d’impliquer violemment le spectateur.
« Giacometti met le spectateur au défi. Les œuvres vous regardent en face. Ce n’est pas une œuvre facile, elle ne veut pas séduire. C’est stimulant sur le plan intellectuel et esthétique » constate Véronique Wiesinger.
À l’occasion de cette exposition, la Fondation Giacometti aura aussi enrichi le fonds de la BnF de quatorze planches, dont un très rare portrait de Tristan Tzara.
Marie-Noële Darmois


Un catalogue raisonné
En 1970, parut un ouvrage rédigé par Herbert Lust, qui faisait alors figure de catalogue complet des estampes d’Alberto Giacometti (The complete Graphics). Une version corrigée et augmentée a été publiée en 1991, comptant 396 numéros. La Fondation Alberto et Annette Giacometti, qui possède plusieurs dizaines d’épreuves absentes de cet ouvrage, prépare avec Eberhard Kornfeld, un catalogue raisonné, qui constituera un outil de travail bien plus complet pour saisir dans toutes ses dimensions le travail de Giacometti graveur, en dévoilant notamment une technique qui n’apparaissait pas dans l’ouvrage de Lust, les bois gravés de la jeunesse de l’artiste. Eberhard Kornfeld a connu Giacometti qui a fait son portrait, et le projet de catalogue raisonné des estampes date du vivant de l’artiste.
La galerie Kornfeld de Berne a déjà publié plusieurs catalogues raisonnés d’estampes, ceux de Paul Klee (1963), Paul Signac (1974), Paul Gauguin par Elizabeth Mongan (1988) et de Picasso par Brigitte Baer (1986 –1996).


Alberto Giacometti, œuvre gravé
Collections de la Fondation Alberto et Annette Giacometti


Du 19 octobre 2007 au 13 janvier 2008
Site Richelieu, Galerie Mazarine

Commissariat : Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, Céline Chicha, conservateur au département des Estampes et de la photographie, BnF.