L'héraldique selon Michel Pastoureau

Michel Pastoureau, spécialiste de l'héraldique, donnera une série de conférences à la BnF, en octobre et novembre 2002. Il présentera les rapports étroits qui ont toujours existé entre les armoiries et les livres.
Chroniques.fr : Comment les armoiries sont-elles passées, à la fin du XIIe siècle, des champs de bataille aux livres ?

Michel Pastoureau : Les armoiries, conçues à l'origine pour les batailles et les tournois, se sont répandues hors du monde de la chevalerie par les sceaux apposés sur les écrits. Ces sceaux se remplissant d'armoiries ont joué un rôle de relais. Marque d'engagement, devenant petit à petit marque de possession, elles se retrouvent sur des documents et des livres mais aussi sur des objets, des vêtements et des étoffes, des œuvres d'art et des monuments. Les armoiries s'étendent également à toutes les classes sociales, le clergé, les femmes, les artisans et même les paysans pour lesquels des contrats scellés avec l'abbaye voisine ont été retrouvés en Normandie.

Ch.fr : Ces armoiries, signes d'identité devant se voir de loin, aux formes simplifiées et très colorées, deviennent des ex-libris ?

M.P. : En tant que signe d'identité, la structure de l'image du blason s'adapte plastiquement à n'importe quel format, grand ou petit, comme une lettre de l'alphabet. Un A peut s'agrandir ou se réduire à volonté, il reste lisible et compréhensible quel que soit son graphisme. Quant aux couleurs, elle peuvent être déclinées dans toute leur nuance, que ce soit un rouge vermillon ou un rouge carmin, ce qui facilite leur utilisation et leur exécution. Dans les manuscrits du Moyen Age, les armoiries dessinées et peintes identifiant leur possesseur, sont effectivement de véritables ex-libris.

Ch.fr : Vous démontrez que les armoiries n'étaient pas réservées à un corps social, la noblesse, mais le langage descriptif très codé des blasons semble peu accessible et compréhensible par tout le monde.

M.P. : Au Moyen Age, les blasons, largement diffusés, étaient apposés dans beaucoup d'endroits et notamment les églises, véritables musées d'armoiries locales. Les armoiries des villes montraient en général un de leurs monuments, les confréries de métiers représentaient directement la profession, un bœuf pour les bouchers, un ciseau pour les tailleurs. Il existait également des armoiries parlantes, basées sur des jeux de mots avec le nom de famille, tel le blason de la famille suisse de Helfenstein qui porte un éléphant (Elefant) posé sur une pierre (Stein).
Lorsqu'une personne voulait se constituer des armoiries, elle s'adressait au graveur de sceaux qui les élaborait et les codifiait dans le langage spécifique du blason. Elles étaient ensuite consignées dans les armoriaux. Cette langue de l'héraldique a été établie en ancien français et a traversé les siècles. En Angleterre, ce langage descriptif a été élaboré à partir de l'anglo-normand, proche de l'ancien français, ce qui est encore plus difficile à comprendre pour les Anglais d'aujourd'hui, alors qu'en Allemagne, en Italie et en Espagne, l'écart est moins grand avec la langue actuelle.

Ch.fr : Votre dernière conférence portera sur l'héraldique littéraire et imaginaire. Cet héraldique de "fiction" joue plus sur la poétique du langage que sur le respect du code.

M.P. : En fait, les littéraires, tout en s'appuyant sur la musique des mots, sont extrêmement respectueux du code. Certains artistes ont pris parfois quelques libertés pour représenter les figures du blason. Dans mon intervention qui traitera de la période du Moyen Age, j'aborderai l'héraldique de "fiction" qui côtoyait déjà à cette époque l'héraldique véritable. Les historiens se sont appuyés sur la symbolique pour attribuer à certains personnages une figure et des couleurs, comme par exemple, Charlemagne à qui il a été donné un écu coupé par moitié : d'une part, le Saint Empire germanique représenté par l'aigle et de l'autre part, le Royaume de France avec la fleur de lys. Autre exemple marquant, c'est également au XIIe siècle que les saints se voient incarnés par des attributs, Saint Pierre et ses clés, ces attributs iconographiques devenant des armoiries.
Tout au long de cette époque féodale, les signes se sont multipliés, besoin d'identification rapide pour organiser la société qui s'élargit grâce un essor démographique, besoin de contrôler et d'appréhender au mieux l'individu dans des groupes d'où l'apparition des noms de famille, besoin surtout de créer un nouvel ordre social. Le XIIe siècle s'affirme comme le siècle du signe social.

Ch.fr : A l'heure actuelle, reste-t-il de nombreuses traces des armoiries médiévales ?

M.P. : Même si la Révolution a détruit et effacé de nombreuses armoiries, il reste beaucoup de documents héraldiques et la BnF possède dans ses différents départements les fonds les plus riches en la matière. Le Département des Manuscrits conserve au moins 120 000 documents que ce soient des sceaux, des armoriaux, des traités de blason. Les autres départements, le Cabinet des médailles, le Département des estampes, le Département des cartes et plans avec les anciens portulans ainsi que les pavillons de marine, la Réserve des livres rares, sans oublier la Bibliothèque de l'Arsenal, possèdent eux aussi des ressources insoupçonnées.


Propos recueillis par Elisa Kiremitdjian