Les femmes du XXe siècle
            dans les collections audiovisuelles
 
Un colloque sur les "Sources audiovisuelles pour l’histoire du féminisme" abordera, en novembre, la manière dont le mouvement féministe a utilisé le cinéma et l’audiovisuel comme vecteurs d’expression et de diffusion de ses idées. Si les collections audiovisuelles rassemblées à la BnF conservent nombre de documents précieux pour la restitution de cette histoire, c’est que les femmes y ont été présentes dés les origines du département de l'Audiovisuel.

 

De g. à dr.: Yvette Roudy Simone de Beauvoir et Delphine Seyrig, en mars 1984, au centre audiovisuel Simone de Beauvoir.
Dans les années 1970-1980, le mouvement féministe a connu un âge d’or au cours duquel l’engagement actif de militantes, de femmes politiques, d’associations et de certains médias ont permis une réelle avancée des droits des femmes et de nouvelles conquêtes pour leur liberté. Il se trouve que ces progrès ont coïncidé avec l’irruption de nouveaux outils audiovisuels plus maniables, la cassette audio, le VHS, qui ont favorisé la captation et la diffusion de certains moments clés de cette période. Aujourd’hui, à l’heure où le mouvement féministe connaît une renaissance, les chercheurs peuvent s’appuyer sur des images animées et des enregistrements sonores pour prolonger leurs analyses. Parmi les sources incontournables, ils consulteront celles des collections du département de l’Audiovisuel de la BnF qui se révèle un lieu essentiel de conservation et de communication de tels documents: les femmes y sont représentées à travers les supports les plus anciens, comme les cylindres ou le 78tours, jusqu’aux plus modernes. Elles jalonnent tout ce XXe siècle qui vit le développement de l’industrie du disque. En outre, le chercheur trouvera là des sources de l’histoire militante de la femme dans des documents et des témoignages recueillis dès les débuts des Archives de la parole*, et qui rassemblent des données irremplaçables sur l’aventure de la femme au XXe siècle.
   
Etiquettes de deux 78 tours de 1936 et 1933, et d'un 80 tours de 1926, conservées au département de l'Audiovisuel. Ces disques témoignent du combat des femmes françaises pour leurs droits.

La voix des femmes


En effet, nombre de discours, de lectures et surtout d’enregistrements musicaux ont enrichi la Phonothèque nationale (créée en 1938 pour recevoir le dépôt légal des phonogrammes, institué par la loi en 1925). Le département de l’Audiovisuel actuel, héritier à la fois de la Phonothèque nationale et des Archives de la parole, ouvre ainsi accès à une collection de plus d’un million de documents sonores, l’une des plus importantes au monde. Les plus anciens d’entre eux sont des enregistrements d’actrices en studio : Sarah Bernhardt, enregistrée par la compagnie Gramophone en 1903; Cécile Sorel, immortalisée par les Archives de la parole en 1913. On retrouve aussi les voix des cantatrices Adelina Patti et Nelly Melba. La figure de la chanteuse, liée à l’apparition du « caf’conc’ » puis du music-hall au début du XXe siècle, prend une dimension nouvelle avec l’émergence du disque.
Captés par l’enregistrement électrique, qui annonce dès 1925 l’industrie culturelle de masse, les accents de chanteuses dites réalistes comme Fréhel, Damia ou Édith Piaf expriment les traits contradictoires de la condition des femmes dans les couches populaires. Puis viendront des chanteuses à textes littéraires (Juliette Gréco ou Barbara) ou celles nées du baby boom comme Françoise Hardy, et même des militantes (Colette Magny, Hélène Martin, etc.).
Dans l’univers de la musique classique, les femmes, souvent associées à la harpe et au clavecin, s’illustrent plus difficilement comme pianistes et arrachent de haute lutte des places dans l’orchestre. On peut ainsi apprécier l’itinéraire d’une Clara Schumann, de la claveciniste Wenda Landowska, d’une pianiste telle Marguerite Long, d’une compositrice comme Lily Boulanger ou sa sœur Nadia, première femme à avoir dirigé l’Orchestre symphonique de Boston. À leur tour, le microsillon et le disque compact suscitent un phénomène d’appropriation d’icônes féminines, d’un très fort impact, dans une série de figures qui vont de Maria Callas à Madonna.

Oralité et littérature

Les fonds parlés de la BnF révèlent aussi des trésors, avec la diffusion de pièces de théâtre en intégrale ou en extraits – de plus en plus longs au fil des progrès techniques. Par exemple, Le Malade imaginaire, gravé en 1911 par Pathé, et des livres sonores.
Dans les années cinquante, la bande magnétique favorise le genre phonographique
et radiophonique de l’entretien, gardant ainsi intactes la parole et la pensée de femmes artistes, d’écrivaines ou d’intellectuelles : parmi beaucoup d’autres, Simone de Beauvoir
et Marguerite Duras (en particulier grâce au producteur Hugues Desalles). Le visiteur peut aussi écouter des lectures d’œuvres de femmes de lettres, des témoignages d’autres intellectuelles. Par la voix revivront aussi des comédiennes comme Ludmilla Pitoëff, Silvia Monfort et Maria Casarès, ou encore la peintre Sonia Delaunay ou la militante Jeannette Vermeersch.
Avec l’avènement du féminisme des années soixante-dix, les Éditions des femmes entrent dans les collections de la BnF par le truchement du dépôt légal (« La bibliothèque des voix » d’Antoinette Fouque, en 1980, avec notamment des textes lus par Nathalie Sarraute ou Françoise Giroud). À l’opposé de la tradition académique française, l’oralité devient le média privilégié de la littérature. Dans le domaine politique, la BnF conserve des ressources rares, comme le discours sur le féminisme de maître Maria Vérone, grande militante de l’entre-deux-guerres, enregistré par Polydor en 1933. Sans oublier les disques du Comité national des femmes socialistes, publiés en 1936, faisant état des débats
et contradictions du combat pour les droits des femmes en France dans les années trente.

Quand les femmes se font réalisatrices de films

Concernant les images, le dépôt légal des vidéogrammes a été institué en 1975. Aujourd’hui, la collection d’images animées de la BnF forme le plus important gisement en France de documents sur support vidéo. Avec 125 000 titres, dont 115 000 entrés par son canal, ce dépôt légal a permis d’accumuler des sources précieuses sur l'histoire des femmes.
Le domaine du film documentaire a fait l’objet d’un important programme d’acquisitions pour la bibliothèque d’étude du Haut-de-jardin, avec des axes forts : la «Cinémathèque du documentaire» propose notamment une anthologie de ce genre avec des films de femmes, des portraits de grandes figures féminines ou des entretiens avec Gisèle Halimi, Françoise Giroud, Françoise Dolto, Élisabeth Roudinesco, Germaine Tillon, pour ne citer qu’elles. Grâce au dépôt légal des éditions commerciales, le chercheur aura également accès à des films de fiction, longs et courts métrages pour le cinéma ou la télévision, et à des films de cinéma expérimental tournés par des réalisatrices de grands talents (Agnès Varda, Coline Serreau, Catherine Breillat, Claire Denis, Christine Pascal, Chantal Ackerman, Agnès Jaoui et d’autres). Il pourra approfondir ses recherches sur des thématiques comme les femmes réalisatrices, les rôles féminins dans le cinéma de fiction ou les femmes dans la publicité. D’autres se pencheront sur la place des femmes dans la vie quotidienne, sur l’égalité et la parité ou la citoyenneté en étudiant les films déposés à la BnF par des institutions ou par le ministère des Droits des femmes. D’autres encore se documenteront, pour mieux décrypter l’actualité récente, sur l’engagement politique des femmes, sur les prolongements du mouvement féministe et de la libération sexuelle ou sur l’homosexualité. Tous pourront bientôt consulter le riche fonds d’archives vidéo du Centre Simone de Beauvoir, en cours de dépôt à la BnF.


Antoine Provensal et Sylvie Dreyfus,
en collaboration avec Marie-Noële Darmois





* Fondées en 1911 par le linguiste Ferdinand Brunot dans son Institut de phonétique de la Sorbonne,les Archives de la parole visaient à la constitution d'un patrimoine sonore destiné à l'étude et à la recherche (collecte ethnographique de témoignages, contes populaires, musiques traditionnelles, folklores, voix de personnages célébres, etc.). Aprés le musée du Geste et de la Parole qui lui a succédé en 1928, une Phonothèque nationale fera créée en 1930, elle deviendra un département de la BnF en 1977 ancêtre de l'Audiovisuel de la BnF.


COLLOQUE

Des sources audiovisuelles pour l’histoire du féminisme

20 novembre 2004
Site François-Mitterrand
Petit Auditorium
9 h 30 - 19 h

Colloque organisé par l’association Archives du féminisme, en partenariat avec la BnF.