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Endre Friedmann, dit Robert Capa, photographe de guerre
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Pour le cinquantenaire de sa disparition,
la BnF consacre une exposition à Robert Capa, membre fondateur de l’agence
Magnum. Elle montre, à côté des "icônes" qui ont fait sa gloire, des images
moins célèbres, ainsi qu’une sélection de journaux grâce auxquels ses contemporains
ont connu son travail. Ces documents sont issus de collections privées ou
publiques françaises. Laure Beaumont-Maillet, co-commissaire de l’exposition,
rappelle les principales étapes de la vie du grand photographe.
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Le débarquement : paysan sicilien indiquant
à un soldat américain la route prise par les Allemands, Sicile,
4 ou 5 août 1943. BnF, département des Estampes et de la photographie.
Photo Robert Capa © 2001 by Cornell Capa / Magnum Photos
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Rien ne prédestinait Endre Friedmann, né à Budapest le 22 octobre
1913, à devenir photographe. Ses parents, juifs non pratiquants, étaient
propriétaires d’une maison de couture située à Pest. Le père était
un homme cultivé, malheureusement porté sur le jeu. La mère était
la femme forte, le pivot de la famille.
Très tôt, Endre a des préoccupations politiques. Son maître à penser,
le peintre et poète Lajos Kassák, entretient des contacts avec les
mouvements d’avant-garde autrichien et allemand et dirige à Budapest
un groupe politique et artistique actif.
À l’âge de 17 ans, Endre est arrêté pour avoir participé aux activités
d’étudiants de gauche, hostiles au gouvernement conservateur de l’amiral
Miklós Horthy. Il est libéré à la condition de quitter le pays. Il
part donc en juillet 1931 pour Berlin. Là, il commence par étudier
le journalisme et obtient bientôt un poste d’assistant à la Dephot
(Deutscher Photodienst), une agence de photojournalisme de premier
plan. Il y apprend les rudiments du tirage et du développement et
se voit rapidement promu assistant, puis apprenti photographe.
En novembre 1932, la Dephot l’envoie à Copenhague pour photographier
Trotski donnant une conférence à des étudiants danois sur le sens
de la révolution russe. Avant qu’il ait pu tirer avantage de sa notoriété
naissante, le jeune homme doit fuir l’Allemagne : Hitler est en effet
devenu chancelier le 30 janvier 1933. Inquiété comme immigré, juif
et gauchiste, Endre gagne Vienne puis, de là, se rend à Paris à l’automne
1934.
Endre Friedmann, l’homme qui s’inventa
lui-même

À Paris, il va connaître la faim, la xénophobie, les hôtels pour immigrés,
les cafés de Montparnasse, comme un grand nombre de réfugiés politiques
– artistes ou journalistes –, parlant un français improvisé et cherchant
à établir des contacts. Il fait la connaissance d’autres photographes
dont André Kertész, qui lui apporte un soutien inestimable. Avec David
Szymin (Seymour), dit "Chim", et Henri Cartier- Bresson, il constitue
un trio d’amis répondant au surnom des "Trois mousquetaires". En
septembre 1934, Endre – qui maintenant se fait appeler André – rencontre
Gerda Pohorylle, une réfugiée juive allemande d’origine polonaise.
Cette ravissante rousse aux yeux verts – les Espagnols la surnommeront
plus tard "la pequeña rubia " – fait la conquête d’André.
Elle se révélera pour lui à la fois une compagne et un agent avisé.

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Robert Capa et Gerda Taro, photographes anti-fascistes

Tous deux travaillent, un temps, pour l’agence Alliance Photo. Au
printemps 1936, les ventes se faisant rares, André
et Gerda utilisent un subterfuge en forgeant de toutes pièces la légende
d’un photographe américain du nom de Robert Capa. Gerda commence à
faire la tournée des rédactions en proposant les clichés d’André sous
ce patronyme. Les rédacteurs sont tentés d’en acquérir et de les publier.
Rapidement, le mystérieux Capa devient célèbre. Et Gerda prend le
pseudonyme de Taro. La guerre d’Espagne, qui éclate le 17 juillet
1936, leur fournira l’occasion d’émerger comme photojournalistes.
Dans l’esprit des jeunes gens, l’appareil photographique n’est pas
seulement un gagne-pain, c’est aussi une arme pour gagner un appui
international à la cause républicaine. Dès son premier voyage en Espagne,
Capa photographie un milicien espagnol frappé par une balle.
L’image fera le tour du monde. Bien que controversée, elle sera à
l’origine du mythe Capa et deviendra emblématique de la guerre d’Espagne,
de la photographie de , voire d’actualité. Début mars 1937, Capa et
Taro se mettent à travailler pour Ce soir,
un périodique du Front populaire de création récente et dont le rédacteur
en chef est Louis Aragon. Tandis que Capa rentre à Paris pour affaires,
Gerda reste en Espagne. Elle y trouvera la mort dans un reportage
sur les violents combats de Brunete. Réticent à retourner sur le théâtre
de la guerre où sa compagne est morte, il couvre tout de même la bataille
de Teruel, puis part quelques mois en Chine avec le documentariste
hollandais Joris Ivens pour photographier la résistance de la Chine
face à l’invasion japonaise, commencée l’année précédente. Le Japon
s’étant déclaré l’allié de l’Allemagne, la guerre en Chine est considérée
par beaucoup comme le front oriental d’une lutte internationale lancée
contre le fascisme et dont l’Espagne constitue le front occidental.
Capa produit de remarquables documents sur la bataille de Taierzhuang
et sur les raids aériens japonais contre Hankou.
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Capa couvre la Seconde Guerre mondiale

L’automne suivant, le photographe retourne en Espagne pour suivre
le départ des Brigades internationales et couvre les batailles
de Mora de Ebro et du Rio Segre – images peut-être les plus
dramatiques de sa carrière. Le 3 décembre 1938, la prestigieuse
revue anglaise Picture Post publie
huit pages de photographies de Capa, alors âgé de 25 ans, le
proclamant le "plus grand photographe
de guerre du monde". Vient la Seconde Guerre mondiale.
Capa s’enfuit de Paris en octobre 1939 et gagne New York, dont
on lui interdit, en tant que ressortissant d’un pays ennemi,
de s’éloigner.
Il réussit à obtenir une accréditation de l’armée américaine.
Il couvre le Blitz de Londres, les combats en Afrique du Nord
et en Italie, les opérations du débarquement du 6 juin 1944
(il accompagnait la première vague), la Libération de Paris,
de la Belgique et de l’Allemagne. La paix revenue, le photographe
de guerre est au chômage. Il songe à se reconvertir.
C’est à cette époque que commence son idylle avec Ingrid Bergman.
Lui qui rêvait de faire du cinéma, il la suit à Hollywood. Il
y travaille comme photographe de plateau pour le film d’Hitchcock
Notorious. Pendant le tournage,
Hitchcock, confident de l’actrice, a pu à loisir observer les
hauts et les bas de leur liaison, ce qui lui a fourni le scénario
d’un de ses chefs-d’oeuvre, Fenêtre sur
cour (Rear Window, 1954), film évoquant justement l’idylle
d’un photojournaliste, campé par James Stewart, avec une journaliste
de mode, interprétée par Grace Kelly. Si, dans le film, l’histoire
s’achève par un mariage, l’aventure réelle, elle, tourne court.
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L’agence Magnum, un concept idéaliste et
commercial

En 1947, Capa et ses amis – Cartier- Bresson, Chim, George Rodger
et William Vandivert – fondent l’Agence Magnum, une coopérative de
photographes. Capa a eu, le premier, l’idée de cette agence d’un genre
nouveau qui donne aux photographes les moyens de tenir plus facilement
tête aux grands patrons de presse, d’être leurs propres maîtres, de
garder la propriété de leurs négatifs et un droit de regard sur l’utilisation
de leurs images. Il s’agit là d’un concept à la fois idéaliste et
commercial.
À la fin des années quarante, il prend part, avec ses amis intellectuels,
à divers projets. Durant l’été 1947, il traverse la Russie pendant
un mois avec John Steinbeck. De cette expérience naît un livre,
A Russian Journal, textes du grand écrivain flanqués de photographies
de Capa. Avec le romancier Irwin Shaw, le photographe réalise le livre
Report on Israël. En avril 1954, alors
qu’il se trouve au Japon, le magazine Life lui demande de remplacer
un confrère américain en Indochine. Il accepte. Ce sera la guerre
de trop. Le 25 mai, en compagnie de deux Américains, il suit un convoi
de soldats français occupés à évacuer deux fortins, dans le delta
du fleuve Rouge, après la capitulation de Diên Biên Phû. C’est là
qu’il trouve la mort, en sautant sur une mine, un appareil photographique
dans chaque main. Les Français lui décernent les honneurs militaires
à Hanoi.
Laure Beaumont-Maillet,
Directeur du département des Estampes de la photographie
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René Hardy, chef de
travaux d'art, dép. des Estampes et de la photographie
© David Carr / BnF |
L’exposition Capa vue par les ateliers de restauration
Pour l’exposition "Capa, connu et inconnu", le responsable des
ateliers de restauration du département des Estampes et de la
photographie, René Hardy, la commissaire, la chargée d’exposition
et la scénographe se sont concertés.
"Parmi les 300 oeuvres présentées,
explique René Hardy, 96 proviennent des
fonds de la BnF. Une petite restauration préalable ayant été
assurée, les montages de présentation ont été choisis avec précision:
baguettes d’encadrement en harmonie avec la scénographie, présentation
sous passepartout, choix de sous-verres au ras du document lorsque
le cliché dégageait assez d’éléments par lui-même, etc. Chaque
détail a été passé au crible."
Pour une présentation sous verre, par exemple, la photographie
est posée sur un support de bois, un papier permanent ayant
été placé entre l’image et son support. On fixe l’ensemble avec
un ruban de plomb étamé de qualité alimentaire, patine étain,
dont les fines lanières adhésives doivent pouvoir être retirées
sans dommage après l’exposition.
"Il faut aussi penser à la préservation
des oeuvres durant l’exposition,
souligne René Hardy. Tout doit
être réfléchi dans la déontologie du restaurateur: innocuité
des matériaux et des adhésifs, réversibilité des techniques,
etc."
Dans sa charge de travail courante, l’atelier assure la restauration
et la conservation des collections d’estampes et de photographies,
l’objectif étant fixé à 4000 documents par an. Il prévoit aussi
une marge pour quelque 500 documents à traiter en priorité (expositionsinternes
à la BnF, prêts à d’autres expositions). Une gestion très lourde
qui va du suivi des travaux jusqu’à l’enregistrement et au contrôle
d’entrée et de sortie des documents patrimoniaux, et qui reste
soumise à l’impérieuse contrainte des dates d’inauguration d’expositions
ou, pour les prêts, des horaires d’un transporteur ou de ceux
du décollage d’un avion.
M. C. H |
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En savoir plus
Dans le cadre du mois de la photo
Capa, connu et inconnu
6 octobre - 31 décembre 2004
Commissaires : Laure Beaumont-Maillet,
Françoise Denoyelle
Site Richelieu
Galerie de photographie
Entrée : 5 €. Tarif réduit : 4 €
Avec le soutien de Champagne Louis Roederer
et le concours de Magnum Photos. En partenariat avec Paris
Match, Reporters sans frontières, France Info
et LCI.
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