La mer, terreur et fascination |
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Des colères de Poséidon jusqu’aux
récentes explorations sous-marines, une exposition consacrée à la mer témoigne
du rapport qui existe entre les représentations imaginaires de l’homme et
l’évolution des savoirs scientifiques. Fruit d’un partenariat de la BnF
avec son Pôle associé brestois, spécialisé en océanographie, cette manifestation
aura lieu à Paris, puis au Quartz de Brest. |
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"Ce parti pris, complète Hélène Richard1, l’un des trois commissaires de l’exposition avec Philippe Raccah2 et Thierry Claerr3, commissaire pour la Ville de Brest, a permis de s’inscrire dans la suite logique du cycle des grandes expositions de la BnF lancé en 1998 avec Figures du ciel et Couleurs de la terre.C’est pourquoi la BnF a accepté ce partenariat proposé par la Ville de Brest, au titre de Pôle associé Océanographie." Quelle est la superficie de la mer et sa profondeur ? Pourquoi et comment se meuvent ses courants ? Communique-t-elle avec les profondeurs de la terre ? Depuis le XIIIe siècle, scientifiques, explorateurs ou missionnaires ont tenté d’esquisser ses limites, d’explorer ses profondeurs, de comprendre ses courants, de s’y repérer. C’est en 1290 que furent dessinés les contours de la carte "pisane", représentant les côtes méditerranéennes, "la plus ancienne parvenue jusqu’à nous", souligne Hélène Richard. Au XIVe siècle, les voyages se multiplient. La connaissance des côtes s’approfondit. L’illustrent une carte datant de 1505, qui dessine les côtes américaines à la suite de l’exploration de Christophe Colomb, et un petit portulan, daté de 1543, figurant le circuit qui conduisit les vaisseaux de Magellan autour du monde (1521). Un autre portulan du cartographe Gerritsz (1622) montre les côtes du Pacifique. La première carte où apparaît la terre australe (1531), mappemonde cordiforme d’Oronce Fine, témoigne des questionnements de l’époque: une terre ou une mer occupe-t-elle ce grand vide du pôle antarctique ? De façon plus pratique, on trouve trace en 1279 des premières observations des horaires de marée. Des manuels de pilotage sont rédigés à l’usage des marins bretons comme celui de Brouscon (1548). |
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Le naufrage, une épreuve initiatique Parce qu’ils restent difficiles à cerner, la mer et ses mystères inquiètent. Et sa violence suscite des sentiments de terreur. Les récits de raz-de-marée ou de cités englouties comme l’Atlantide sont vécus comme des paraboles de la vulnérabilité de l’homme face aux dangers de la nature. Sous l’Antiquité, cette terra incognita "sans substance", selon Aristote, peut devenir l’instrument de la colère divine : de L’Iliade à L’Odyssée, en passant par la Bible – avec les eaux de la mer Rouge se retirant sur la volonté de Yahvé – ou Les Métamorphoses d’Ovide où les flots obéissent aux humeurs de Neptune. Dans l’Antiquité encore, Charybde et Scylla personnifient les courants. Le naufrage apparaît comme une épreuve initiatique : Jonas et la baleine, les récits de pèlerins au Moyen Âge, le combat du capitaine Achab et de Moby Dick, raconté par Herman Melville (1851), sont autant de variations autour de ce thème. Au Moyen Âge, l’enfer des marins est décrit comme «humide et froid ». À l’époque moderne, des récits inspirés de véritables tempêtes et de naufrages influencent les peintres flamands. Des ex-voto, des globes célestes et terrestres de Vaugondy, réalisés sur une commande du roi pour venir en aide aux navigateurs (1751), des chaloupes de sauvetage (1866), présentés dans l’exposition, constituent les moyens de conjurer ces dangers. "La mer est ambivalente, remarque Hélène Richard. Toute beauté cache un danger… Et toute créature étrange ou monstrueuse appartient à l’univers du merveilleux. Certaines pièces auraient pu illustrer l’un ou l’autre de ces aspects." Il n’est guère étonnant, dès lors, de retrouver les sirènes, les méduses ou les pieuvresdans ce double rôle. "Les contes de toutes civilisations, ajoute Alain Corbin, ont relaté les relations complexes que les sirènes ont noué avec les hommes. Elles sont un symbole signifiant du rapport qui lie l’homme à la femme. La mer évoque l’éternel féminin, dans ce qui peut apparaître à l’homme comme une ambivalence: la femme donne la vie et, par là même, la mort." |
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Histoire
du pêcheur, illustration du palais sous les mer, rouleau japonais,
fin XVIIe siècle. |
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Penser l’océan autrement… La vie marine a suscité nombre d’ouvrages : Das Buch des Natur (1475), les traités des pêches de Duhamel du Monceau (1777) ou encore Les Herbiers [d’algues] des frères Crouan (1857), par exemple. Mais c’est dans les grandes profondeurs que règne le merveilleux de la mer : des récits littéraires d’inspiration scientifique tels que Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne (1870), les campagnes scientifiques d’Albert Ier de Monaco commencées à la fin du XIXe siècle, des documentaires scientifiques comme Le Monde du silence de Jacques-Yves Cousteau (1956) ou la maquette du Nautile et les reportages des grandes profondeurs de l’Ifremer en témoignent. On pourra également voir dans l’exposition les cheminées sous-marines, les sources hydrothermales ou encore les oasis de vie à plusieurs milliers de mètres de profondeur, images impressionnantes filmées par l’Ifremer, découvreur de cette vie exceptionnelle au fond des abysses. Parmi les curiosités exposées figure l’extrémité d’un tentacule gauche de calmar géant. |
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Les mouvements de la mer sont connus. La technique a réduit les risques des traversées. Cependant, la mer reste un espace d’aventure individuelle où les navigateurs prennent la figure de héros modernes. "L’angoisse existe toujours, mais elle se déplace vers des peurs écologiques déjà très intenses, sous d’autres formes, au XVIIIe siècle", précise Alain Corbin. Provoquée par les navires polluants et par le réchauffement de la dégradation de la mer constitue une planète, la dégradation de la mer constitue une menace pour l’homme. Le rêve d’un univers sous-marin dans lequel l’homme pourrait vivre se perpétue avec les projets architecturaux de Jacques Rougerie qui prend le relais, dans l’imaginaire collectif, des projections de la vie terrestre sous la mer telles que les palais du fond des mers (Sumi-Yosi-No hon-ti, fin XVIIe siècle). Les découvertes récentes de la faune et de la flore des grandes profondeurs, fonctionnant selon des mécanismes différents, obligent à penser l’océan autrement que comme une expression marine de la vie terrestre.
1. Directeur du département des Cartes et plans (BnF) 2. Directeur du département Sciences et techniques (BnF) 3. Conservateur à la direction du Livre et de la Lecture (ministère de la Culture et de la Communication) |
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