La mer, terreur et fascination
  Des colères de Poséidon jusqu’aux récentes explorations sous-marines, une exposition consacrée à la mer témoigne du rapport qui existe entre les représentations imaginaires de l’homme et l’évolution des savoirs scientifiques. Fruit d’un partenariat de la BnF avec son Pôle associé brestois, spécialisé en océanographie, cette manifestation aura lieu à Paris, puis au Quartz de Brest.
 
Que représente la mer pour l’homme ? Depuis l’Antiquité, elle symbolise l’origine de la vie sur la terre et de l’amour. Le nom de la déesse Aphrodite vient du mot grec aphros, qui signifie "écume". La mer est porteuse de fantasmes. Milieu par essence contraire à la nature de l’homme, c’est le lieu de tous les dangers. Initiatique, elle ne cesse d’interroger. "Les relations entre l’homme et la mer sont complexes, précise l’historien Alain Corbin, conseiller scientifique de l’exposition et auteur de nombreux ouvrages sur la mer. Elle reste l’élément imprévisible qu’il tente vainement de maîtriser. C’est pourquoi nous avons choisi, dans un premier temps, de définir la substance, l’élément aquatique. Puis nous évoquerons ce en quoi la mer angoisse et ce en quoi elle émerveille : deux thèmes constants au fil des siècles et communs à toutes les civilisations. Si la peur de la mer inspire de nombreux mythes, le merveilleux de la vie maritime s’incarne par autant de figures imaginaires, par exemple, les sirènes. Ce merveilleux est aussi suscité par les grands animaux marins comme les baleines. Les dernières découvertes scientifiques telles les "sources des mers" stimulent d’une nouvelle manière l’imagination et un rêve de l’homme : pouvoir vivre sous la mer."
"Ce parti pris, complète Hélène Richard1, l’un des trois commissaires de l’exposition avec Philippe Raccah2 et Thierry Claerr3, commissaire pour la Ville de Brest, a permis de s’inscrire dans la suite logique du cycle des grandes expositions de la BnF lancé en 1998 avec Figures du ciel et Couleurs de la terre.C’est pourquoi la BnF a accepté ce partenariat proposé par la Ville de Brest, au titre de Pôle associé Océanographie."

Caveiro, portulan, 1505.
Sonder la profondeur de la mer

Quelle est la superficie de la mer et sa profondeur ? Pourquoi et comment se meuvent ses courants ? Communique-t-elle avec les profondeurs de la terre ? Depuis le XIIIe siècle, scientifiques, explorateurs ou missionnaires ont tenté d’esquisser ses limites, d’explorer ses profondeurs, de comprendre ses courants, de s’y repérer. C’est en 1290 que furent dessinés les contours de la carte "pisane", représentant les côtes méditerranéennes, "la plus ancienne parvenue jusqu’à nous", souligne Hélène Richard. Au XIVe siècle, les voyages se multiplient. La connaissance des côtes s’approfondit. L’illustrent une carte datant de 1505, qui dessine les côtes américaines à la suite de l’exploration de Christophe Colomb, et un petit portulan, daté de 1543, figurant le circuit qui conduisit les vaisseaux de Magellan autour du monde (1521).
Un autre portulan du cartographe Gerritsz (1622) montre les côtes du Pacifique. La première carte où apparaît la terre australe (1531), mappemonde cordiforme d’Oronce Fine, témoigne des questionnements de l’époque: une terre ou une mer occupe-t-elle ce grand vide du pôle antarctique ? De façon plus pratique, on trouve trace en 1279 des premières observations des horaires de marée. Des manuels de pilotage sont rédigés à l’usage des marins bretons comme celui de Brouscon (1548).

 
Plus audacieux, dès le XIe siècle, on a voulu sonder la profondeur de la mer par divers moyens techniques ou outils de réflexion : l’"archéobathymètre", instrument dessiné par Hermann dans le Liber de labore et scientia, avec les premiers dessins des scaphandres (1534) ; ou le Traité de la construction théorique et pratique de scaphandre ou du bateau de l’homme, écrit au XVIIIe siècle par le très officiel conseiller maritime du roi, l’abbé de La Chapelle (1775) ; ou encore le Cercle répétiteur de Borda réalisé pour Beautemps- Beaupré (1820), instrument à l’origine de l’hydrographie moderne, pièce significative issue des collections du Service hydrographique et océanographique de la Marine. "L’étroite imbrication entre l’imaginaire et les découvertes scientifiques forme la trame de l’exposition, indique Philippe Raccah. Les récentes découvertes d’espèces de vers ou de poissons qui vivent dans les oasis des grandes profondeurs font ainsi écho, par leur apparence saisissante sinon redoutable, à certaines représentations de poissons monstrueux dans des traités du XVIe siècle comme ceux d’Olaüs Magnus ou de Guillaume Rondelet."

Le naufrage, une épreuve initiatique

Parce qu’ils restent difficiles à cerner, la mer et ses mystères inquiètent. Et sa violence suscite des sentiments de terreur.
Les récits de raz-de-marée ou de cités englouties comme l’Atlantide sont vécus comme des paraboles de la vulnérabilité de l’homme face aux dangers de la nature. Sous l’Antiquité, cette terra incognita "sans substance", selon Aristote, peut devenir l’instrument de la colère divine : de L’Iliade à L’Odyssée, en passant par la Bible – avec les eaux de la mer Rouge se retirant sur la volonté de Yahvé – ou Les Métamorphoses d’Ovide où les flots obéissent aux humeurs de Neptune.
Dans l’Antiquité encore, Charybde et Scylla personnifient les courants. Le naufrage apparaît comme une épreuve initiatique : Jonas et la baleine, les récits de pèlerins au Moyen Âge, le combat du capitaine Achab et de Moby Dick, raconté par Herman Melville (1851), sont autant de variations autour de ce thème.
Au Moyen Âge, l’enfer des marins est décrit comme «humide et froid ». À l’époque moderne, des récits inspirés de véritables tempêtes et de naufrages influencent les peintres flamands. Des ex-voto, des globes célestes et terrestres de Vaugondy, réalisés sur une commande du roi pour venir en aide aux navigateurs (1751), des chaloupes de sauvetage (1866), présentés dans l’exposition, constituent les moyens de conjurer ces dangers.
"La mer est ambivalente, remarque Hélène Richard. Toute beauté cache un danger… Et toute créature étrange ou monstrueuse appartient à l’univers du merveilleux. Certaines pièces auraient pu illustrer l’un ou l’autre de ces aspects."
Il n’est guère étonnant, dès lors, de retrouver les sirènes, les méduses ou les pieuvresdans ce double rôle. "Les contes de toutes civilisations, ajoute Alain Corbin, ont relaté les relations complexes que les sirènes ont noué avec les hommes. Elles sont un symbole signifiant du rapport qui lie l’homme à la femme. La mer évoque l’éternel féminin, dans ce qui peut apparaître à l’homme comme une ambivalence: la femme donne la vie et, par là même, la mort."


 
  Histoire du pêcheur, illustration du palais sous les mer, rouleau japonais, fin XVIIe siècle.

  Penser l’océan autrement…

La vie marine a suscité nombre d’ouvrages : Das Buch des Natur (1475), les traités des pêches de Duhamel du Monceau (1777) ou encore Les Herbiers [d’algues] des frères Crouan (1857), par exemple.
Mais c’est dans les grandes profondeurs que règne le merveilleux de la mer : des récits littéraires d’inspiration scientifique tels que Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne (1870), les campagnes scientifiques d’Albert Ier de Monaco commencées à la fin du XIXe siècle, des documentaires scientifiques comme Le Monde du silence de Jacques-Yves Cousteau (1956) ou la maquette du Nautile et les reportages des grandes profondeurs de l’Ifremer en témoignent. On pourra également voir dans l’exposition les cheminées sous-marines, les sources hydrothermales ou encore les oasis de vie à plusieurs milliers de mètres de profondeur, images impressionnantes filmées par l’Ifremer, découvreur de cette vie exceptionnelle au fond des abysses. Parmi les curiosités exposées figure l’extrémité d’un tentacule gauche de calmar géant.
   
 
"C’est surtout depuis la fin du XIXe siècle, précise Philippe Raccah, que l’exploration scientifique de la mer a progressé, par exemple sur la connaissance de la vie sous-marine ou la géographie des fonds marins. Loin des visions approximatives de Platon sur les liens entre terres et mers, la théorie de la tectonique des plaques donne aujourd’hui une explication générale des mouvements des continents et des océans et des ruptures violentes (tremblements de terre, volcans) qu’ils provoquent."
Les mouvements de la mer sont connus. La technique a réduit les risques des traversées. Cependant, la mer reste un espace d’aventure individuelle où les navigateurs prennent la figure de héros modernes. "L’angoisse existe toujours, mais elle se déplace vers des peurs écologiques déjà très intenses, sous d’autres formes, au XVIIIe siècle", précise Alain Corbin.
Provoquée par les navires polluants et par le réchauffement de la dégradation de la mer constitue une planète, la dégradation de la mer constitue une menace pour l’homme. Le rêve d’un univers sous-marin dans lequel l’homme pourrait vivre se perpétue avec les projets architecturaux de Jacques Rougerie qui prend le relais, dans l’imaginaire collectif, des projections de la vie terrestre sous la mer telles que les palais du fond des mers (Sumi-Yosi-No hon-ti, fin XVIIe siècle).
Les découvertes récentes de la faune et de la flore des grandes profondeurs, fonctionnant selon des mécanismes différents, obligent à penser l’océan autrement que comme une expression marine de la vie terrestre.



Dossier réalisé par Florence Grohens
en collaboration avec Thierry Claerr,
Alain Corbin, Philippe Raccah et Hélène Richard




1. Directeur du département des Cartes et plans (BnF)
2. Directeur du département Sciences et techniques (BnF)
3. Conservateur à la direction du Livre et de la Lecture (ministère de la Culture et de la Communication)
 

En savoir plus

Exposition
La mer, terreur et fascination

13 octobre 2004 - 16 janvier 2005
Site François-Mitterand
Grande Galerie
Entrée : 5 €. Tarif réduit : 4 €.

3 mai 2004 - 30 juin 2005
Quartz de Brest
2 et 4, av. Georges-Clemenceau
BP 411, 29275 Brest
Tél. :02 98 33 95 00
Entrée libre.

Commissaires :Thierry Claerr, Philippe Raccah et Hélène Richard

En partenariat avec la Ville de Brest dans le cadre du Pôle associé "Océanographie", Géo, Le Point et la chaîne Planète Thalassa.

Voir aussi
Le site du Salon nautique de Paris