Les impressions de Pierre Alechinsky
L'exposition rétrospective de l'œuvre imprimé de Pierre Alechinsky, qui se tient jusqu'au 4 septembre sur le site François-Mitterrand, a été l'occasion pour la BnF d'éditer un ouvrage consacré à cet artiste, qui est aussi un grand amoureux du livre et des mots.

Chapeau fort,1976, taille douce © ADAGP, 2005

"Je suis un peintre qui vient de l'imprimerie", dit volontiers Pierre Alechinsky. Ses années d'apprentissage le destinaient en effet aux métiers du livre plutôt qu'à la peinture : né à Bruxelles en 1927, "élève réfractaire classé cancre", il se forma, entre 1944 et 1948*, à la typographie, à la photographie et à l'illustration du livre. C'est ainsi qu'il grava ses premières estampes, notamment pour son diplôme, à partir du texte du Poète assassiné d'Apollinaire. Aujourd'hui, son œuvre imprimé compte plus de deux mille gravures et lithographies, isolées ou figurant dans des livres.
De cette époque fondatrice, l'artiste a gardé le goût de l'imprimé et l'amour de l'objet livre, qu'il a approché de multiples manières, en inlassable curieux des techniques et des supports, travaillant souvent sur des papiers anciens, parfois des brouillons. Ainsi, avec Michel Butor pour un ouvrage intitulé Hoirie-Voirie (1970) : douze feuillets tapuscrits de l'écrivain, sauvés de la corbeille, et qu'Alechinsky réanima en traitant l'écriture comme un matériau.
L'ouvrage que lui consacre la BnF éclaire la relation créatrice que l'artiste entretient avec l'image et les techniques graphiques – lithographie, gravure, eau-forte, "offset originale" – ainsi qu'avec les mots. Plus d'une centaine d'images sont reproduites dans cet ouvrage composé de deux volets, le premier portant sur le livre, le second sur les estampes proprement dites.



Pierre Alechinsky
© Philippe Chancel
Tour à tour peintre, graveur, écrivain, Pierre Alechinsky est un homme qui aime jeter des passerelles entre les langages et les modes d'expression. Du mouvement CoBrA,
qu'il rejoignit en 1949 à la suite de sa rencontre et de son amitié avec Christian Dotremont et Asger Jorn, il a gardé l'esprit de liberté et le refus de la spécialisation.
Et aussi, sans doute, la nostalgie d'une communauté d'esprit et de pensée, d'une commune présence. La peinture, le dessin sont des activités solitaires. Le livre ou l'estampe se font à plusieurs, créant des liens avec des écrivains tels Amos Kenan, Joyce Mansour, Eugène Ionesco, Jean Tardieu et Cioran, pour n'en citer que quelques-uns.
Alechinsky a surtout travaillé avec des auteurs vivants ("Les morts ne peuvent pas dire non"), avec lesquels il instaure un dialogue, souvent poétique et ludique, jamais dans la redondance, mais plutôt dans la résonance entre deux imaginaires, comme l'écrit Gérard Macé, qui le voit "comme un lecteur le crayon à la main, qui crée sa propre lecture".
Marie-Françoise Quignard, l'un des commissaires de l'exposition, ajoute : " Il n'est pas un homme de discours, il est un homme de la conversation. Ce qu'il aime, c'est raconter,
que ce soit en images ou en mots
." Et sa relation avec son lecteur, quant à elle, passe par les registres les plus divers, par l'humour, le coq-à-l'âne, voire la provocation...

Le livre, c'est aussi pour lui une collaboration avec un éditeur (Maeght, Yves Rivière...)
et un imprimeur (Maurice Beaudet, Peter Bramsen, pour les lithographies, Jean Clerté, Piero Crommelynck pour les gravures).
Antoine Coron, directeur de la Réserve des livres rares de la BnF, s'attache dans cet ouvrage à la relation du peintre avec un éditeur atypique, Pierre André Benoit.
Un entretien conduit par Céline Chicha, conservateur à la BnF, porte sur les impressions d'Alechinsky, depuis le recueil de fables d'Ésope, qui fut l'un de ses premiers travaux d'élève, jusqu'aux estampes réalisées avec l'éditeur et lithographe Franck Bordas.
Pour l'amoureux des mots qu'est Alechinsky, une œuvre n'est vraiment achevée que lorsqu'elle a trouvé son titre, souvent placé sous le signe du jeu, de la dérision, de l'enfance. On retiendra, pour mémoire, Chapeau fort, Mots bavards, Tête de clou... En 1967, il demanda à soixante et un écrivains ou artistes de se soumettre à ce qu'il appela le test du titre,
les invitant à titrer six de ses gravures. Parmi eux, Italo Calvino, Fritz Hundertwasser, Roberto Matta ou François Truffaut. L'ouvrage de la BnF reprend cette série publiée chez Éric Losfeld, et se clôt sur cette note rieuse, bien dans la manière d'un artiste qui tire une jubilation particulière du métissage des modes d'expression et des cultures.

Sylvie Lisiecki
* À l'École nationale supérieure d'architecture et des arts décoratifs de Bruxelles.

Les Impressions de Pierre Alechinsky
Éditions Bibliothèque nationale de France, 2005
Auteurs : Franck Bordas, éditeur et lithographe, Céline Chicha, conservateur au département des Estampes et de la photographie de la BnF, Antoine Coron, directeur de la Réserve des livres rares de la BnF, Gérard Macé, écrivain, Marie-Françoise Quignard, conservateur en chef à la Réserve des livres rares de la BnF, chargée des livres contemporains. Avec un texte de Pierre Alechinsky.
144 pp., dont 80 illustrées en couleurs, 40 €