La recherche à la BnF
Le Conseil scientifique, maillon stratégique du dispositif de recherche
  Georges Vigarello, professeur à l'université Paris V, directeur d'études à l'École pratique des hautes études en sciences sociales, président du Conseil scientifique de la BnF, dévoile aux lecteurs de Chroniques les missions de cette instance et en définit les perspectives.
  Chroniques : Vous présidez le Conseil scientifique de la BnF. Quelles en sont les missions et la composition ?



Georges Vigarello
© David Carr/ BnF
Georges Vigarello : Cette institution a été créée par décret en 1977 pour donner "son avis sur les orientations et les thèmes de recherche" de la Bibliothèque, confirmant que ces activités constituaient une des missions fondamentales de l'établissement. En 1994, le décret fondateur de la Bibliothèque nationale de France (3 janvier) en a défini plus précisément les contours : "La Bibliothèque conduit des programmes de recherche en relation avec le patrimoine dont elle a la charge, particulièrement sur la bibliothéconomie." Le rôle du Conseil, qui se réunit trois à quatre fois par an,
est essentiellement d'accompagner la BnF vers une plus grande ouverture au monde de la recherche, de donner des avis sur des sujets précis, programmes de recherche ou sélection de candidatures de chercheurs, de les orienter, de présenter des propositions, d'ouvrir des débats et de favoriser la mise en valeur des résultats de la recherche par leur diffusion dans des publications scientifiques. L'éventail de la composition du conseil, regroupant à la fois des personnalités occupant une position administrative décisionnelle, des représentants d'institutions scientifiques ou documentaires françaises et étrangères ainsi que des représentants élus du personnel de la BnF, est le socle sur lequel s'appuie le développement des activités de recherche.

Ch : Qu'entend-on par recherche dans une bibliothèque nationale ?

G. V. : Il est évident que la recherche dans les activités d'une bibliothèque a des caractéristiques précises. Elle doit rendre compte de l'impérieux besoin d'intégrer des procédures de dénombrement, de catalogage, conçues dans la longue durée. Elle doit aussi faire participer ces procédures très spécialisées à l'interprétation d'une culture, celle dont témoignent les objets recensés. Pour qu'il y ait recherche, autrement dit, il faut qu'au-delà du seul dénombrement soient favorisés les "mises en relation", l'instrumentation des visions larges, l'enrichissement des démarches d'interprétation, d'évaluation, de mise en perspective des documents, tous "procédés" participant à la longue chaîne d'accroissement des connaissances, comme à la compréhension d'une culture et d'un temps. C'est le cas quand, à partir de l'élaboration d'un outil de signalement d'un fonds particulier, le degré d'expertise atteint un niveau tel que les documents de ce fonds deviennent objets d'analyses comparatives, de commentaires, d'explications renouvelant les connaissances du champ. Le savoir ainsi acquis sert alors les bibliothèques, les chercheurs, le public.
Un des rôles du Conseil scientifique est d'orienter la réflexion et la sélection de travaux de recherche : ceux allant précisément au-delà de la seule juxtaposition des objets recensés. Autant dire que ces recherches peuvent englober des domaines très divers, parfois très spécifiques aux bibliothèques, comme celui de la conservation, laquelle peut concerner aussi bien la chimie des encres que la fiabilité des supports numériques, parfois plus larges, sinon "universels", lorsque les investigations portent, par exemple, sur des corpus ou des fonds patrimoniaux clairement identifiés. D'où l'extrême diversité, sinon l'hétérogénéité, d'un champ où se côtoient les expérimentations sur la composition des papiers, les analyses sur un fonds d'illustrateurs ou de graveurs, les éditions critiques d'œuvres ou de regroupements d'œuvres, les prospections sur les pratiques de lecture ou de fréquentation de bibliothèques...

Ch : Les orientations actuelles de la politique de recherche de la BnF vous paraissent-elles aller dans le sens d'une plus grande ouverture au monde de la recherche ? En quoi peuvent-elles être encore améliorées ?

G. V. : Les différents volets déclinant ce dispositif de recherche, sur lesquels je ne reviendrai pas puisqu'ils sont largement développés dans ce dossier, vont très certainement dans le bon sens. Le Conseil scientifique encourage la BnF au développement de partenariats multiples, de niveaux d'ambition très variables, mais toujours destinés à favoriser une plus grande ouverture vers le monde de la recherche. Toute forme de coopération avec des grands organismes de recherche comme le CNRS, les universités, les instituts spécialisés, est à privilégier. Des conventions existent aujourd'hui avec ces organismes autorisant les échanges les plus fructueux : une dizaine d'entre elles peuvent être recensées, régulièrement renouvelées. Se poursuivent par ailleurs les recherches pratiquées depuis longtemps par certains personnels scientifiques de la Bibliothèque, travaux servant à la mise en valeur de fonds, éditions de catalogues critiques, répertoires, inventaires approfondis, identifications, analyses, commentaires d'objets ou de documents patrimoniaux. Ces recherches sont l'objet d'un programme triennal, financé sur fonds propres par la BnF. Certaines d'entre elles sont suffisamment importantes pour être prolongées d'un programme à l'autre. Mais des initiatives récentes favorisant des travaux de chercheurs extérieurs à la bibliothèque sont à retenir et à souligner : il s'agit d'un "Appel à chercheurs", ouvert depuis 2003 aux étudiants français et étrangers de 2e ou 3e cycle.
Les chercheurs associés de la BnF, sélectionnés au nombre de huit à dix par année, pour une durée d'un an renouvelable une fois, bénéficient d'avantages divers au sein de la Bibliothèque, d'une assistance, d'un suivi, d'une aide à publication. Leurs investigations portent sur les collections de la BnF ou son organisation, concourant à la connaissance plus approfondie de celles-ci, comme à leur valorisation. L'Appel à chercheurs concorde avec l'année universitaire et permet d'accueillir les nouveaux chercheurs en octobre de chaque année. Un soutien financier de dix mille euros est en outre accordé à deux d'entre eux qui bénéficient du statut de chercheur invité. S'y ajoute le lancement récent d'une bourse de recherche sur la photographie créée avec le soutien financier de Champagne Louis Rœderer.
Le Conseil scientifique doit certainement peser, par ses avis et ses orientations, sur les choix à privilégier pour que l'ensemble des secteurs de recherche, ceux allant de l'histoire et l'analyse des documents de la BnF aux sciences du livre et des bibliothèques, soient pris en compte. Il lui revient aussi d'aider à la mise en valeur de travaux que la nature même de la recherche rend quelquefois peu visibles ou discrets. Assurer le bon déroulement, voire la notoriété de ces activités reste une des préoccupations constantes du Conseil. Plusieurs objectifs demeurent présents et sont l'objet d'un développement possible : définir et approfondir toujours davantage le périmètre de la recherche dans une bibliothèque, notamment par rapport aux travaux scientifiques dits "courants", accroître le nombre de travaux de valeur susceptibles de recevoir une aide, obtenir le concours de forces nouvelles pour vivifier la place de la BnF dans le monde de la recherche.
Je dois dire que le consensus éprouvé au sein du Conseil et la manière dont celui-ci collabore avec l'ensemble du personnel de la BnF donnent à cet égard de vraies assurances.

Propos recueillis par Marie-Noële Darmois