La recherche à la BnF - Le plan triennal de la recherche 2004-2006
Département des Manuscrits
Les incipit dans la littérature latine du Moyen Âge
 
Qui ne connaît la phrase célèbre : "Longtemps je me suis couché de bonne heure..." ouvrant À la recherche du temps perdu ? Mais sait-on qu'au Moyen Âge, le début d'un texte était le repère le plus sûr pour identifier une œuvre ?
On sait que l'invention du titre est relativement récente. La notion d'auteur, elle-même, est souvent restée floue, sauf pour les auteurs les plus importants, classiques ou Pères de l'Église. Encore faut-il nuancer : quantité de traités ont, par exemple, été attribués à de grands auteurs comme saint Augustin, que seules les techniques modernes de la critique textuelle permettent d'identifier.
Ainsi dans le maquis des œuvres de cet immense auteur, les éditeurs successifs depuis le XVIIe siècle, ont été amenés à trier les authentica, des dubia, et des spuria, dont les véritables auteurs ont parfois été dévoilés.

Le mode de circulation par copies manuscrites successives a également favorisé une lecture des œuvres à la carte, selon les besoins spécifiques des lecteurs, qui a privilégié à la fois l'émiettement et la recomposition des textes, comprenant ajouts et variantes. Avec l'imprimerie, on s'est engagé dans une longue voie vers la normalisation des auteurs et des œuvres, jusqu'au projet utopique d'une agence bibliographique universelle. Mais paradoxalement le phénomène observé à l'époque médiévale se retrouve à notre époque, avec la circulation brouillonne et sans contrôle des œuvres d'expression écrite sur Internet. Après la chute de la civilisation romaine, le latin est resté de longs siècles la seule langue écrite.
Pour se repérer parmi les milliers d'œuvres produites en langue latine, il fallait trouver un fil d'Ariane, indépendant de l'auteur et du titre. Dès le XVe siècle, les bibliothécaires ont eu l'idée de préciser, pour les œuvres anonymes, les premiers mots du texte. C'était la naissance de la notion d'incipit, comme ensemble des mots qui forment l'entrée en matière. Cette entrée dans le corps du texte ne doit pas être confondue avec le titre. L'utilité de l'incipit pour l'identification du texte, disparue avec l'imprimerie, a été retrouvée dès le XVIIe siècle par les moines de Saint-Germain-des-Prés qui se lancèrent les premiers dans l'édition de grands corpus de textes patristiques.
Au cours du XXe siècle, à mesure que se multipliaient les entreprises de recensement bibliographique des œuvres latines et les catalogues de manuscrits des collections publiques, des listes d'incipit ont été dressées de manière systématique. Plusieurs générations de chercheurs, bibliothécaires, étudiants vacataires, ont copié à la plume puis au stylo sur des fiches de bristol les précieuses données puisées sur les manuscrits mêmes, dans les catalogues ou dans les publications savantes. Ainsi se sont constitués d'énormes fichiers contenant dans l'ordre alphabétique les incipit des œuvres latines accompagnés de références bibliographiques et/ou de la cote des manuscrits qui les contiennent.

Pour la France, on connaît deux principales entreprises, l'une au service du catalogue latin du département des Manuscrits de la BnF et l'autre à l'Institut de recherche et d'histoire des textes dépendant du CNRS (IRHT). L'informatisation a apporté, depuis une quinzaine d'années, de profonds bouleversements dans l'étude des textes,
mais l'intérêt des incipitaires demeure essentiel, pour identifier les innombrables textes non publiés et étudier la diffusion des œuvres à travers les manuscrits.
C'est pourquoi la BnF s'est associée, en 2001, avec la maison d'édition Brepols, pour intégrer les données de son fichier d'incipit dans la base en ligne In Principio, déjà constituée avec les ressources de l'IRHT et de la Hill Monastic Library (USA). Le programme consiste en la saisie informatique des fiches manuscrites, avec vérifications bibliographiques, relecture et corrections. Ce travail érudit est assuré par la petite équipe de conservateurs du catalogue latin aidée d'un vacataire. En quatre ans, cent mille incipit ont été versés et sont déjà accessibles aux chercheurs ; cent trente-cinq mille sont prévus pour la fin du programme. L'interrogation de la base peut se faire sur tous les postes publics de la BnF. Elle permet de rechercher par mots de l'incipit, par auteur, par œuvre et aussi par bibliothèque et par cote de manuscrit. L'apport du fichier de la BnF revêt un intérêt majeur qu'il convient de souligner : constitué à partir de sources bibliographiques extrêmement variées dans toutes les langues européennes, il apporte sur les manuscrits latins de la BnF une masse d'informations qui en font un complément indispensable aux catalogues déjà existants.

Marie-Françoise Damongeot