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La Bibliothèque nationale
de France est entrée en relation dès 1975 avec
Jean et Albert Séeberger, alors que les deux frères
étaient sur le point de mettre fin à leur entreprise
photographique, qui avait débuté en 1909. Histoire
d'un patrimoine heureusement préservé.
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L'entreprise photographique Séeberger,
ce fut d'abord le fait de trois frères – Jules
(1872-1932), Louis (1874-1946) et Henri (1876-1956) –
puis de deux neveux, les fils de Louis, Jean (1910-1979) et
Albert (1914-1999), qui rejoignirent l'entreprise en 1927 et
en 1930. De cette spécialité familiale, la photographie
de mode, subsistaient 60 000 négatifs et leurs tirages,
réalisés entre 1909 et 1977. Soucieux que cet
ensemble, jusque-là soigneusement préservé,
ne soit ni perdu ni dispersé, les frères Séeberger
s'entendirent avec la Bibliothèque nationale qui fit
ainsi l'acquisition d'un ensemble considérable et en
tous points précieux. Si l'on se réfère
aux courriers échangés alors et aux arguments
avancés pour cette acquisition, l'intérêt
semblait avant tout documentaire, car il s'agissait de rassembler
une iconographie complète sur l'histoire de la mode au
XXe siècle. De fait,
on tenait là un ensemble sans équivalent : des
prises de vue uniquement en extérieur jusqu'en 1939 puis,
après la Libération, une production en studio
et en décors naturels.
La différence entre l'avant et l'après Seconde
Guerre mondiale est fondamentale: avant la guerre, il s'agit
de reportages. Les frères Séeberger enregistrent
des événements mondains où les dernières
créations de la haute couture sont portées par
les invitées et si des mannequins, envoyés par
les couturiers, se mêlent à ces élégantes,
il n'est pas toujours facile de les distinguer des vraies clientes.
Après 1945, en revanche, il s'agit de séances
de prises de vue en studio ou en extérieur mais avec
des mannequins choisis et des vêtements prêtés
en fonction des commandes.
La production des Séeberger jusqu'en 1939, que présente
l'exposition en quelques centaines d'images, revêt donc
aux yeux du conservateur un contenu plus riche et varié.
Souvent prises sur le vif – comme le permettait alors
la photographie instantanée – ces vues étaient
réalisées au moyen d'un appareil portable fonctionnant
avec des négatifs sur plaques de verre (13 x 18 cm).
À partir de 1935, les Séeberger firent l'acquisition
d'un Rolleiflex, doté de négatifs souples. Il
est d'autant plus intéressant d'avoir réuni un
ensemble homogène sur ce sujet que, si les Séeberger
faisaient preuve d'une remarquable stabilité dans leur
organisation professionnelle et privée, tout bougeait,
tout basculait autour d'eux comme jamais…
Le même Henri Séeberger photographiait en 1909
des femmes corsetées dans des robes à traîne,
écrasées de chapeaux surdimensionnés, puis
moins de trente ans après, leurs filles, estivantes aux
cheveux libres, très à l'aise en maillots de bain
deux-pièces. Pour rendre compte du bouleversement sans
précédent des codes vestimentaires, nous disposons
ainsi d'images des mêmes types de personnes, prises dans
les mêmes lieux, par les mêmes photographes.
Les débuts de la photographie
de mode
Au début du XXe siècle, coexistaient
deux approches de la représentation de la mode par la
photographie. La revue de luxe, Les
Modes, publiait des portraits très soignés,
la plupart mis en couleurs, de femmes de la haute société
ou d'actrices posant en studio dans des toilettes créées
par de grands couturiers. Ces portraits portaient la signature
de grands studios tels ceux de Reutlinger
ou de Manuel. Dans l'entre-deux-guerres,
seuls Vogue et
Harper's Bazaar perpétuèrent la grande
tradition du portrait de mode, en publiant des photographies
de personnalités mondaines arborant des toilettes de
grands couturiers.
La revue Fémina innova
en 1901 avec les premières photographies de femmes sur
les champs de courses. L'idée plut et, dès 1902-1903,
des revues à grand tirage se mirent à publier
régulièrement des photographies d'élégantes,
d'abord aux courses, puis dans les stations balnéaires
et les lieux où se donnait rendez-vous la haute société
cosmopolite.
Ils répondaient ainsi à une curiosité de
plus en plus perceptible chez leurs lectrices : car on voulait
se rendre compte non seulement de ce que les couturiers proposaient
à leurs riches clientes mais aussi de ce qui se portait
réellement dans ce monde élégant.
Cet appétit de "vêtements réels"
fut exploité tout d'abord par des photo-reporters, amateurs
obscurs dont la postérité n'a pas retenu les noms.
Lorsque Jules et Henri Séeberger proposèrent leurs
premières photographies, prises aux courses, à
Mme de Broutelles qui devait
les publier dans sa revue La Mode pratique
en mai 1909, ils ne faisaient que reprendre un procédé
datant déjà de plusieurs années. S'il est
donc abusif de classer les Séeberger parmi les précurseurs
de la photographie de mode – laissons cet apanage aux
Paul Nadar, Reutlinger
ou au baron de Meyer –
il faut les compter parmi les virtuoses de l'instant de mode.
Les conditions de prises de vue des Séeberger étaient
celles du photo-reportage et n'avaient rien à voir avec
les œuvres de studio, perpétuées dans les
années 1920/1930 par Horst, Hoyningen-Huene
ou Man Ray.
Pourtant leurs images étaient publiées dans les
mêmes revues, Vogue, Harper's
Bazaar, Jardin des Modes,
Femina… mais dans d'autres
rubriques dont l'équivalent existait dans des titres
plus généralistes comme L'Illustration,
Vu, Excelsior.
C'étaient des doubles pages de chroniques en images –
avec des commentaires détaillés sur les personnalités
et leurs toilettes, les points forts et les hauts lieux de la
saison : surtout et d'abord les courses hippiques, mais aussi
des villégiatures élégantes comme Deauville,
Cannes, Biarritz, Saint-Moritz. En vignettes recadrées
ou détourées, apparaissaient de nombreuses images
prises le même jour : lieux, et noms des célébrités
et des couturiers formaient ainsi une manière de roman-photo
passionnant aux yeux des lecteurs.
Ce "concept" qui excitait au plus haut point la curiosité
et l'imagination s'est révélé inusable
: il perdure aujourd'hui,
dans nombre de magazines de mode et d'actualité quoiqu'il
soit moins systématiquement lié à la haute
couture qu'à l'actualité mondaine et culturelle.
Une riche iconographie
Aussi ces milliers d'images, prises à la volée
par les Séeberger de 1909 à 1939, composent-elles
une documentation sans pareille dont l'exposition de la BnF,
et son catalogue détaillent les multiples facettes.
Sur l'histoire de la mode, particulièrement riche à
une époque qui vit un changement complet dans la façon
de s'habiller et de se tenir, ces images constituent une iconographie
si abondante qu'on ne peut en présenter ici qu'un aperçu.
Ont également été sélectionnés
pour l'exposition des portraits des grands couturiers comme
Poiret, Patou,
Chanel, Lanvin
ou Schiaparelli, posant devant
l'objectif à l'occasion d'un reportage dans leurs salons
ou mêlés à la foule de leur clientèle
dont ils partageaient désormais la vie et les loisirs.
Au fil des images, se dessinent la personnalité de quelques
grandes élégantes donnant le ton et devenant la
référence des magazines les plus exigeants, telles
Mme Arpels, Mme Revel
ou Mme Martinez de Hoz. Les accessoires
de mode (sacs, lunettes, chaussures, mais aussi fourrures, chapeaux,
animaux de compagnie) étaient mis en valeur à
la demande des journaux et fournissaient souvent le prétexte
à des images ou des gros plans réussis, souvent
drôles. L'ambiance de ces rendez-vous mondains et lieux
de villégiatures en vogue où évoluait le
who's who cosmopolite et chic,
est également très importante : les tribunes et
pesage des champs de course, Deauville l'été,
Cannes au printemps, Biarritz en septembre, Saint-Moritz lors
des fêtes de fin d'année.
Piscines, bars, plages, avenues élégantes, halls
de palaces et champs de neige constituent autant de décors
pour mettre en valeur les tenues et les heureux mortels qui
les portent…
et enfin, bien entendu, les personnalités elles-mêmes.
Car les Séeberger n'ont pas seulement photographié
des toilettes, ils ont aussi photographié des célébrités.
De Charlie Chaplin à
André Citroën, en passant par
Suzy Solidor, Georges Carpentier,
Mistinguett, le roi
Alphonse XIII, les Rothschild,
Josette Day, Simone
Berriau, Jacques-Henri Lartigue…
le kaléidoscope mondain qu'ils nous proposent est étourdissant.
Sylvie Aubenas
et Xavier Demange |
Les Séeberger, photographes
de l'élégance (1909-1939)
27 juin – 3 septembre 2006
Site Richelieu – Galerie de Photographie
Plein tarif : 7€ – Tarif réduit : 5 €.
Avec le soutien de Champagne Louis Roederer.
En partenariat avec France-Info
et Paris Première
Commissariat : Sylvie Aubenas,
conservateur en chef au dépt. des Estampes et de la photographie
et
Xavier Demange, historien |
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