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La BnF, qui conserve l'ensemble de la correspondance
de Michel Butor, des manuscrits et de nombreux livres créés
avec des artistes, organise une exposition conçue comme
un voyage autour de ce grand écrivain de notre temps,
qui aura 80 ans cette année.
Entretien avec l'un des expérimentateurs les plus célèbres
de la littérature contemporaine.
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Chroniques
: Michel Butor, les voyages ont toujours eu une grande
importance dans votre vie,
et semblent vous avoir conduit de plus en plus loin…
Que vous apportent-ils personnellement, et en quoi sont-ils
liés à votre activité d'écrivain
?
© Louis Monier/BnF |
Michel Butor : Les voyages m'ont
ouvert les yeux ; ils continuent. Je reviens de New York où
je suis déjà allé maintes fois, mais c'est
toujours nouveau. C'est cette distance que je m'efforce de faire
sentir. Donc parfois, c'est pour écrire à son
sujet que je retourne dans un pays. Il me faut parfois de nombreux
voyages. Ainsi, j'ai eu besoin de temps et d'un recul multiplié
pour arriver à parler un peu du Japon ou de l'Australie.
Au moment où j'écrivais
La Modification, je suis allé plusieurs fois à
Rome pour mieux rentrer dans mon sujet. Certes les livres et
les images m'apportent beaucoup, mais j'ai besoin de me plonger
dans le lieu même, surtout quand j'ai l'impression qu'il
y a quelque chose de nouveau à en dire.
Ch : Certains
de ces voyages ou séjours
vous ont particulièrement marqué :
l'Égypte, les États-Unis, l'Australie,
peut-être l'Extrême-Orient. Ont-ils
changé quelque chose dans votre
conception de l'écriture et du livre ?
M. B. : Le livre est tellement
essentiel pour moi que tout voyage devient une méditation
sur lui. Ainsi lors de mon premier voyage au Japon, j'ai été
fasciné par un certain nombre de classiques de l'art
japonais qui sont sous forme de rouleaux. Au retour, j'ai imaginé
avec des amis des livres sous cette forme. Nous avons fait aussi
des éventails. Mes voyages ultérieurs au Japon
et en Chine n'ont fait qu'approfondir cette influence. Quant
à l'Égypte, je m'y suis trouvé en relation
avec deux écritures remarquables et très différentes
de la nôtre : l'arabe que j'ai lentement appris à
déchiffrer, car il me fallait bien connaître quelques
mots de la langue courante pour survivre, et les hiéroglyphes
de l'antiquité.
Aux États-Unis, c'est sans doute surtout la présence
atmosphérique de la publicité, tout ce qui déjà
dans les années soixante annonçait la révolution
de la Toile. Quant à l'Australie des Aborigènes,
si elle ne comportait pas à proprement parler d'écriture,
les peintures et les rites la remplaçaient en confrontation
avec le désert, désert différent de ceux
que j'avais déjà rencontrés en Égypte
et dans une bonne partie des États-Unis.
Ch : Parmi
tous les textes que vous avez écrits, il en est quelques-uns
qui sont plus étroitement liés au voyage et à
l'évocation des pays traversés: les cinq volumes
consacrés à ce que vous appelez le "Génie
du lieu". Comment les définiriez-vous, et quelle
est leur place dans votre
travail ?
M. B. : Ce sont d'abord des textes
de critique géographique. On peut écrire de la
critique littéraire pour montrer ce qu'un écrivain
apporte de particulier, en quoi il est irremplaçable
pour nous, en quoi il faut venir ou revenir à lui. On
peut écrire de la critique d'art ; on s'efforce alors
de mettre en évidence le "génie" d'un
peintre, ce qui le distingue de tout autre ; ce peut être
la même chose pour un sculpteur, un graveur, un photographe,
un architecte, un musicien. Il ne s'agit d'ailleurs pas forcément
d'individus. On peut tenter de définir et dévoiler
l'esprit d'un siècle, d'un règne,
d'une période : la musique élisabéthaine,
la dix-huitième dynastie, le Brésil colonial.
De même, on peut tenter d'élucider le génie
d'un lieu : site, ville, province, nation, continent…
À partir d'une certaine période, et corrélativement
avec la multiplication de mes voyages, ces recherches sont devenues
centrales dans ma vie et dans mes livres.
Ch : Vous
avez activement contribué à l'élaboration
de la thématique de l'exposition de la BnF,
et de son plan, conçu comme un voyage à travers
votre œuvre, ponctué par treize étapes.
Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
M. B. : Ce sont les organisateurs
de l'exposition eux-mêmes qui m'ont suggéré
de relier des lieux à des thèmes, et de les illustrer
par des livres en quelque sorte emblématiques. Cela a
donné des ensembles de trois éléments,
par exemple, Degrés :
la ville de Paris, les études ou bien,
Portrait de l'Artiste en jeune singe : l'Allemagne, les
bibliothèques. Il aurait pu y avoir davantage de ces
ensembles, mais il fallait se limiter. Ils apparaissent en gros
dans un ordre biographique :
j'ai fait mes études à Paris, je suis allé
en Allemagne avant d'aller en Égypte, puis en Angleterre…
mais seulement en gros, car je suis retourné un certain
nombre de fois dans ces régions et tout cela s'est entrecroisé
formant un réseau très serré.
Ch : L'"écriture
nomade" de Michel Butor n'est pas seulement celle d'un
écrivain qui voyage…
Quelles autres significations y voyez-vous ?
M. B. : C'est le rêve d'une
écriture qui se renouvellerait constamment, ne s'installant
jamais que provisoirement dans un lieu, même si on a bien
l'intention d'y revenir.
C'est une impatience par rapport aux frontières qui me
fascinent mais qu'il me faut trouver le moyen de traverser.
Il ne s'agit pas seulement des frontières entre les États,
mais de celles entre les arts, les sciences, toutes les activités
de l'esprit.
Il s'agit d'établir et de maintenir une circulation aussi
généreuse que possible.
Propos
recueillis par Marie Odile Germain
et Marie Minssieux-Chamonard |
Michel Butor, l'écriture
nomade
20 juin – 27 août 2006
Site François-Mitterrand – Petite Galerie - Hall
Est
Entrée libre
Commissariat : Marie Odile Germain,
conservateur en chef, dépt. des Manuscrits et Marie
Minssieux-Chamonard, conservateur à la Réserve
des livres rares |
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