Événement > Joseph Kosuth © ADAGP 2012 — Photo David Paul Carr/BnF Joseph Kosuth illumine les mots de Foucault L’artiste américain Joseph Kosuth, père de l’art conceptuel, a créé pour la BnF, à la demande de Bruno Racine, une œuvre qui s’insère avec bonheur dans le bâtiment de Dominique Perrault : une phrase de Michel Foucault en lettres de néon blanc qui rayonnera au sommet des tours. Entretien croisé. Chroniques : Comment est né ce projet ? Joseph Kosuth : Je travaille depuis quarante ans sur le langage et sur la relation du langage avec son contexte, et l’architecture en fait partie. Le monde des bibliothèques est un monde qui m’est très proche, et faire une œuvre pour la BnF est en quelque sorte le couronnement de mon travail. Bruno Racine : Je pensais depuis longtemps à une intervention artistique pour singulariser le bâtiment de la bibliothèque François-Mitterrand dans le paysage parisien. Son architecture appelait une création dans le même esprit que l’œuvre de Dominique Perrault, c’est-à-dire abstraite, rigoureuse, et qui manifeste la fonction du bâtiment. Joseph Kosuth était l’artiste idéal pour ce projet. Pourquoi avoir choisi cette phrase de Michel Foucault ? J. K. : Je ne travaille qu’avec des citations d’auteurs qui ne sont plus vivants. Car sinon, comme la pensée continue à évoluer, rien ne peut être fi xé. Quand cette invitation m’a été faite, j’ai tout de suite pensé à cette phrase. Ensuite j’ai continué longtemps à réfléchir, mais j’ai fi ni par revenir à ma première intuition, selon un processus qui m’est familier. Et bien sûr, cette phrase convient parfaitement à la Bibliothèque. B. R. : Le concept de l’œuvre est très simple, mais cette simplicité est Michel Foucault, et la coïncidence est saisissante ! Joseph Kosuth, vous êtes souvent intervenu dans des espaces publics. Quel sens cela a-t-il pour vous ? J. K. : Dans un musée, il y a un engagement fort de la part du public qui en a franchi le seuil et a choisi d’être là. Alors qu’un espace public, quel qu’il soit, fait partie de la vie quotidienne des gens. De ce fait, je m’implique diff éremment ; je suis tenu de trouver un point d’entrée pour toucher le spectateur. La plupart du temps, dans les manifestations culturelles, le spectateur est mis dans une situation de consommateur passif. Pour ma part, je souhaite que quelqu’un qui regarde mon œuvre se sente concerné et soit incité à penser, qu’elle ne soit pas seulement destinée à l’œil mais soit une interface entre son œil et son cerveau. Mon projet répond à l’architecture de ce bâtiment. Ce sont quatre livres ouverts et c’est pour cette raison que le texte s’inscrit à l’intérieur des tours et non à l’extérieur, de sorte que le livre commence et ne se fi nit pas ; la phrase fonctionne aussi comme le début d’une conversation qui va se poursuivre dans la bibliothèque, avec les millions de livres qui y sont conservés. Propos recueillis par Sylvie Lisiecki © Olivier Roller/Fédéphoto « Au moment où le langage, comme parole répandue, devient objet de connaissance, voilà qu’il réapparaît sous une modalité strictement opposée, silencieuse, précautionneuse déposition du mot sur la blancheur du papier, où il ne peut avoir ni sonorité ni interlocuteur, où il n’a rien d’autre à dire que soi, rien d’autre à faire que scintiller dans l’éclat de son être. » Michel Foucault, L ES MOTS ET LES CHOSES contrebalancée par le côté un peu énigmatique de la phrase – encore que sa signification soit claire si l’on y réfléchit un peu. Joseph Kosuth ignorait en proposant cette citation que la Bibliothèque avait pour objectif d’acquérir les archives de En haut Préfiguration de l’œuvre sur la Tour des Nombres Ci-dessus Joseph Kosuth Chroniques de la BnF – n°65 – 17