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madeleine jégouzo, lettres d’Auschwitz
À la suite du fonds Charlotte Delbo, les archives de Madeleine Jégouzo (1914-2009), résistante et déportée à Auschwitz, ont rejoint les collections de la BnF.
Sous la plume de Charlotte Delbo, dans Le Convoi du 24 janvier, elle est Lucienne ou Odette, surnommée Betty. De part et d’autre de la ligne de démarcation, elle est Gervaise, Monique ou « Ongles rouges ». Membre du parti communiste dès 1936, puis agent de liaison des Francs-Tireurs Par tisans, Madeleine Jégouzo multiplie les fausses identités pour organiser les forces anti-nazies aux côtés de Jacques Duclos et d’Arthur Dallidet. C’est sous le nom de Lucienne Langlois qu’elle est arrêtée à Paris, en mars 1942. Du Fort de Romainville où elle est emprisonnée, elle parvient à communiquer avec sa famille et les camarades du Parti. De l’écriture la plus serrée possible, sur les emballages papiers des vivres donnés par les Quakers, elle demande des vêtements chauds, des médicaments, de la nourriture à partager avec celles qui ne reçoivent rien de l’extérieur. Elle écrit l’organisation mise en place pour la survie avec ses codétenues, Danielle Casanova et Marie-Claude VaillantCouturier, leur solidarité, leurs inquiétudes sur le sort des hommes arrêtés avec elles. Parmi eux, le compagnon de Madeleine, Lucien Dorland, qu’elle croit déporté en Allemagne avant d’apprendre qu’il a été fusillé au MontValérien : « Mes petits chéris, je vous envoie ce petit mot il est bien triste car j’ai appris une cruelle nouvelle, j’ai passé une triste semaine, Lucien chéri a été fusillé le 21 septembre avec ses c[amara]des dans les 116, aussi tu ne peux pas savoir la peine immense que j’ai […]. Je fais
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Portrait de Madeleine Jégouzo, Suède, 1945, archives Yves Jégouzo
ci-dessous
BnF, Manuscrits
Lettre de Madeleine Jégouzo, fin 1942-début 1943
de gros efforts pour ne pas laisser couler mes larmes, tu ne sais pas comme je souffre à l’idée de ne plus revoir mon cher compagnon de lutte et mon tendre ami, il était si gentil mon cœur se serre, je l’aimais tellement, je revois son départ le matin à 6 heures, il avait le sourire et lui il savait qu’il partait à la mort […]. Lui qui, sur ses dernières lettres durant son séjour ici, avait tant fait de projets de bonheur, il était si enthousiasmé, et pourtant il savait qu’il aurait beaucoup de peine à s’en sortir à moins de s’évader ; les bourreaux n’aiment pas la jeunesse française et encore moins celle-là […]. Je viens d’apprendre sa dernière inscription sur les murs de la casemate : “Nous sommes 46 qui attendons la mort, sans regret aucun, avec fierté et courage” ». Des dizaines de mots sortis clandestinement du Fort, jusqu’au départ du convoi dit des « 31 000 », le 24 janvier 1943. À Auschwitz, presqu’un an s’écoule avant qu’elle puisse de nouveau écrire à sa famille, en allemand cette fois et toujours sous le nom de Langlois. Des lettres que sa famille gardera précieusement, ainsi que leur traduction et les récépissés de chaque colis envoyé en Allemagne. Grâce au don de son fils Yves Jégouzo, ces archives rejoignent aujourd’hui le département des Arts du spectacle de la BnF, qui conserve déjà le fonds Charlotte Delbo.
Mileva Stupar
14 – Chroniques de la BnF – no 67
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