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Søren Kierkegaard : lectures francophones
Philosophe, théologien, poète, critique littéraire, la figure de Søren Kierkegaard (1813-1855) n’en finit pas d’interpeller les penseurs contemporains. La BnF célèbre le bicentenaire de sa naissance en organisant un colloque consacré aux lectures francophones de son œuvre.
Bien qu’en France la réception de l’œuvre de l’écrivain danois ait été tardive et soit restée longtemps confidentielle – elle fut rendue possible grâce au travail sans relâche de quelques traducteurs* –, son influence sur la philosophie et la littérature françaises fut décisive. Cette œuvre dense, aux confi ns de la poésie, de la philosophie et de la théologie, use de tous les tons et de tous les genres littéraires (l’essai, le pamphlet, l’écrit pour l’édification, le roman), successivement comme simultanément. L’écriture de Kierkegaard se renouvelle sans cesse pour explorer de multiples manières de dire et de s’adresser à chacun. Kierkegaard fut bien d’abord un philosophe, analyste précis de la pensée de Hegel – qu’il aff ronta et discuta –, du christianisme – qu’il chercha à comprendre philosophiquement – et d’une époque dont il comprit, avant tout autre, les folies en germe : montée d’irrationalismes, faillite des systèmes de médiations, excès de toutes sortes d’un monde privé de ses ancrages. Théologien, penseur du christianisme, Kierkegaard propose une saisie conceptuelle de l’être chrétien. Il influence en cela une théologie qui ne cherche plus à rendre Dieu intelligible dans l’horizon des catégories de la métaphysique classique, mais à prendre la mesure de ce qu’implique la relation du chrétien à l’infi ni. L’œuvre de Kierkegaard trouve son audience en Europe à partir de la première moitié du xxe siècle. En France, en particulier, son aura est immense et a très fortement marqué des pensées souvent étrangères au souci chrétien qui pourtant l’animait. Kierkegaard a ainsi contribué à introduire, en philosophie, la catégorie de l’individu singulier. Celui-ci est envisagé dans
son existence concrète, inscrit dans des situations qui l’engagent, comme le comprendront Heidegger, Sartre, Gabriel Marcel ou Merleau-Ponty. La radicalité dont Kierkegaard fait preuve, en cherchant à penser un moi isolé et insondable, trouve elle aussi un écho considérable dans la pensée française de la seconde moitié du xxe siècle, à travers les recherches de Michel Henry, d’Emmanuel Levinas, Jacques Derrida, ou plus récemment d’Alain Cugno. Un visionnaire de l’expression de la pensée Mais le penseur danois fascine, et son œuvre dérange ceux qui voudraient faire de lui le chef d’une école : même si on l’a présenté (sans doute à tort) comme l’ancêtre de l’existentialisme et de l’absurde, il n’a enseigné aucune doctrine (si l’on excepte le christianisme). Par-delà toutes les théories, Kierkegaard accorde une place capitale à la communication ; le comprendre donne tout son sens aux divers chemins que prend son œuvre. Car il fut aussi un visionnaire dans sa façon de concevoir l’expression de la pensée. La sienne se déploie à travers de nombreux pseudonymes (Victor Eremita, Climacus, Johannes le Silencieux) qui expriment autant de positions à l’égard de l’existence, de l’éthique et de Dieu. Il prend au sérieux le rapport du discours à la forme que celui-ci prend ainsi qu’au contexte dans lequel il s’insère, anticipe ses horizons d’attente et ses modalités de réception. Pour cela, il fascina aussi bien Lacan que les post modernes que sont Deleuze, Lyotard et Foucault, qui pensèrent trouver en lui un précurseur.
Anna Svenbro et Florian Forestier
* L’œuvre de Paul-Henri Tisseau et de sa fi lle Else-Marie, notamment, est monumentale.
Ci-dessus
Colloque « Kierkegaard : lectures francophones »