Les acquisitions de la BnF - Les archives du futur
  Depuis six mois, la BnF mène une active politique de collecte de manuscrits de littérature de science-fiction jusqu’alors peu présents dans ses collections.
 
Carnet préparatoire du roman de Laurent Genefort
Carnet préparatoire du roman de Laurent Genefort, Les Engloutis, 1999 © BnF/Dépt. des Manuscrits
  Depuis plus d'un siècle, la littérature contemporaine a fait son entrée dans les collections du département des Manuscrits. Cependant la littérature d'anticipation et de science-fiction n'y était que peu présente. C'est à grand peine qu'on pourrait en citer quelques exemples, tels la correspondance de Jules Verne avec l'éditeur Hetzel, L'Ève future (1886) de Villiers de L'Isle-Adam, l'Histoire de quatre ans (1903) de Daniel Halévy, L'Homme coupé en morceaux (1921) de Pierre Albert-Birot, La Poupée sanglante (1924) de Gaston Leroux, ou La Grande Beuverie (1939) de René Daumal.
Si le qualificatif de mauvais genre a longtemps pesé sur elle, la science-fiction apparaît néanmoins comme l'une des créations les plus originales du XXe siècle. Littérature spéculative qui se nourrit, entre autres, des évolutions scientifiques et interroge le présent comme le réel, la science-fiction définit un espace littéraire dont le spectre est extensible et intéresse autant le grand public que le monde universitaire. Partant de ce constat, il a semblé opportun de solliciter les écrivains ou leurs ayants droit et les éditeurs qui ont présidé et œuvré à sa création et à sa diffusion en France, de Jules Verne à nos jours.
L'idée rencontre un franc succès : grâce à la générosité des écrivains et au regard bienveillant des acteurs du fandom* de la science-fiction, un patrimoine multiforme jusquelà inexploré, qui ne se compose pas seulement de manuscrits d'œuvres et de correspondances, se constitue au sein des collections nationales.
Ainsi l'ayant droit de Jacques Spitz (1896-1963) a-t-il offert à la BnF un journal intime de plusieurs milliers de pages qui court de 1928 à 1962 ; Jean-Pierre Andrevon une cinquantaine de synopsis de romans inédits, du début des années 1960 jusqu'au milieu des années 1990 ; Louis Thirion des scénarios de pièces radiophoniques diffusées sur France Inter dans l'émission Au théâtre de l'étrange à la fin des années 1960 ; Laurent Genefort des carnets avec croquis pour ses romans de space opera comme La Mécanique du talion (2003), enfin Georges J. Arnaud la totalité des plans rédigés pour sa série de soixante-deux volumes, La Compagnie des glaces, dont la publication court de 1980 à 1992. Les manuscrits collectés illustrent l'infinie diversité et la richesse des thèmes de science-fiction.
Les voyages interplanétaires sont ainsi décrits dans Les Conquérants de l'univers, de Richard Bessière, qui inaugura en 1951 la collection "Anticipation" du Fleuve Noir. Claude Avice, connu sous le nom de plume de Pierre Barbet,
fait cas de l'uchronie – l'Histoire en si – et des mondes parallèles dans Rome doit être détruite (1983).
Gérard Klein
construit un Time Opera, voyage temporel, avec Les Tueurs de temps (1965). Le livre-univers Noô (1977), de Stefan Wul, pseudonyme de Pierre Pairault, se conçoit comme une création totale à l'image de Dune de Frank Herbert : un système-monde avec ses règles, son vocabulaire mais aussi son interprétation de l'univers. Philippe Curval, dans Cette chère humanité (1976), évoque un futur proche dominé par le Marcom, le marché commun en Europe. Jean-Marc Ligny souligne, quant à lui, dans Jihad (1998) les dangers de toute forme d'extrémisme.
Le Jeu des sabliers
de Jean-Claude Dunyach (1987-1988) est l'un des rares exemples français de science fantasy.
Pour élargir ce panorama, signalons enfin que l'écrivain anglais Michael Moorcock a donné une nouvelle du cycle de fantasy mondialement connu, Elric le Nécromancien, composée en août 2006 et intitulée A Portrait in Ivory.
La collecte de ces manuscrits de science-fiction n'est qu'une première étape.
La conservation, l'ouverture à la recherche et la valorisation en sont les prolongements naturels. Classés et catalogués dans les nouvelles acquisitions françaises, ils permettront d'enrichir les études de génétique des textes et d'éclairer une histoire française de la science-fiction qui continue de s'écrire. La Revue de la Bibliothèque nationale de France en fera prochainement état. Jusqu'à ce jour, les bibliothèques apparaissaient épisodiquement dans la science-fiction.
Désormais la science-fiction est dans la Bibliothèque.
Clément Pieyre


*Fandom : communauté des passionnés de science-fiction.