Les Archives de Claude Lévi-Strauss
  Très tôt reconnu par la communauté scientifique internationale grâce à l’ampleur de sa contribution théorique à l’anthropologie, apprécié du monde littéraire pour la qualité de sa plume, et lu du grand public, Claude Lévi-Strauss, bientôt centenaire, apparaît comme une figure intellectuelle majeure de la seconde moitié du XXe siècle.
Ses archives, jusqu’alors conservées par lui, rejoignent dans leur intégralité les collections de la Bibliothèque, en trois étapes.
 
Claude Lévi-Strauss
Fin mars 2007, Claude Lévi-Strauss a remis à la Bibliothèque, qui les a acquises, une première partie de ses archives. Cet ensemble de documents comprend l’intégralité de ses fichiers de travail, ses fichiers linguistiques, ses carnets de voyage en Amazonie dans les années 1930 et les manuscrits ou épreuves de certaines de ses œuvres.
Au départ modestes compagnons de voyage, les carnets, parce qu’ils ont survécu à bien des tribulations au fin fond de la forêt amazonienne, constituent aujourd’hui un précieux témoignage d’explorations hors du commun.
De plus, les notes et croquis au crayon dont ils sont couverts portent déjà en germe une bonne partie de l’œuvre de l’auteur. De cette œuvre, les titres choisis lors de l’acquisition illustrent justement trois aspects importants : sa thèse (Structures élémentaires de la parenté, 1949), élément fondateur de son aura au sein du monde de la recherche ; un exemple de ses travaux d’anthropologie mis à la portée du grand public (la troisième partie des Mythologiques, L’Origine des manières de table, 1968) ; enfin un ouvrage plus atypique mais témoin de l’immense culture et de l’extrême sensibilité artistique du personnage : Regarder, écouter, lire (1993).
Début juillet 2007, la commission des dations a accepté la proposition qui lui était faite par Claude Lévi-Strauss de remettre au département des Manuscrits de la BnF une seconde partie de son œuvre, véritablement emblématique celle-ci. Quelques chemises de documents personnels, datant des années 1930 et 1940, permettent d’abord de saisir la personnalité de Claude Lévi-Strauss à une époque clé de son histoire : son départ pour le Brésil (donc le début de ses travaux d’anthropologue) puis, au début de la Seconde Guerre mondiale, son départ pour les États-Unis, en tant qu’invité à la New School for Social Research of New York (d’où sa rencontre avec Jakobson et ses débuts dans le structuralisme). L’original de Tristes Tropiques, ensuite, constitue le joyau de la dation. Original est bien le terme à employer : il s’agit en effet d’un ensemble de documents préparatoires et d’une dactylographie corrigée, nullement d’un manuscrit. L’auteur, en rédigeant l’ouvrage, répondait alors à la commande d’un récit de voyage par Jean Malaurie pour la collection « Terre humaine » qu’il avait fondée et qu’il dirige chez Plon(1) ; il n’eut que quatre mois pour en venir à bout (d’où l’absence de manuscrit proprement dit) et persiste à croire qu’il est allé trop vite. Pourtant, dès sa publication en 1955, le livre faillit recevoir le prix Goncourt – réservé aux seuls textes littéraires – et toucha profondément le grand public. Autobiographie intellectuelle d’un genre nouveau, rédigée dans un style parfait, Tristes Tropiques devint rapidement un grand classique.
Le désenchantement devant la pratique ethnographique, la réflexion sur la place de l’homme dans l’univers, manifestaient déjà le détachement intellectuel auquel se tint très tôt Claude Lévi-Strauss, contrairement à nombre de ses pairs volontairement engagés. Les autres œuvres retenues dans le cadre de la dation témoignent de son travail de chercheur : Anthropologie structurale I (1958) et II (1973), recueils méthodologiques d’articles en même temps que manifestes ; Le Cru et le cuit (1964) et L’Homme nu (1971), correspondant respectivement aux volumes 1 et 4 de la série des Mythologiques – ce véritable « inventaire des enceintes morales » découvrant, à l’origine des mythes,
des déterminations de la fonction symbolique – ; enfin La Voie des masques (1975). Pour chacun de ces ouvrages sont rassemblés notes, dactylographies, manuscrits, voire une abondante documentation iconographique et, parfois,
de la correspondance. S’ajoute le don, qui concernera les derniers dossiers de Claude Lévi-Strauss (œuvres, correspondance, cours au Collège de France, carnets de voyages, nombreuses photographies, y compris de ses tout premiers voyages en Amazonie).
La Bibliothèque se réjouit du véritable trésor national dont s’enrichissent ses collections avec l’arrivée de cet ensemble incomparable que constitue désormais le fonds Claude Lévi-Strauss de son département des Manuscrits.

Catherine Faivre d’Arcier


(1) Jean Malaurie a fait don des archives de la collection « Terre humaine » au département des Manuscrits de la BnF en 2006. Sur le fonds Terre Humaine, voir : Chroniques n°29, janvier-mars 2005.