Une collection insolite de cartes postales réinventées
 
Lente promenade le long du corps : la main Lente promenade le long du corps : la main Lente promenade le long du corps : la main
Lente promenade le long du corps : la main Lente promenade le long du corps : la main Lente promenade le long du corps : la main
Les grandes séries – Lente promenade le long du corps : la main
© BnF/Estampes et photographie

Yvette de la Frémondière, sculptrice, a constitué ce qui représente aujourd’hui, en France, une des plus vastes collections de cartes postales contemporaines : plusieurs centaines de milliers de documents remarquablement classés, répertoriés, organisés. Ensemble exceptionnel par sa masse, surprenant par sa diversité : l’image la plus riche sans doute, la plus émiettée, mais aussi la plus profonde de notre temps. Les historiens du contemporain le savent : la carte postale est un « miroir ». Elle témoigne. Elle répercute des pratiques, des mœurs : expression autant qu’archive,
elle illustre ce qui se voit et se fait à un moment du temps. Sa valeur s’est accrue encore avec la considérable transformation de ses thèmes, sinon de son « art ». L’objet s’est largement affranchi de ce qu’il était à ses toutes premières origines, message d’un voyage, souvenir d’un lieu envoyé par la « poste » à un correspondant éloigné,
pour devenir illustration tous azimuts de sensibilité et de goût.
Le thème du « lieu» est subverti depuis longtemps. La carte a vagabondé dans la culture et elle ne s’est plus limitée à l’envoi postal. Elle se regarde par curiosité. Elle se diffuse comme estampe, elle se fabrique comme élément d’un album. D’où l’immense enrichissement de sa valeur de témoin. Ce que montrent les classeurs d’Yvette de la Frémondière : sources toujours étonnantes pour le sociologue, l’historien, l’artiste, le curieux ; documents accumulant les traces,
aussi banales qu’inattendues, de notre présent, événements, personnages, expressions, lieux, modes, marques, silhouettes anonymes, sensibilités, le tout rapporté avec le vague mystère d’images sans paroles.
À l’intérêt de l’ensemble ainsi assemblé s’ajoute un autre intérêt, plus spécifique celui-là, directement lié au dépôt effectué par Yvette de la Frémondière à la Bibliothèque nationale de France. C’est qu’elle a constitué, à partir des documents initiaux, d’autres documents encore, dont toute la singularité réside dans leur association subjective et poétique : un ensemble de planches où les rapprochements s’effectuent selon les choix très personnels de la collectionneuse devenue ainsi artiste.
Ce sont ces planches qui viennent d’être déposées dans les collections de la BnF au département des Estampes et de la photographie, qui conserve depuis ses origines le dépôt légal des cartes postales. Les cartes y deviennent,
chacune, des mots. Elles composent un vocabulaire. Elles constituent des phrases, organisées elles-mêmes en grands thèmes structurés en albums ou en planches. Cette manière de regrouper les cartes, de les relier entre elles par la signification et la qualité plastique que leur donne Yvette de la Frémondière, met en images des réflexions sur des sujets importants ou mineurs, sur des interrogations, sur des événements de la vie quotidienne.
Chaque carte garde son intégrité, chaque histoire n’existe que par les rapprochements instantanés. Yvette de la Frémondière les appelle des « Frémontages ».

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Les grandes séries – Lente promenade le long du corps : la main © BnF/Estampes et photographie

Inépuisable chronique des années 1960 à nos jours vue par l’auteur, quelques titres disent le projet :

    « Dialogues possibles et impossibles»
         « Tel qu’en soi-même, Très emmêlé, Je t’aime »
    « Comment aime-t-on ? »
         « Soudain le désordre »
    « Troublantes ressemblances »
         « Les Sept Péchés capitaux »
     « Petites leçons d’agriculture, érudites et coquines »
          « Lente promenade le long du corps »

Les « travers » de notre temps, les pesanteurs, les pratiques, les sensibilités, sont déclinés avec une attention d’entomologiste. L’inattendu y guette en permanence l’observateur. Un tableau de la France et du monde y est ainsi patiemment ébauché. Témoignage remarquable, rehaussé par l’évidente richesse du document comme par l’acuité et la malice du regard de l’auteur. Le panorama de nos goûts, celui de nos passions, nos angoisses, nos contraintes,
nos bonheurs sont ainsi ramassés dans des planches qui, toutes, donnent à la collection déposée un caractère exceptionnel.
Georges Vigarello