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En 1967, les héritiers de Marie Curie –
sa fille Ève Curie-Labouisse et les
enfants d’Irène Joliot-Curie, Hélène
Langevin et Pierre Joliot – faisaient don à
la Bibliothèque nationale d’un ensemble de
documents scientifiques, de registres et de
correspondance.
En 1974, l’Institut du
radium lui remettait à son tour les archives
de Marie Curie, demeurées dans son
laboratoire. Ainsi s’est constitué rue de
Richelieu un fonds exceptionnel d’archives
scientifiques consulté par les chercheurs
du monde entier. Aujourd’hui, le fonds
Pierre et Marie Curie occupe les cotes
18 365 à 18 517 des Nouvelles Acquisitions
françaises du département des Manuscrits,
soit soixante et un volumes reliés, soixante
dix-huit carnets et cahiers, dont les fameux
carnets dits « de la découverte » [du
radium], huit albums, quatre-vingt-dixneuf diplômes
ou distinctions honorifiques
et… un sablier, représentation symbolique
du gramme de radium offert à Marie Curie
par les femmes américaines en 1921.
Ce bel ensemble a été complété en 1986
par le don des cours de Marie Curie à l’ENS
Sèvres (NAF 18 751-18754) ainsi que par
celui de papiers d’Albert Laborde, proche
collaborateur de Marie Curie (NAF 18 755)
dû à la générosité de la fille de ce dernier, Colette Morin-Laborde. Conservé à
l’Institut du radium, devenu Institut Curie,
association de droit privé, le fonds Joliot-Curie était déjà classé, inventorié et
communiqué aux chercheurs; une unité
mixte de recherche avait été créée à cette
fin par le CNRS et l’Institut en 1994.
Restait à assurer sa conservation future en
le mettant sous l’autorité d’une institution
publique. Respectant le souhait des
donateurs, la BnF a accepté de laisser en
dépôt, dans les archives de l’Institut,
l’ensemble de ces documents, à
l’exception de la correspondance entre
Marie et ses filles qui vient rejoindre le
fonds Pierre et Marie Curie au département
des Manuscrits.
Un ensemble d’importance
L’ensemble est d’importance puisqu’il
occupe deux cent soixante-dix boîtes
d’archives. On y trouve, à côté des
archives et de la correspondance
scientifiques, une gamme étendue
de documents témoignant aussi bien
des engagements politiques des Joliot-Curie et de leur réseau de sociabilité que
de leur vie quotidienne : correspondance
familiale et amicale, carnets de lecture
ou de notes et souvenirs de séjours
à l’Arcouest en Bretagne, où se
retrouvaient depuis le début du siècle,
sous la houlette de l’historien Charles
Seignobos, des intellectuels éminents,
scientifiques ou littéraires, unis par
une commune sensibilité socialiste et laïque.

À cette fameuse « Sorbonne plage »,
la BnF consacrera une exposition et une
journée d’études en mars 2008.
De la découverte du radium en 1898 à celle de la radioactivité artificielle en 1934,
du hangar de la rue d’Ulm à la fondation
du CEA en 1945, l’histoire des Curie et
des Joliot est internationalement connue.
Elle intéresse aussi bien l’historien
des sciences que le spécialiste d’histoire
politique, sociale, culturelle ou
institutionnelle. On trouve dans leurs
archives l’écho des moments et des
mouvements les plus signifiants du siècle
passé : la Grande Guerre, pendant laquelle
Irène accompagna sa mère sur le front
pour radiographier les blessés, le Comité
de vigilance des intellectuels antifascistes
fondé en 1934, le Front populaire qui
nomma Irène au sous-secrétariat à la
Recherche scientifique, l’Exposition
universelle de 1937 dont Frédéric Joliot fut
l’un des organisateurs, la Résistance, puis
le Mouvement pour la paix et enfin
les aléas de la guerre froide.
Le XXe siècle voit se développer une
communauté scientifique internationale
cependant que l’optimisme du siècle
précédent laisse place à des interrogations
sur la responsabilité des savants et les
rapports entre science et politique. Dans
ce contexte, la grande figure de Frédéric
Joliot répond parfaitement à la définition
qu’a donnée Michel Foucault de
l’intellectuel spécifique, le savant expert
qui succède à l’intellectuel universel,
juriste, notable ou homme de lettres
incarné en son temps par Émile Zola.
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