Elias Canetti, de mots et de mémoire
 
Comme toute une génération d’écrivains juifs allemands ou autrichiens, Elias Canetti fut confronté à l’horreur de l’histoire.
Son œuvre explore ce siècle dans sa complexité, son foisonnement, ses convulsions. Ce Prix Nobel de littérature (1981), est mort en 1994 à Zürich. Un colloque de la BnF évoquera la figure de l’écrivain.
Portrait.
Elias Canetti (1905-1994) naquit sous le signe de la diversité et du mélange. Il vint au monde dans une famille séfarade, à Routstchouk, en Bulgarie, sur le Danube inférieur, dans une région de brassage de langues et de cultures. Sa langue maternelle était le judéo-espagnol, parlé par les juifs espagnols contraints à l’exil à la fin du XVème siècle. La famille Canete, au fil de ses migrations, s’était un temps arrêtée à Venise, ce qui induisit l’italianisation du nom, pour trouver refuge dans l’empire ottoman, dont la Bulgarie fit partie jusqu’en 1878. Après la mort de son père, en 1912, sa mère l’entraîna avec ses deux frères dans différentes villes d’Europe : Zurich, Francfort,
puis Vienne, la ville de sa jeunesse.

Canetti accèda alors à la langue allemande, langue de la haute culture dans l’esprit de ses parents et qui deviendrait celle de son œuvre d’écrivain. Dépositaire des deux langues de l’exil juif, l’allemand et l’espagnol, il se considèrera jusqu’à sa mort comme un auteur espagnol de langue allemande. Au delà de ce sentiment personnel, l’histoire d’Elias Canetti est celle d’un enfant qui grandit au confluent des langues et des cultures européennes, parlant cinq langues – dont le bulgare, l’anglais et le français – eut dans sa vie deux passeports, un turc et un britannique, et reçut le prix Nobel en 1981 en tant qu’auteur autrichien.

Prendre le XXème siècle à la gorge

C’est en effet à l’histoire littéraire viennoise que Canetti se rattache, dans la filiation de Karl Kraus, Franz Kafka, Robert Musil et Hermann Broch. Son projet : "prendre le XXème siècle à la gorge". Il écrit à Vienne son unique roman, Auto-da-fé, (die Bendung) achevé en 1931 et publié en 1935, anticipation allégorique du totalitarisme, parabole de la maladie de l’intelligence qui par peur de la vie, réduit l’existence entière à un mécanisme de défense. Il conçoit deux pièces de théâtre, Noce (1932), et Comédie des vanités (1933-1934), fable dramatique sur l’équilibre précaire entre l’individu et la société.
En novembre 1938, la Nuit de cristal autrichienne contraint Canetti à l’exil vers Londres. Il se refuse à changer de langue, revendiquant la position de défenseur expatrié de la langue allemande souillée par les nazis. Il poursuit la rédaction de Masse et Puissance, "le livre de sa vie", étude de la masse et de sa relation au pouvoir, en opposition radicale avec la psychologie des masses telle que la pense Sigmund Freud. Au terme de 35 ans de gestation, le livre sera publié en 1960, et assez mal accueilli, car à contre-courant de la pensée dominante de l’époque, marxiste, psychanalytique et structuraliste. Canetti y analyse la relation entre le pouvoir et la mort, et défend une éthique dont la finalité est le bannissement de la mort comme moyen d’action politique. "Il a essayé comme un limier de débusquer l’instinct de mort, de le démasquer sous les mille formes qu’il prend, de sauver chaque palpitation et le flux de la métamorphose de la domination qui les fige et les anéantit " écrit Claudio Magris à son propos. Canetti publie également des essais
(La Conscience des Mots, 1975), ainsi que des recueils de réflexions, dans la tradition des moralistes français,
de Montaigne et de Pascal (Le Collier de mouches, 1992).

L’histoire d’une vie

Son autobiographie, publiée en trois volumes entre 1977 et 1985, a valu à Canetti la reconnaissance du grand public.
À l’origine de cette entreprise, le désir magique de l’écrivain de sauver son frère, atteint d’une maladie mortelle, par le récit de leur enfance. La Langue sauvée, premier de la trilogie, raconte les premiers apprentissages de la vie,
et notamment la relation qui se noue pour Elias avec l’allemand, d’abord langue de l’intimité parentale et interdite,
puis enseignée de manière accélérée et brutale par sa mère lorsqu’elle projette de retourner à Vienne. Les deux ouvrages suivants, Le Flambeau dans l’oreille et Jeux de regard poursuivent cette quête de lui-même. L’ensemble retrace la genèse d’une personnalité et d’une œuvre, la généalogie d’un regard singulier et créateur, au sein d’un monde incertain et mouvant. "De lui, écrit encore Claudio Magris, nous avons tous appris, pour toujours, combien sont fortes l’angoisse, l’aridité, la mort autour de nous, et que l’unique réponse est la fidélité à toute vie, parce que chacune, comme il l’a écrit, est le centre du monde."

Sylvie Lisiecki


Elias Canetti
Jeudi 16 juin : 15h 30 - 18h30
Vendredi 17, samedi 18 juin : 9h30 - 18h30.
Site François-Mitterrand-Petit auditorium (Hall Est)
Sous la présidence de Gérard Stieg, directeur de l'UER de l’Université de Paris III et de Jacques Bouveresse, Collège de France, en collaboration avec la DADD (Deutsche Akademische Austausch Dienst), et la ville de Vienne.