L’Oulipo, mode d’emploi
 
Les lectures de l’Oulipo reprennent à la BnF, pour une nouvelle saison. L’occasion pour le public de partager avec des écrivains les délices d’un moment de fête du langage.
Conclave de l'Oulipo
Conclave de l’Oulipo au Moulin d’Andé en mai 2004.
De gauche à droite : Harry Mathews, Valérie Baudouin, Olivier Salon, François Caradec, Hervé Le Tellier, Marcel Bénabou, Jacques Jouet, Anne Garréta, Jacques Roubaud, Ian Monk. © Caroline Caradec
« L’Oulipo n’est pas une école, c’est une crèche où, en cachette des parents et des pions, nous jouons à faire entrer des cylindres dans des trous carrés et des cubes dans des trous ronds. Et ça marche ? Ça dépend des jours. » François Caradec

Réunions privées, lectures publiques, ateliers d’écriture… Depuis sa création, les activités de l’Oulipo se déploient entre une volonté de confidentialité qui a pu lui donner des allures de société secrète et celle de partager avec le public son exploration des ressources infinies de la littérature et de la langue. Lequel public ne boude pas son plaisir, bien au contraire, puisque ces lectures commencées en 1995 dans la Halle Saint-Pierre n’ont cessé d’attirer des « oulipophiles » de plus en plus nombreux.
C’est à la BnF que se tiendront au cours de la saison 2007-2008, un jeudi par mois, des lectures de textes écrits pour l’occasion ou à vocation éphémère.

Du bon usage de la contrainte
L’Ouvroir de Littérature Potentielle a coutume de présenter ses membres ainsi : « Rats qui ont à construire le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. » Fondé en 1960 par Raymond Queneau, écrivain frotté de mathématiques, et François Le Lionnais, homme de sciences passionné de littérature, l’Oulipo rassemble à l’origine un groupe d’amoureux des lettres en rupture avec certaines conceptions de la littérature : le surréalisme et son pari sur le hasard, ou encore l’engagement de type sartrien.
Le projet réunit une dizaine de personnages, mathématiciens et écrivains, logiciens et poètes : Noël Arnaud, Jacques Bens, Paul Braffort, Jean Lescure, Albert-Marie Schmidt… Il est ainsi défini : « Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira. » L’Oulipo fait la part belle au jeu, à la fantaisie, à l’humour. Mais, loin de fonder l’inventivité sur le hasard à la manière des surréalistes, il voit dans la contrainte une source de créativité. Le groupe se donne pour première tâche d’inventer des règles nouvelles afin de produire des œuvres originales. Cette recherche fait appel aux concepts mathématiques, utilise notamment les ressources de la combinatoire – Queneau en avait donné un exemple avec ses Cent Mille Milliards de poèmes l’année même de la naissance du groupe.
Exhumer, classer, illustrer les normes présentes dans les œuvres littéraires du passé est la seconde de ses tâches. Règles formelles le plus souvent liées à la langue, à la versification, à la construction narrative…, l’Oulipo a ainsi redonné vie au lipogramme, qui consiste à écrire un texte en renonçant à une lettre de l’alphabet. Georges Perec a merveilleusement fait son miel de ce procédé dans La Disparition. L’Oulipo explore aussi méthodiquement les espaces du « langage cuit » – l’expression est de Robert Desnos – clichés, expressions, formules, citation.
« La démarche de l’Oulipo est comparable à celle d’un laboratoire, confie Olivier Salon, mathématicien et écrivain oulipien. Nous sommes des chercheurs dont le matériau est la langue. »

Oulipiens d’hier et d’aujourd’hui
Au fil des années, le groupe s’est étoffé : Jacques Roubaud le rejoint en 1966, Georges Perec en 1967, Marcel Bénabou, Luc Étienne en 1969, Paul Fournel en 1971. Puis Harry Mathews, Italo Calvino (1973) et Michèle Métail (1975). S’ouvre alors une période d’intense créativité marquée par la parution d’œuvres majeures. La Vie mode d’emploi de Georges Perec, Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres de Marcel Bénabou, rencontrent un large public et légitiment l’idée de la fécondité des contraintes oulipiennes.
La disparition de Queneau (1976), puis celles de Perec (1982) et de Calvino (1985) auraient pu entraîner un déclin du groupe ; de nouveaux venus lui ont apporté un sang neuf : François Caradec et Jacques Jouet le rejoignent en 1983, Hervé Le Tellier en 1992, Olivier Salon en 2000.
Depuis sa fondation, l’Oulipo se réunit une fois par mois pour échanger sur les découvertes et les inventions de ses membres. Ces séances se tiennent dans une atmosphère amicale et rieuse, selon un rituel de travail qui n’a, semble-t-il, guère changé. Les travaux des premières années ont été quasi secrets, le temps de consolider les démarches du groupe. Puis celui-ci s’est ouvert à de multiples manifestations publiques; rencontres littéraires et universitaires, ateliers d’écritures… et surtout lectures, à la fois célébrations de l’algèbre de la langue et invitations à jouer et déjouer ses règles dans la fantaisie et la liberté.
Sylvie Lisiecki


LES JEUDIS DE L‘OULIPO

Site François-Mitterrand Grand auditorium - 19h
25 octobre 2007 Morale élémentaire (en ouverture : Paul Braffort)
22 novembre 2007 (avec l’ensemble Szene Instrumental de Graz) forum culturel autrichien
6 décembre 2007 Chansons de gestes
17 janvier 2008 Espaces d’espèces
14 février 2008 L’amour, toujours…
13 mars 2008 Le Paris de Pascal (et François)
10 avril 2008 Texticules
15 mai 2008 Momies oulipiennes
5 juin 2008 Oulipolyglotte