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À la BnF comme ailleurs, l’échange international
entre bibliothèques répond à un objectif simple
: se procurer des ouvrages ou des périodiques dont l’acquisition
se révèle difficile, soit du fait de leur trop faible
diffusion (thèses, publications de sociétés savantes
et d’organismes culturels…), soit parce que les réseaux
de communication dans le pays d’édition sont peu développés
– comme dans certains pays d’Europe de l’Est ou
d’Asie, par exemple. Dans ce cas, seul un partenariat d’échange
avec d’autres institutions peut aider la Bibliothèque
à combler ces lacunes. En contrepartie, elle envoie à
ses partenaires locaux les publications françaises susceptibles
de les intéresser… Un échange de bons procédés
qui, de surcroît, contribue au rayonnement de la BnF et de l’édition
française à l’étranger.
Si l’échange est une pratique ancienne dans l’institution,
cette activité ne s’est organisée en tant que
service qu’en 1880. Ce dernier connaîtra un réel
essor à partir des années 50 :
« Dans le contexte de l’après-guerre, les partenariats
entre pays étaient encouragés pour des raisons économiques
et politiques, explique Stéphanie
Groudiev, responsable des échanges sur le site François-Mitterrand.
En 1958, l’Unesco a établi une liste des centres nationaux
d’échanges dont, pour la France, celui de la Bibliothèque
nationale. » Au fil des ans, la BnF aura tissé
des relations d’échange (1) avec plus de mille partenaires
(bibliothèques nationales, bibliothèques universitaires,
bibliothèques de musées, centres d’étude…)
implantés dans 135 pays.
Des plis venus du monde entier !
Stéphanie Groudiev (à droite), conservateur chargé
des échanges internationaux, est assistée par
Chantal Guenu-Even, qu'elle considère comme la "mémoire"
du service. |
Une redistribution à l’échelle
nationale
À ces échanges s’ajoute une redistribution à
l’échelle nationale : «
La redistribution des troisième et quatrième exemplaires
du dépôt légal aux bibliothèques françaises,
indique Stéphanie Groudiev, participe pour nous d’une
mission nationale qui est d’enrichir les collections des grands
établissements français et de promouvoir certains types
de publications. » Quelques exemples: les ouvrages de
fiction que sont les romans policiers sont attribués à
la Bilipo, bibliothèque de la Ville de Paris spécialiste
du roman policier ; la littérature pour la jeunesse est orientée
vers l’association La Joie par les livres, experte en collections
pour la jeunesse, et la bande dessinée vers le Centre national
de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême.
La BnF travaille également avec le Centre technique du livre
de l’enseignement supérieur, qui se charge de redistribuer
les ouvrages de niveau universitaire aux bibliothèques d’université
et à d’autres organismes de l’Éducation
nationale. En 2004, ce sont 74 938 monographies et 6 516 titres de
périodiques qui ont ainsi été attribués
à des établissements relevant de l’Éducation
nationale (bibliothèques universitaires…) ou du ministère
de la Culture (le réseau des bibliothèques régionales
habilitées à recevoir le dépôt légal
des imprimeurs, par exemple). Enfin, une relation privilégiée
s’est nouée avec les établissements documentaires
français, liés à la BnF par des conventions et
formant un réseau coopératif de pôles associés
dense et actif. Avec les grandes bibliothèques étrangères,
l’échange se fonde sur des listes thématiques
où elles puisent les titres qui les intéressent. Dans
le cas où la demande de plusieurs partenaires coïncide
sur un même document, la BnF dispose d’un budget
ad hoc pour l’acheter. Il faut remarquer que les ouvrages
édités ou coédités par la BnF sont très
prisés par ses partenaires, qui y voient le cœur même
de l’échange entre bibliothèques.
Vers une conservation partagée
L’année 2006 marquera un tournant important, du fait
de la réforme, très attendue, du dépôt
légal : « Parmi d’autres
dispositions, explique Stéphanie Groudiev,
le nombre d’exemplaires déposés par l’éditeur
passera de quatre à deux. Le service des échanges ne
sera plus attributaire que d’un seul exemplaire. Certains exemplaires
seront donc exclus des échanges internationaux pour être
recentrés exclusivement sur la redistribution nationale. »
Une redistribution qui, elle aussi, sera repensée : ainsi,
la BnF continuera à conserver et à communiquer le premier
exemplaire du dépôt légal des titres édités
en France mais, chose nouvelle, elle confiera la responsabilité
du second exemplaire à des établissements répartis
dans l’Hexagone et signataires d’une convention. Rappelons
que jusqu’ici, le deuxième exemplaire du dépôt
légal était stocké sur le site de « conservation
absolue » de la BnF, à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-
Marne). Véritable coffre-fort des collections, équipé
de magasins industriels de grande hauteur, ce centre recevait ce deuxième
exemplaire, qui tenait lieu de matrice de sécurité pour
la réalisation d’une copie en cas de perte, de disparition
ou de dégradation de l’exemplaire de consultation. La
toute prochaine réforme aura pour conséquence l’abandon
de ce système (jugé finalement peu efficace) au profit
d’une conservation partagée avec le réseau des
bibliothèques françaises.
« Des conventions, poursuit Stéphanie
Groudiev, engageront d’une part la BnF,
qui redistribuera les exemplaires selon des profils documentaires
(actuellement en cours de finalisation), et, d’autre part, les
établissements attributaires, qui seront tenus aux obligations
inhérentes au caractère patrimonial du dépôt
légal : conservation sur le long terme, signalement dans les
catalogues et communication sur place, exclusivement. »
Mais comment décentraliser, concrètement, cette conservation
? « En favorisant de grands pôles
thématiques dans une carte de redistribution qui sera lisible
pour tous – professionnels et lecteurs – et en pérennisant
cette responsabilité partagée vis-à-vis du patrimoine
écrit », répond avec conviction la conservatrice.
La coopération s’en trouvera vivifiée : par exemple,
les bibliothèques régionales qui sont déjà
partenaires au titre du dépôt légal imprimeur
recevront désormais de la BnF les ouvrages édités
dans leur région (mais n’ayant pas nécessairement
été imprimés sur place), afin de pouvoir se constituer
des fonds documentaires régionaux complets. L’attribution
du second exemplaire du dépôt légal concernera
également certains pôles d’excellence dans des
domaines documentaires clairement identifiés : pour la plupart,
ils auront été choisis dans le réseau des pôles
associés de la BnF et des Cadist (2). Pareillement, les départements
spécialisés de la BnF (site Richelieu) qui sont des
pôles d’expertise, notamment en matière de photographie
ou d’arts du spectacle, recevront des exemplaires du dépôt
légal en lien avec leurs collections. La
nouvelle donne des échanges internationaux
Une équipe, une production
Le service des échanges se consacre à l’échange
non commercial de publications imprimées. Vingt personnes
y travaillent, sur le site François-Mitterrand. En 2004,
elles ont contribué à l’envoi à l’étranger
de 13 098 monographies,
2 635 titres de périodiques, et 14 451 fascicules de
publications officielles. En contrepartie, la BnF a reçu
de ses partenaires étrangers
4 323 monographies, 3 098 titres de périodiques et 10
620 fascicules de publications officielles… Une production
que Stéphanie Groudiev tient à mettre en valeur,
car c’est avec l’appui de son équipe qu’elle
estime pouvoir répondre aux enjeux importants d’une
politique d’échange largement ouverte. |
En raison de ces changements, les échanges internationaux devront
dorénavant s’appuyer sur le budget actuel d’acquisition
des collections. « Loin d’annoncer
une contrainte, assure Stéphanie Groudiev,
cette nouvelle donne est une opportunité. Car le dépôt
légal devenait de moins en moins adapté aux échanges
: depuis quelques années, la publication éditoriale
française a connu une courbe ascendante, et ces titres, de
plus en plus nombreux, ne correspondaient pas aux attentes de nos
partenaires. À l’inverse, un même titre intéresse
souvent plus de deux partenaires, d’où la fréquente
nécessité pour nous d’acheter, avec ou sans dépôt
légal.Parallèlement, le volume des échanges a
régulièrement décru. C’est un mouvement
général qui ne touche pas que la BnF. Après des
décennies d’accroissement intensif des collections, nos
acquéreurs, et leurs homologues étrangers, sont devenus
plus regardants sur les ouvrages entrant par échange dans les
collections. Entre-temps, les circuits commerciaux de nombreux pays
se sont ouverts et développés, rendant les acquisitions
onéreuses possibles… et l’intermédiaire
des échanges moins pertinent. »
C’est pourquoi une évaluation des documents arrivés
par échange est en cours. Au début de 2006, plus de
400 titres de périodiques jugés peu utiles à
l’Établissement seront ainsi supprimés des listes.
En parallèle, le service des échanges de la BnF redéfinit
ses missions, se concertant avec la direction des Collections pour
s’adapter à la charte documentaire de l’Établissement
et intervenir éventuellement en complément à
d’autres modes d’entrée ou lorsque l’acquisition
onéreuse est impossible.
Ce travail de coopération sera poursuivi avec les partenaires
étrangers afin de mettre un terme définitif à
toute réception imposée de publications, au profit de
listes de propositions qui, seules, peuvent garantir une sélection
d’ouvrages conforme à la politique documentaire de la
BnF et éviter la réception de documents en doublon.
De plus, le service se base sur une balance des échanges, outil
créé en 2002 et qui sera encore amélioré
en 2006 : « Il s’agit de se concentrer
sur les partenaires avec lesquels nos échanges sont équilibrés
en termes de volume et/ou de valeur financière »,
résume Stéphanie Groudiev. Ainsi distinguera-t-on les
échanges à proprement parler des dons de livres entre
institutions, qui devront s’inscrire dans une action encadrée
et visible, en concertation avec d’autres services de la BnF
comme la délégation aux Relations internationales. Cela,
au bénéfice d’une politique de coopération
mieux ciblée, plus efficace.
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Martine Cohen-Hadria
(en collaboration avec Stéphane Groudiev) |
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